crash émotionnel (harpers)

Hey j’ai une idée ! Elle aime jamais les idées de  Liam. C’est toujours des mauvaises idées. Mais comme toujours tout le monde l’écoute, tout le monde hoche la tête et tout le monde le suit. Pourquoi pas rester ici ? Boire un verre et saluer la défaite ? C’est plus facile non ? Non. Non. Monsieur veux aller dans un bar, et dans ce bar la bande ira. Parce que c’est comme ça, parce que c’est Liam le roi. Roi des fous, roi des pauvres, roi des paumés. Eux. Les paumés. Avec leurs mots amers qui coulent sur scène, la main tremblante qui serre le micro un peu trop fort pour pas le lacher. MC de pacotille qu’on murmure quand on les regardes, puis y a la rage, y a l’envie, y a la colère. Y a tout le dégout craché qui te vide un corps, qui les laisse pantelant sur le pavé. Le besoin de se remplir de nouveau. D’apprendre encore à exister. J’vous jure cet endroit est trop cool. Vraiment Liam ? Trop cool ? Trop cool pour qui ? Trop cool pour toi ? « Tu veux pas aller en boîte plutôt ? »  qu’elle marmonne Jordan. Parce qu’elle le sent pas cet endroit. Vraiment pas. Elle a envie de danser jusqu’au bout de la nuit plutôt pour évacuer, de se faire offrir des consommations par des mecs trop âgés, briller dans sa jolie petite robe en sequins dorés. Tu fais chier Jordan arrête de râler putain, pour une fois on peut changer ! Tu verras tu vas kiffer et le bras de Liam qui se passe autour de ses épaules, accolade qui finit toujours avoir raison d’elle, de sa mauvaise humeur. Il est contagieux Liam. Pas pour rien qu’il est roi ici, et qu’elle est juste un putain de pion. « Tu me casse les couilles l’irlandais »  vraiment Liam. Tu lui casse les couilles elle te dit. Enfin si elle en avait tu les lui casserais.

La nuit est froide, alors quand la petite bande arrive à l’entrée du club, tout le monde se presse un peu trop vite à l’intérieur, bande de gamins touristes qui se retrouvent dans la cour des grands ; « C’est ça ton idée Liam ? Un putain de strip-club merdique ? »  Elle est acide Jordan, croise les bras et soupire. Même pas une seule chance pour qu’on lui paye un verre ici, les regards seront surement tournés vers les filles, vers la décoration, plutôt que vers elle. Puis elle se sent qui fait tâche, avec sa petite robe, les bas résilles et le maquillage trop enfantin. Elle déteste ça. Relax babe c’est moi qui t’offre à boire ce soir, stress pas et le revoilà le bras autour des épaules, le sourire solaire, sale gosse. Sale, sale gosse. Elle le boufferait si c’était pas ce qu’elle a plus proche de meilleur ami. Alors elle range les crocs rien qu’un instant Jordan, suit la bande avec son sourire débile, se faufile entre les gens. Elle a pas peur de la faune locale, Night Falls c’est chez elle depuis toujours, il en faudra plus pour l’impressionner. Mais c’est différent. Différent des autres soirs. C’est ton tour de commander ce soir Jordy et la liasse de billet qu’est fourrée dans sa main, les conso récités alors qu’elle essaye de rien oublier. Vraiment les gars ? Vraiment ? Quand on vient dans ce genre d’endroit on laisse pas les filles commander, on prend ses couilles et on les pose sur la table – littéralement – mais faut croire que l’information est jamais passée. Alors elle se faufile entre les corps Jordan, entre les gens, le regard qui dérive sur les filles, les corps qui se dévoilent. Putain. Le cœur qui bat jusque dans la gorge, l’envie de gerber parce que c’est plus vraiment marrant. Tu fous quoi ici Jordan ? Pourquoi tu te casse pas en boite comme tu l’as décidé au début de la soirée ? Ptêtre qu’au fond elle veut jouer avec le feu, encore, toujours, trébucher et tomber dans le gouffre. C’est encore plus marrant qu’en vrai. Alors quand elle se glisse au bar, dos à la scène, aux filles, elle souffle un bon coup pour chasser le reste, garder que la confiance. La putain de confiance.  t’es un roc Jordan, t’obtiens tout ce que tu veux. Sourire plaqué, regard qui crame. T’es prête à le relever ce défi que tu t’es fixée gamine. Pas question d’utiliser les billets ce soir, c’est les autres qui vont raquer. Putain de pervers.

