Foolish children _(Ike)

Les paumes sont appuyées contre le carrelage recouvert de condensation. La tête penchée vers le bac de douche, j’espère me noyer dans chaque goutte brûlante qui me dégouline sur la peau. J’suis en descente et ça va mal. J’ai l’impression que mes deux hémisphères s’entre-dévorent sous mon crâne.
Reprends un p’tit truc Tim, d’toute façon t’es plus à ça près.
Ou alors va dormir. Pour une fois que t’es pas à balle et qu’t’as les paupières qui s’ferment.
Ouais mais non. J’veux ni l’un ni l’autre.

J’arrête le jet d’eau d’un geste sans bavure et sors de là, en foutant partout au passage. La salle de bain ressemble plus à un placard qu’autre chose mais au moins elle est pas sur le palier. Et puis même si ma piaule est à chier j’arrive à lui trouver un certain charme. Ne serait-ce que parce que j’évite de me coltiner des coloc’ ; j’suis pas fait pour vivre en meute H24. Sans compter que l’proprio’ est un ami de la tête, ce qui m’permet de pas forcément payer mes loyers ridicules en temps et en heure.
D’un revers de main j’essuie le minuscule miroir fêlé qui surplombe le lavabo. Une tronche de macchabée s’y reflète. J’ai le teint crayeux. Même mes lèvres n’offrent aucun relief ; elles sont parfaitement blêmes, figées sur les dents. Y a que les yeux qui paraissent vivants : deux billes bleutées qui m’dévisagent avec ostentation.
T’as vraiment une sale gueule mon vieux.
J’suis pas complètement con, j’sais très bien que ma façon d’vivre m’use précocement. A force de martyriser mon foie à coup de gnôle. Sniffer n’importe quoi. Rester éveillé des jours d’affilés avant d’sombrer dans un sommeil peu réparateur jusqu’à c’que le soleil se couche.
En même temps, c’est pas comme si j’en ai grand-chose à faire.
J’retrousse les lippes en rictus - prêt à mordre - et m’en vais enfiler les premières fringues qui me tombent sous la main. Dans l’même élan j’envoie un message à Ike qui m’a fait jurer de le voir ce soir. J’suis déjà en retard.
Au moins j’ai fait l’effort d’prendre une douche.
« Jarrive »
J’en ai pour dix minutes jusqu’au Sinner, juste de quoi m’échauffer.

La soirée a pas encore vraiment débutée mais y a déjà du monde à l’intérieur. Surtout des piliers de comptoirs et des dalleux qui veulent avoir la meilleure place au pied des estrades. Quelques uns m’lancent des regards en coin quand j’avance dans la salle. Au choix, l’envie ou le dégoût s’y lisent clairement. Parfois les deux. J’me contente de les dévisager avec un demi-sourire insolent et ils repiquent aussitôt dans leur verre.
Tout l’monde sait qu’il faut pas faire chier le staff.
Surtout pas maintenant, alors que j’dois avoir une de ces fameuses grandes discussions avec Ike. Le genre absolument plombante. On a juste eu à évacuer l’cadavre d’un branleur, c’est pas la fin du monde. J’vais éviter de lui dire, mais Sil a eu raison d’lui loger une balle entre les deux yeux. De toute façon le type pouvait s’en douter : faut pas se mentir, le business dans l’quel on donne c’est sale. Même en choisissant vos quartiers et vos partenaires commerciaux, y a toujours un moment où il faut savoir mettre les points sur les i avec des mecs qui veulent vous la mettre à l’envers.
J’pense que si j’avais été là son extinction aurait été moins douce.
Ça doit être pour ça qu’ils me programment jamais sur les livraisons.

