high above the smokestacks / valery

asa, il ne compte plus les fois où il est rentré dans cette boutique, un sourire espiègle placardé au visage. il ne compte plus les fois où il a posé son coude sur le comptoir de bois, la tête entre ses mains, à attendre que la même personne décide de faire une apparition. dans tout ça, il ne compte plus non plus les fois où il a demandé, presque supplié cette même personne d'aller boire un verre avec lui. et toutes ces fois, ces innombrables fois, c'est toujours la même réponse qui a résonné dans ses oreilles. toujours un refus. toujours un non merci dit avec tant de gentillesse, tant de volonté de ne pas blesser que l'on aurait pu entendre une affirmation, au lieu de cette négation systématique. il ne compte plus, asa, autant qu'il n'a aucune idée de pourquoi il revient, passe le pas de la petite boutique avec l'espoir qu'aujourd'hui, ce valery l'accompagnera dans un café, dans un bar, n'importe où. peut-être que parce qu'il le calme, détend ses nerfs. peut-être parce qu'il dégage une telle sérénité que asa, il en oublie les mauvaises choses et se concentre sur les bonnes : sur tekla et eliaz, sans artifice et sans embrouilles qui n'en valent même pas la peine, sur bo aussi, ce frère qu'il croyait perdu mais qu'il a finalement retrouvé. peut-être aussi parce qu'il l'intrigue, lui donne envie d'en savoir plus, de creuser toujours plus profondément et découvrir ce qui se cache derrière ce personnage trop aimable, trop souriant. peut-être pour toutes ces choses à la fois.
aujourd'hui, il fait le tour des étagères, le regard vagabondant d'une antiquité à l'autre et ses mains plongées dans ses poches. ses yeux détaillent, observent les moindres objets qui se trouvent devant lui jusqu'à ce qu'ils se posent sur un en particulier. un minuscule cheval de bois. l'attrapant, il se dit que ça pourrait être un cadeau parfait pour tekla et eliaz, un de plus à rajouter à la collection de ceux qu'il leur a offert à chaque fois que ses mots dépassaient la limite de l'indicible. il se dit aussi que ce serait une autre manière d'approcher valery, d'avoir un peu plus de temps à ses côtés, à discuter. alors il s'avance vers le comptoir, toujours le même sourire aux lèvres - peut-être encore plus grand lorsqu'il voit sa tête sortir de l'arrière boutique. – hallo, valery. asa, il ne parle jamais allemand et pourtant, avec valery, il trouve un certain plaisir à le faire. je peux ? qu'il demande en montrant le cheval entre ses mains.

high above the smokestacks (dandelion)

lunettes qui tombent sur le bout de son nez - qu'il remonte d'un doigt. valery les guiboles au sol qui, les souvenirs entassés, ramassés sur le parquet sont soigneusement notés sur un bout de papier. valery qui, la tête ailleurs, cherche à donner à ces objets d'autres allures - d'autres fins que celles enfermées entre les quatre murs du magasin. valery qui pousse un petit soupir, glisse une main hasardeuse dans ses cheveux d'encre, laisse tomber sa tête en arrière - jusqu'au cliquetis singulier, répétitif de l'entrée d'un client dans des limbes nuageuses. attrape sur un meuble pour s'aider à bien se redresser, enfin droit qui retient un éternuement sous toutes les poussières qui viennent déranger - peupler la lumière dans un ballet presque russe. sourire qui s'anime sur sa mine - celui de base, celui obligé, celui pour dorer l'image d'un commerce aux étrangetés. pour alimenter le mythe, de ce type sympa dont on marquera sur l'épitaphe qu'il souriait - sans s'attarder sur l'identité. valery qui papillonne des cils, qui s'étonne presque de ne pas s'y attendre - encore qui revient, un bonjour le premier jour, un compliment le deuxième, son prénom pour le troisième. semaine entière écoulée sous les mots de l'autre, des mots inconnus, incongrus - amusants tant ils sonnent à la fois violemment et tendrement. valery qui laisse sa tête se pencher sur le côté, laissant passer un rire sec, qui s'étouffe à la barrière de ses lèvres.
- salut. bien sûr que tu peux.
de la politesse du vouvoiement vite balayée pour une sensation plus familière - asa qui, maintenant dans le paysage, a trouvé une place de choix, parmi les âges qui se mélangent, ces meubles qui grincent et cette poupée au regard dépourvu de tout jugement. valery qui reste derrière la limite de l'humain - ce comptoir qui s'évite en passant de côté. valery qui n'ose pas dépasser les dimensions pour une autre réalité - son coeur qui pulse avec lassitude et curiosité. attention qui se pose, transpose sur l'objet du désir - un cheval à bascule qui ne fait que grandir sa mine de soleil éteint.
- oh. analyse de la petite oeuvre, battement des paupières pour l'admirer une dernière fois - avant qu'elle ne passe le pas de la porte, qu'elle trouve son bonheur ailleurs. ce cheval... je désespérais de l'voir partir un jour. il est là depuis que j'suis tout petit. je saurais même pas te dire ce qu'il traîne derrière lui. valery un peu raconteur, qui quand il le demande, invente les sentiments reliés à ces totems pourtant oubliés. inspiration profonde, qui redresse un peu son dos pour attraper le présent - zieuter l'étiquette au prix quasiment effacé, tant il n'a jamais été changé et qui en même temps, cale ses hublots sur le haut de sa tête.

- dis-moi... c'est la première fois que t'achètes quelque chose ici. on doit marquer ce jour d'une pierre blanche tu crois ?
valery qui cherche, valery qui laisse cette étincelle pétiller dans ses billes noires - valery qui s'y est fait. finalement. peut-être. sans doute. valery qui n'imagine pas un temps justement réparti, sans la silhouette d'asa qui réveille des fantômes endormis.