T’es toute seule ? Bingo même pas besoin d’attendre, faut croire que la robe finalement, c’est pas si mauvais, les jambes trop longues qu’elle dévoile sans aucune honte qui viennent se croiser alors qu’elle se tourne vers l’homme qui vient de l’abord. « Non avec mes amis là bas, mais je préférais voir l’action de plus prêt » menteuse, menteuse, les lèvres qui viennent se nicher entre ses dents, elle frappe droit dans le regard Jordan, plus une gamine depuis longtemps. Elle est concentrée, sur lui, ses mains, sur son sourire, sur ses yeux un peu brumeux. L’alcool sans doute. Elle regarde pas ailleurs Jordan, plus les autres au loin, plus les filles qui se déhanchent, pas même ceux derrière le bar. Elle devrait pourtant. Elle devrait. Peut être qu’elle pourrait se préparer à ce qui risque d’arriver.
T’as sorti les pare-chocs Jordan ? Collision dans un, deux, trois…

Une soirée banale au bar. Banale parce que c’est légale ton boulot de ce soir. Derrière le comptoir, à servir des pintes ou des shoots remplis à ras bord. Les mêmes personnes qui squattent, les mêmes filles sur la scène que tu rejoins parfois. Tu jettes toujours un œil du côté Nevan, au cas où il y ai un connard qui force un peu trop. Mais rien à signaler. Banal, encore une fois. T’essayes de convaincre le vieux Charlie d’arrêter de picoler, il en a déjà assez dans la tronche comme ça. Puis y’a cette voix pas loin, cette voix cristalline qui survient. Malgré les rires forts des clients bourrés et de la musique qui en fait vibrer le bar, tu l’as reconnu entre mille. Tu peux pas l’oublier cette voix, elle te hante bien trop souvent quand t’as des remords envers elle. Quand tu regrettes ces dernières années passées sans elle. T’oses relever les yeux pour en être certaine. Et t’as raison. Jordan, et un mec louche. L’autre relou du quartier qui a plus de whisky que de sang dans les veines, qui passe sa vie ici à reluquer salement les filles. Et tu l’as voit, sa putain de manière d’être face à lui. T’as l’impression de te regarder dans un miroir. Le joli minois, les cheveux blonds et la gueule d’ange qui réussit à obtenir ce qu’elle veut. Mais non, pas toi Jordan. Le regard qui s’assombrit et les nerfs qui montent quand tu t’approches d’eux, les deux mains comme accrochées sur le comptoir pour éviter de leur mettre une paire de baffe chacun. Tu refuses, tu refuses qu’on touche à ta petite sœur, tu refuses qu’elle puisse grandir, qu’elle puisse devenir une femme. C’est pas que tu veux pas. C’est cette peur au fond que ça se termine mal. C’est cette peur qu’elle fasse trop de conneries. Qu’elle supporte pas si un jour ça tournait mal. Et que si t’avais continué à la voir, à l’élever, à l’aimer à sa juste valeur, elle serait pas là, à draguer un lourd dingue pour avoir l’addition payée. « Hey Mike, je pense que tu devrais aller voir une autre minette, le patron aime pas tellement qu’on touche à sa famille. » Il ne saura jamais que c’est un mensonge, et au pire, il ira se faire voir. Personne n’oserait défier celui qui pilote le Sinners. Alors si tu peux t’en servir comme fausse excuse. Tu lui prépares une bière alors que tu peux lire l’immense surprise sur le visage de cette couille molle, déjà apeuré d’avoir peut-être fait une connerie. La chope que tu fais glisser jusqu’à lui, toujours tes pupilles noires qui scrutent le moindre de ces faits et gestes. « Cadeau. Maintenant, dégage. » Il en fallait peu pour qu'il se barre d'ici, tu le sais bien. Il a déjà déguerpi depuis un moment quand tu finis par poser le regard sur elle. T’as pas envie de l’engueuler, encore une fois. Parce que c’est ce que tu fais sans cesse depuis que t’as souhaité reprendre contact avec ta petite sœur. Tu te souviens pas avoir eu une conversation "normale" avec elle depuis ça. Un moment ensemble comme avant, quand vous étiez gosse, où vous pouviez parler de tout sans gêne, rire pour un rien. T’essayes de te calmer, t’essayes de relativiser, qu’elle veut juste s’amuser. Mais la voir au milieu des autres, au milieu de tout ça, de ce bordel sans nom, entre magouilles et luxure. Non, pas elle, pas ici. « Je peux savoir ce que tu fous là ? Je peux savoir ce que t’étais en train de faire ? » T'as le visage colérique mais t'as le cœur qui pleure. T'es prête à l’engueuler toute la nuit s'il le faut, mais t'as tellement envie de la serrer contre toi. De lui dire que c'est pas grave et de lui payer un verre pour qu'elle file d'ici. Elle a grandit sans que tu te rendes compte. Elle a grandit sans toi, comme t’as continué sa vie sans elle. Si t'avais pas fui à l'époque, peut-être que ça aurait pu se passer comme ça. C’est plus une gosse, mais bordel, tu refuses qu’elle soit comme ça, tu refuses qu’elle devienne comme toi.