J’louvoie jusqu’à la salle à l’arrière, uniquement réservée aux membres. Au passage j’salue Polly en train de s’préparer, aussi mignonne que d’habitude avec ses minuscules pompons accrochés à sa poitrine. Ils sautillent joyeusement. Et j’parle bien sûr de ses seins.
Dix enjambées après j’prends pas la peine de toquer et pousse directement la porte.
Ike est déjà là, évidemment. Il a presque bonne mine. Selon mes critères en tout cas. Les sourcils toujours aussi froncés que d’habitude et les traits durs. Puis y a sa main aussi qui s’rajoute au tableau, enveloppée dans des bandages plus très clean.
Y a un bref éclair de lucidité qui me traverse les neurones – parce que parfois ça arrive – quand j’me dis qu’il pourrait p’t’être taper une crise en apprenant que j’ai refilé un glock à Nora. Vilain squelette toujours pas sorti du placard. Mais comme j’l’ai dit, ça fait que traverser. Au pire, tant pis. L’idée s’évapore en une demie seconde et j’me colle instantanément un sourire de sale môme sur le visage.
« Salut vieux. » Ma voix garde un nombre de décibels normal pour une fois. C’est toujours comme ça quand j’suis avec Ike : il est plus efficace qu’un trip à la kéta pour m’calmer un peu. « T’nous as commandé à boire au moins ? J’aime pas discuter des trucs merdiques sans un verre. »
J’tire une chaise en face de lui et étend mes longues jambes sur le plateau usé de la table. Je me mets à m’balancer d’avant en arrière.
J’attends, et étonnamment, en silence.

