midnight creature (kodi)

elle n'avait rien de spécial, mais il lui semblait qu'elle était la plus belle fille au monde. oh oui, il en était fou amoureux. ses cheveux d'un blond vénitien que le vent se plaisait tant à caresser ont hanté ses songes pendant de longues années. on l'appelait samantha groover mais il préférait l'appeler sam. il se persuadait qu'il était le seul à le faire, mais ce sont des balivernes. ce surnom n'avait rien de personnel, toutes les samantha se font appeler sam. ils avaient sept ans le jour de leur mariage, sous le préau de la cour de récréation. on raconte qu'il neigeait abondamment. roméo s'était particulièrement apprêté et avait avalé une boîte entière de tic-tac à la menthe pour rafraîchir son haleine. il était déjà bien trop inquiété à l'idée de ne pas être parfait. ce fut la première fois que sa bouche en rencontra une autre. c'était court et mouillé, loin d'être réussi, mais ça leur avait plu. st-clair s'était juré de ne jamais oublier sam, de ne jamais tomber amoureux de quelqu'un d'autre. promesse rompue.

quinze ans plus tard, presque jour pour jour, roméo se retrouve face à un nouveau fantôme, prêt à le hanter, à le tourmenter à l'aide de ses pires supplices. cet enfoiré de kodi n'est pas prêt de quitter ses pensées. il les sent encore, ses putains de doigts qui se déploient sur sa gorge, sa foutue bouche qui fait danser la sienne. il en redemande roméo, il en redemandera toujours. il s'empresse d'extirper une clope de son paquet et de l'allumer. la fumée qui sort de ses lèvres est la seule chose qu'il est capable de prononcer. aucun mot, aucun son ne peut exprimer ce qu'il se trame dans son être. cette nuit, roméo a perdu. cette nuit, roméo s'est perdu. pas un bruit, roméo est gêné. pas humilié, ni même embarrassé, juste affreusement affecté par l'effet kodi sanders. le silence l'étouffe, il a besoin de parler de ce qu'il vient de se passer. il a besoin de le regarder, d'être avec lui, contre lui. "dis quelque chose" tu vois, t'es bien à deux doigts au final d'me proposer ton fric... kodi n'a pas fini de l'abattre. son corps trainant au sol doit encore subir les assauts du dealer. roméo déchante lorsqu'il le voit avec sa gueule fermée et ses yeux noirs charbons. face au connard qu'il affronte, il réalise qu'il doit assumer sa défaite. roméo st-clair est mort ce soir. il n'a ni la force, ni l'envie de lui rentrer dedans. il est vidé, contaminé par les traces venimeuses de ce baiser. il t'faut combien d'minutes à ton avis pour ensuite m'supplier de rester ? déconcerté, la tristesse s'applique à redessiner les traits du visage st-clair. déception, si l'on tend l'oreille, on peut entendre les fissures qui se forgent sur son coeur. il le bousille kodi, il le bousille. "kodi, je ne peux plus me battre, pas ce soir". en même temps, il n'y a rien d'étonnant, rien de surprenant. mais le roméo, il s'attachait à cette poussière d'espoir, celle où il lui semblait possible de se nicher au creux de ses bras et d'oublier comme le jeu peut être cruel. quel naïf. ça fait mal, roméo a mal. il prend sa clope et l'écrase discrètement au creux de sa main, le regard vidé de toutes parcelles d'émotion. ça brûle, ça le réconforte. il se débarrasse du mégot dans un cendrier avant de s'avancer vers la porte. seul. besoin d'être seul. fatigué, besoin de dormir. il se fait tard, tu devrais partir kodi. susurre roméo, une ultime fois, en guise d'au revoir. il ouvre la porte de l'appartement, la tête baissée, n'osant plus confronter l'aura du dealer. pauvre gosse. le voilà désespéré. il est loin le temps où il pensait encore pouvoir régner. il est loin le temps où il avait l'audace de lui cracher sa fumée de cigarette à la gueule. mais demain sera un autre jour. la bataille est perdue, mais la guerre ne l'est en aucun cas. il se le promet, il se promet de remporter la bataille. au moins la seconde fois, juste une. ce qui le heurte le plus, c'est de réaliser qu'il s'est non pas attaché à ce jeu, mais qu'il est désormais lié à kodi et à son être tout entier. tout va toujours trop vite pour roméo. il est incapable de maîtriser ses émotions, encore moins ses sentiments. kodi se refuse à lui, et c'est bien la première fois que ça lui arrive. roméo, tu sais ce qu'on dit, la roue tourne. elle a tourné la salope, et pas dans son avantage, jamais dans son avantage. casse toi. dit-il en levant sa tête. les poings serrés, la gorge nouée. "kodi, je te hais, kodi, tu vas me le payer".