Hey Mike, je pense que tu devrais aller voir une autre minette, le patron aime pas tellement qu’on touche à sa famille. Cette voix. Ça fait sursauter son cœur, le balance au bord de ses lèvres, surement qu’elle manque aussi un battement ou dix. Pendant un instant, quelques secondes, elle redevient Jordan la gosse, la main pris dans le sac, le chocolat barbouillé autour des lèvres. Pendant un instant, elle sent le rouge monter aux joues quand elle se retourne pour dévisager Jill. Raté gamine. Y a les mots qui veulent pas sortir, ça tangue un peu, elle n’accorde pas même un seul regarde au fameux Mike, le laisse filer quand Jill lui fait glisser une bière. Tant pis, il était moche de toute façon, et bien trop vieux. Non. Elle arrive pas à décrocher les yeux de la blonde, miroir effacé, elles ont bien changés les deux sœurs Harper. Plus vraiment siamoises, même ptêtre un peu trop pareil. Je peux savoir ce que tu fous là ? Je peux savoir ce que t’étais en train de faire ? Le ton qui claque et les poils de Jordan qui se hérissent. Joue pas à ça qu’elle a envie de hurler. T’as plus le droit qu’elle voudrait supplier. A la place elle se retourne complètement face à sa sœur, bien ancrée sur son tabouret. « Je savais pas que papa dirigeait cet endroit. C’est nouveau ? » petite pique balancée à la menacée évoquée tout à l’heure. Touche pas à la fille du patron. Pourtant ça se saurait si son père était le patron de quelque chose. Non. Juste une fille d’ivrogne sans avenir. Elle devrait savoir pourtant Jill.
« Toi qu’est-ce que tu fais là ? » sourcil interrogateur, elle évite les questions comme elle évite les larmes, défie sa sœur du regard. Joue pas à ça Jill, Jordan a fait ses armes depuis trop longtemps maintenant, elle est prête à griffer, comme le chat errant qu’elle a du devenir. « Barmaid ? c’est ça ? » elle tourne la tête, prend note plus sérieusement de l’établissement, retient les détails qu’elle n’avait pas vu en entrant, les hommes, les femmes, la misère un peu crasse qui colle aux murs. « Vodka soda s’il te plait. Pas de glaçons. » et le petit sourire satisfait qui s‘étale sur son visage. Tu vas faire quoi maintenant Jill ?