Il a pas envie d'être là. Absolument pas. Les lumières tamisées, l'ambiance électrique, la musique qu'il a entendu cent fois, ce soir il a pas envie de l'entendre. Même dans l'arrière salle, tout les bruits le dérange encore. Et plus loin derrière, y a tout ce qu'il ne peut plus avoir. Les gueules amochées aux poings assurés qui cherchent à se fracasser. Le tumult exalté des parieurs et le sang qui entache le bitume. Il a sa place ni vers la scène, ni vers le ring. Il a pas sa place ici, pour l'instant et il déteste ça. Apathie forcée qui le fait bouillonner. Il attend plus que l'instant ou il pourra bouger la main sans avoir mal et brandir le poing pour un oui ou pour un non. Il se souvient pas de la dernière fois ou il s'est retrouvé dans cette situation, à plus pouvoir faire ce qu'il savait faire de mieux. Il connait que ça ike, l’hémoglobine qu'il fait couler et les ecchymoses qu'il cause. Ce soir il lui reste que les siennes. Mains rouge et gonflée, sang coagulé sur la peau. Pour l'instant il lui reste que les mots, ceux qu'ils utilisent beaucoup moins bien que ses gestes. Y a plus que ça pour passer le temps, tromper l'ennui, oublier tout ce qui tourne en boucle dans son crâne. Il y arrive assez bien parfois mais pas maintenant. Les yeux fixés sur l'horloge, le verre à la main. Et tim en retard. Encore. Toujours. Il regarde même pas son téléphone quand il sonne, persuadé que c'est lui. qui d'autre? y a plus grand monde pour venir prendre de ses nouvelles, pas grand monde à qui il en demande non plus. Ceux qu'il a laissé tombé et ceux qui l'ont laissé tombé. Il reste une poignée de nom, quelque visage. Tim dans le lot, sans qu'il sache si c'est encore pour longtemps. sans doute pas. y a une malédiction qui plane, ou un besoin malsain de détruire un peu plus ce qui l'entoure. Profiter du moindre détails pour en faire une éruption, ravager pour se sentir mieux pour quelques secondes. Il se répète qu'il s'en fiche dans le fond, que ce flingue putain, c'est pas son problème. Il sait que ça suffira pourtant à aller trop loin, bonne – fausse – excuse pour hurler contre quelqu'un. Il a l'impression d'en avoir besoin. Il hésite pourtant quand Tim débarque enfin, son air de petit con qu'il apprécie un peu trop malgré lui, son air calme qui cache beaucoup de chose. Il est rassuré, un instant, de le voir arriver, de se dire qu'il est là. Qu'il est pas seul. « t'habite a côté, ça t'arracherais la gueule d’être a l'heure? » ça lui arracherait la sienne d'être de agréable, en tout cas. Il montre d'un geste vague le verre sous son nez, celui qui attend depuis aussi longtemps que ike qu'il daigne se pointer. Pas décidé a offrir un sourire ou même un regard courtois. Ca fait plusieurs jours déjà qu'il parvient pas à être de bonne humeur. Ou peut-être des semaines, des années ? Le temps passe trop vite, il a plus le temps de le voir défiler à force de rester inerte, de plus prêter attention à rien. Seulement des détails qui irritent son esprit, comme le flingue manquant. Foutu casse-tête. Il aurait préféré que ça s’emboîte autrement et que la solution soit ailleurs mais il voit pas de qui d'autre ça viendrait. Pas de sil, certainement pas de lui. La tête et le corps sont trop réglo pour ça. Reste que Tim, électron libre, emmerdeur pas toujours dans le rang. Le gang oui. Après ses désirs à lui. Et il voudrait lui sauter à la gorge tout de suite, même s'il y a aucune preuve, trouver un coupable et lui faire payer. Comme toujours. Un cumul de rage qu'il a pas extériorisé depuis que sa main est hors service. Il en crève d'envie mais c'est Tim. Il se cale sur sa chaise avec son air renfrogné, termine le verre dans un silence trop rare entre eux. quels trucs merdiques exactement? » y en a tellement qu'il les compte plus, mais ils ont sans doute pas la même merde en tête. Si Tim pense qu'il est venu parlé de cette nuit-là il rêve. Ike préfère la garder bien planquée sur le tapis, faire comme si elle n'avait jamais existé pour pas se rappeler que c'est un peu sa faute, pour pas se souvenir qu'il sait pas quoi dire à sil, qu'il en veut a nora. Qu'il s'en veut a lui surtout, mais qu'il acceptera jamais de l'avouer. Il a pas envie d'entendre parler d'un cadavre, de la panique, du nettoyage. Il veut pas savoir ce qu'ils ont fait du type, il veut rien savoir. Juste ne plus en parler assez longtemps pour espérer que tout le monde oublie cette histoire. « peu importe. » il a au moins le pied valide, il en profite pour taper dans le pied de sa chaise, irrité par son air trop serein, brin de sourire aux lèvres. La nonchalance qui l'avait souvent fait sourire, ce soir elle l'énerve. Mais qu'est-ce qui l'énerve pas en ce moment ? « nora m'a dit que tu lui avais filé un flingue. » mensonge éhontée, évidemment elle crache pas le morceau, évidemment il compte juste sur la franchise de tim qui s’embarrasse pas tellement des mensonges. Il omet, il oublie de parler, il ment moins souvent. enfin il croit. et si, au passage, il peut vouloir bousiller la gueule de nora pour l'avoir vendu, c'est ike qu'a tout gagné.

Évidemment, il est aussi aimable d’une porte de prison. J’me marre tout seul devant ma réflexion. Il doit croire que j’me fous de sa gueule. C’est pas loin remarque.
J’me rends enfin compte des verres posés entre nous et descends le mien d’une traite, sans formalité. Ça me brûle tout l’œsophage mais au moins y a des chances que ça atténue les tremblements infimes de mes mains.
Ike fait pas dans la dentelle : il déchiquète tout consciencieusement à coup de syllabes. Ça me met la puce à l’oreille. Il est pas content, j’veux dire plus que la norme, et j’risque de passer un sale quart d’heure.
J’aurais dû m’envoyer un truc dans le gosier avant d’venir finalement.
« Bah tu sais, du sautage de plomb de notre p’tit blondinet, la cervelle éclatée et tout ç… »
J’manque de me vautrer quand il envoie son pied dans ma chaise à l’équilibre précaire. J’ai même pas l’temps de finir ma phrase qu’il me coupe d’une voix sourde. C’est pas une nouveauté ; j’parle beaucoup et la plupart du temps pour balancer des amabilités ou des imbécilités. Rien qui ne l’intéresse sauf quand il a besoin de s’changer les idées.
Mais y a son ton qui est différent. C’est celui qu’il prend pendant les réunions quand y a des choses sérieuses à évoquer. Ou un problème. Et en ce moment on en a à la pelle justement. J’sais plus sur lequel me positionner.
D’un air nonchalant j’décide de m’occuper les mains et les lèvres en m’allumant une clope. La nicotine est apaisante une demie seconde. Demie seconde seulement parce qu’il me lance la fameuse bombe nucléaire. L’ogive de destruction massive est posée entre nous, prête à tout ravager dans un rayon de dix kilomètres.

