the kitten & the lion • kai + jay

  

Tu aimes bien le retrouver ici. Parce qu'ici, ça a un sens pour vous deux. C'est ce qui marque le début de votre amitié. Un terrain de basket, similaire à celui où il avait voulu jouer le lion pour toi, sans parvenir à avoir plus de crédibilité que celle d'un chaton.
A cette époque on t'emmerdait souvent à cause de tes yeux bridés. Parce que ta place de jaune n'est pas dans la catégorie des sports mais dans le club d'échec, ou bien dans celui de sciences. Un de ces clichés qui prétend que les asiatiques sont bons en neurones mais pas en muscles.
Toi tu avais l'habitude, tu ne laissais pas ces idioties d'enfant méchant t'atteindre. Tu préférais leur clouer le bec en marquant un panier. Mais ça, il ne pouvait pas le savoir, le gamin impulsif. Il avait voulu te défendre, ce garçon sensible à qui on avait imposé ce club pour l'aider à sortir de sa bulle. Tout le monde avait rit à sa tentative et c'est soudain toi qui es devenu le lion. T'as prit le petiot sous ta protection.
Il savait à peine tenir une balle en main, maladroit et distrait. Un fardeau pour les autres joueurs qui, toi, t'a attendri. Tu ne l'as jamais autorisé à être le dernier choisi. Tu donnais toujours sont nom en premier. Tu lui as appris a dribler correctement, a ne plus perdre le ballon. Tu as essayé de lui montrer comment tendre son corps pour atteindre le panier, comment observer, viser, réagir. Il est devenu ta mission personnelle sur le terrain. Et puis, de cette tâche que tu t'es imposé toi même, il est avant tout devenu un ami.  Le garçon des étoiles. Comme tu aimes toujours le qualifier.

Aujourd'hui ces jours sont loin derrière vous. Des souvenirs qui remontent à une époque où tu étais si normal. Un garçon sans histoires, sans démons. Juste un collégien qui n'avait qu'à se soucier des boutons sur sa peau en pleine perturbation hormonale. Vous étiez plus petits, vous avez grandit. Il a fini par te dépasser quand ta croissance s'est arrêtée en premier. Malgré les années, la vie n'est pas parvenue à vous séparer. Toi le lion, lui le chaton. Il est devenu ton ami précieux, celui qui continue de t'attendrir depuis tout ce temps. Tu admires l'amour immuable qu'il continue de porter à ses étoiles. Ça te donne l'impression qu'il a toujours su qui il est au fond, alors que toi tu n'as cessé de te chercher pour mieux te perdre. Aujourd'hui tu es plus confus que jamais sur ton identité et tu l'envie. Tu aimerais ne pas te réinventer en permanence. T'adapter à cause de ton monstre intérieur. Celui que tu lui caches depuis qu'il s'est installé. Qui te force à tomber dans des déboires que tu tais. Avant tu lui disais tout pourtant, mais désormais tu gardes une part de toi dans l'ombre. A moitié étranger.

Tu l'attends sur le terrain, la balle rebondissant déjà entre tes mains. Il n'y a jamais personne à cette heure, l'endroit est désert et n'attend que vous. Tu mets quelques paniers, la technique au point. Seul, tu t'entraines en sentant déjà la sueur perler sur tes tempes. Tu l'aimes ce sport et même le sport en général. Il te change les idées, te canalise. Alors souvent tu joues, même lorsque tu n'as pas d'adversaires.
Finalement, il te rejoint et tu l'accueilles en lui lançant le ballon, pour chauffer ses reflexes, un sourire amusé étirant tes lèvres. Puis, éventuellement, tu t'approches de lui pour lui offrir une accolade amicale. "Salut mec." Tu le salues tandis que vous vous dirigez vers les gradins pour vous y asseoir. Un rituel. Il te rejoint souvent après l'effort avec des smoothies frais que vous dégustez en échangeant vos dernières nouvelles, les yeux rivés sur le terrain vide. "Ça a été ta journée ?" Tu commences en toute banalité.