J’ai deux choix qui s’offrent à moi. Le premier, et le plus facile mais pas l’plus simple, mentir. Juste une petite omission qui m’permettrait de conserver la tête sur les épaules. Le second consisterait à exposer toute la vérité nue. Et donc signer ma condamnation.
Le corps est toujours indulgent avec moi, j’sais que s’il le découvre je pourrais passer entre les mailles du filet. Quant à la tête il doit avoir d’autres choses à gérer pour pas avoir l’temps de s’occuper d’une broutille pareille. Mais les poings…
Je ne doute pas un seul instant de la réaction d’Ike. Il va m’buter pour avoir osé toucher à sa connasse de copine.
Fait chier.

« Nora raconte beaucoup d’choses. Elle en fait aussi beaucoup. » J’désigne sa main momifiée, signature sanglante de la jeune femme. « Et j’l’aime pas assez pour prendre un risque pareil. J’sais même pas si elle saurait tirer correctement. Jusqu’à preuve du contraire c’est Sil qui a eu assez d’talent pour buter quelqu’un, pas elle. »
À aucun moment j’me suis départi de mon sourire séraphique. J’choisis la première solution parce que j’tiens à ma peau, au moins suffisamment pour essayer d’esquiver l’exécution. Puis si vraiment Nora lui avait tout raconté il se serait pas embarrassé d’une discussion. Il m’aurait mis ses phalanges dans la gueule, encore et encore, avant de passer aux palabres.
Alors j’nie en bloc.
Nos regards s’entrechoquent. Quatre billes d’acier qui s’lâchent pas, jouant à qui craquera l’premier.
« Tu prends autr’chose ? »
Le duel s’arrête quelques secondes alors que je lui montre nos conso à sec. J’ai vraiment besoin d’un ravitaillement. Un double de préférence. J’écrase mon mégot incandescent dans le cendar et vais passer ma tête par l’embrasure de porte. Une des serveuses est en train de se tourner les pouces en contant fleurette au barman.
« Oh ! » Elle tourne son joli visage vers moi avec une expression agacée d’être dérangée. Quand elle se rend compte à qui elle a affaire elle s’adoucit immédiatement. « Mets nous la même chose. Double dose pour un. Magne. »
Y a aucune douceur, juste la violence qui affleure.
J’retourne à l’intérieur pour m’affaler sur l’assise inconfortable.
« Putain, on pourrait investir dans du vrai matos non ? »
J’râle pour la forme, mais surtout pour détourner le sujet.  

Il a l'impression que c'est tout son sang qui quitte son visage. Les doigts crispés, même ceux de la main abîmée qui provoque un élan de douleur dans tout son bras. Il a toujours apprécié sa nonchalance, Ike, il trouvait ça rafraîchissant cette façon de se foutre de tout. les blagues cyniques de tim, il les a entendu mille fois et souvent, s'il répondait rien parce qu'il aime trop se taire, c'était relaxant d'avoir la sensation que rien n'était important. Il désamorce les bombes d'un humour grinçant. Mais cette bombe là, ike il préfère pas y toucher. Il la laisse aux autres, et tant qu'il peut, il en reste éloigné. Le plus possible. Il aurait du se douter que Tim se gênerait pas pour en faire une nouvelle pièce de son one man show. et ça lui met les nerfs. c'est presque un plaisir de taper dans le pied de sa chaise du coup, quoique c'est plutôt dans sa gueule qu'il voudrait mettre le poing maintenant. s'il pouvait mais il peut pas et pour ça aussi, y a qu'une seule fautive. Les yeux sur sa mains. Il sait, tout ce que nora peut faire. Tout les mensonges qu'elle peut débiter. Toutes les vérités qu'elle peut dire aussi. C'est tout le problème avec elle – outre le fait qu'elle soit un probleme a part entière – elle est trop changeante. Inattendu. Malheureusement pas digne de confiance dans un groupe comme le votre. Il le savait, il voulait pas d'elle dans le coin parce qu'elle fout le bordel ou qu'elle passe. Le gang c'était son havre de paix, sa famille. Presque un lieu saint et sa présence est blasphématoire. Il lui a pas fallut longtemps pour envahir ça aussi, pour détruire ici aussi. Y a nora et déjà, tim qui offre des flingues et un cadavre. Demain, c'est tout le sinner qui sera en cendre, et y aura qu'elle a blâmer. toujours. « si elle est capable de ça avec moi » il lève la main. « ça devrait pas t'étonner qu'elle soit pas loyale envers toi. » et envers qui, de toute façon, sinon Sil ? Il a pas besoin de savoir qu'elle l'a pas vraiment balancé, ça veut pas dire qu'elle l'aurait jamais fait. ou peut-être que si. mais c'est pas important ce soir, elle est pas là pour s'en défendre. Il veut juste souligner l'évidence : ike pas plus que tim ne compte vraiment si nora avait un objectif. Gamine trop butée pour dévier de son chemin.  « ouais. » davantage un grognement qu'une réponse. Il pense a sil. Une détonation. Un silence sûrement. Du sang, beaucoup trop. Et lui qu'était pas là, évidemment. Il fonce le nez dans le verre jusqu'à le vider, la chaleur de l'alcool pour brûler ses pensées. Il en veut sûrement plus a Tim pour lui rappeler tout ça plutôt que pour le flingue donner a Nora. Ca fait plusieurs jours qu'il a volontairement éviter tout ce qui – et ceux qui – pourraient vouloir revenir sur le sujet. « pas sûr que ce soit un talent. » pas sûr non plus que sil soit heureux d'être un tireur plus agile que lucky luke. Encore moins sûr qu'il apprécie d'avoir du sang sur ses mains. Et dans le fond c'est pas tellement ce qui l'inquiète. Il a assez d'égoïsme pour se soucier surtout de ce qu'il doit penser de lui maintenant. Il doit bien se rappeler qu'il aurait du être là, qu'a la place y a eu nora. Et merde, c'est ça qui fout les boules. Il pourra nier tant qu'il veut, il s'inquiète pour sil mais certainement pas autant que pour lui-même. Ca le soulage que Tim parte demander une nouvelle tournée, ils en ont besoin. Et ça lui laisse le temps de respirer un grand coup, de laisser cette nuit là ou elle doit être : entre les mains des coupables et certainement pas entre les siennes. Tant qu'il le décide, il aura rien a voir avec tout ça. Et pour l'instant il est pas prêt à en parler comme si c'était déjà loin. « c'pas a moi qu'il faut te plaindre pour ton divin fessier. » y a un brin de sourire qui affleure, parce que ça reste tim, que dans le fond c'est toujours son pote et qu'il a besoin de ça. D'instants, même fugace, qui le soulage un peu. Et même avec toute la colère qui affleure et qui cherche juste une cible, il se fait borderline à sourire a ses paroles. Juste un instant. Avant de se refermer.  « et donc, elle m'aurait menti? » il reviendra pas sur ses paroles, sauvera pas nora. Il continuera d'affirmer qu'elle l'a balancé, même s'il s'avérait que c'était pas Tim, il se souviendra au moins qu'elle l'a dit. Vérité ou mensonge, elle l'a dit. Même s'il l'a inventé. « sil lui aurait jamais filé de flingue, il préfère la couver comme une mère poule. J'lui aurais pas filé non plus, elle sait déjà pas aligner deux pas sans se vautrer. » surtout parce qu'il est toujours là pour lui faire des croches-pied. Mais ça aussi, c'est qu'un détail. A l'époque, c'était son jeu préféré, la faire tomber dans les flaques de boue. Il sait plus lequel des deux fait vraiment tomber l'autre maintenant. « les autres non plus lui aurait pas donné, pas assez confiance. Elle serait capable de braquer le sinner avec. » les verres arrivent, la serveuse s'attarde pas. Sûrement parce qu'elle sent la tension, ou simplement parce que de toute façon personne fait attention a elle. Il a les yeux braqués sur Tim, jusqu'à ce que la porte se referme. Il prend le temps d'échanger les verres, la double dose c'est pour lui.  « il reste que toi, on sait que t'es pas trop a cheval sur les règles. » il le dit, assez détendu. étrangement, plus il étaye ses propos plus il y croit. plus il comprend aussi. est-ce qu'il peut en vouloir a tim d'être tim ? ça a jamais été un problème dans le fond, il fonce. En première ligne dans toutes les emmerdes. C'est sans doute pour ça qu'il a indubitablement sa place dans le gang, électron libre à peine canalisé, bourré d'énergie brut dont il use a la moindre occasion. Forcément source d'emmerde mais jamais rien de grave. Pas jusqu'ici. Pas sûr que ce soit encore le cas, maintenant.

Oh. Ça c’est intéressant.
Au lieu de laisser couler Ike rembraye sur la même question. Il m’agite toujours la faute de Nora sous le nez, comme un steak appétissant sous les babines du dogue. Dans l’espoir qu’il y morde à pleine gueule, les crocs dégoulinants de pourpre.
Evidemment, j’fais comme si j’avais rien entendu.
« Quoi, j’pensais que t’avais un minimum de poids dans la boîte. ‘Fin au moins assez pour qu’on ait des sièges conforts… »
Ike est légèrement plus ancien que moi au sein d’la bande. Ce qui explique le plus grand ascendant qu’il a dans les décisions importantes. Comme dépenser un paquet d’billets pour de bons fauteuils. Et non j’le lâcherai pas avec ça. C’est ma porte de sortie.

Enfin, je l’ai tenté comme telle en tout cas. Parce que le nerveux en face de moi il continue de plus belle. Tu parles d’un dialogue de sourds. Chaque énumération qu’il débite est un doigt de plus pointé vers moi. J’en ai bien conscience. A un moment j’vais m’prendre le retour de boomerang en pleine tronche. Pour ça, mais p’t’être aussi pour l’jeu commencé lorsqu’un pistolet a mystérieusement disparu de l’arsenal.
« Bah, elle a pu l’racheter à quelqu’un à qui on a vendu. T’as qu’à demander la liste de sortie. »
J’sais que ça va me donner un peu d’temps avant qu’il obtienne la preuve éclatante de ma culpabilité. Juste de quoi préparer un éventuelle parade. Le genre qui vous fait flamber d’colère et qui vous musèle. Comme Nora qui graviterait d’un peu trop près des sphères illégales du Gang. Au bout d’un moment si elle en sait trop elle aura plus l’choix : y rentrer ou crever.
Ça résoudra pas mal de problème. Les deux là, le chien d’garde et le blondinet, retrouveront enfin toute leur tête pour arrêter de foirer. L’un peu plus combattre à cause d’elle. J’imagine qu’elle a pas dû y aller de main morte ; violence justifiée par une animosité ancrée depuis un bail j’ai l’impression. Et l’autre est devenu meurtrier alors qu’il est même pas majeur.
Ça tourne pas rond, parce qu’ils sont tous en train d’se rentrer dedans comme des boules de flipper. Si j’les mets tous dans un même petit cercle, ils vont bien finir par arrêter de s’entrechoquer.

J’reporte mon attention sur la serveuse. Une nouvelle, j’sais pas comment elle s’appelle. En tout cas mes rétines sont enchantées d’faire la connaissance de son fessier. Les siens m’lâchent pas non plus et j’en profite pour lui glisser un de ces sourires de mauvais garçon. J’en oublie momentanément mon interlocuteur qui échange les verres, serein. J’suis bien trop occupé à m’imaginer la chute de reins de la nana sans son jean moulant quand elle retraverse la pièce pour sortir.
J’descends une nouvelle longue gorgée.
C’est décidé j’vais lui demander son numéro dès qu’Ike a fini d’me casser les couilles avec Nora.
« Ouais c’est sûr. Blâmons donc Tim, c’est toujours lui qui fait tout foirer ! Sans déconner, vous en avez pas marre de c’couplet ? » Le minois chineur réapparaît, prestidigitateur. « J’ai d’autres trucs à foutre de ma peau que d’aider une merdeuse. »
Chiller avec Kamil. Me mettre à l’envers avec Jem. Emmerder mon monde. Sans parler du taff qui me prend un temps monstre avec les sous-effectifs actuels.
Mais c’est pas aussi fun que No en chute libre.
Ike a pas besoin de l’savoir.
Pas encore en tout cas.
« Bon, et plus sérieusement… » Déjà l’sujet suivant au bout de la langue et des papilles engourdies par l’alcool. « Tu pourras t’y remettre quand aux combats ? Ça va pas t’foutre dans la merde avec la thune ? »
Au Sinner on manque pas de grand-chose. Mais c’est l’travail qui mérite salaire. Alors un challenger privé d’arène, c’est pas de paris et donc pas d’gains. Les bookmakers sont formels là-dessus. J’me dis qu’il pourrait demander une avance sur salaire à la tête. Après tout, il a encaissé suffisamment par allégeance pour pouvoir y prétendre.

il en fait qu'a sa tête, évidemment. Même pas sûr qu'il l'écoute, il selectionne ses paroles, répond à ce qu'il veut. A tout sauf ce qui l'intéresse finalement. Rien de ce que ike veut savoir. Le débat sur le confort des chaises c'est bien le dernier point qu'il comptait aborder. Il en a rien a cirer de l'ergonomie. « si tu trouves pas ça confortable reste debout et arrête de faire chier. » parce que tim, il est toujours comme ça. Toujours a parler de truc sans importance quand il voudrait parler d'un truc sérieux. C'est presque suspicieux, cette façon de toujours revenir sur un sujet futile, aussi étrange que lui qui revient sans cesse sur le flingue de nora. Vraisemblablement ils se cachent mutuellement des choses et tim couchera pas d'aveux sur cette table aujourd'hui, il peut pas l'y forcer même si c'est pas l'envie qui lui manque. Il donnera pas a nora l'importance qu'elle a vraiment dans le fond, il s'énervera pas pour quelque chose dont il est pas encore certain juste pour répondre au besoin pernicieux qu'il ressent toujours : celui de la protéger, même quand il prétend qu'il n'y a plus rien qui les lit. Il soupire en se calant dans le fond de la chaise. « dis pas de connerie, tu veux qu'elle l’achète avec quel argent ? A moins de faire le tapin je vois pas comment elle peux se payer quoique ce soit. »  et elle ferait beaucoup de chose pour s'en sortir mais il l'imagine difficilement se rendre jusque là. Trop fière pour se laisser dompter pour quelques billets balancé sous son nez. Y en a plus d'un qui y perdrait sans doute des doigts. Ou pire. Même tim doit savoir ça, balance des possibilités finalement improbable avec la nonchalance de celui qui y croit. Ou qui s'en fout. qui prétend s'en foutre? peu importe, il fait déjà plus attention, les yeux collés à la serveuse comme un prédateur prêt a sauter sur sa nouvelle proie. Le sinner est son terrain de chasse favoris, des filles a dispositions tout les soirs. Des clientes ou des employées qui finissent toujours par se voir avoir, prendre l'air renfrogner et plus jamais revenir. « sérieux ? » il a le soupire des figure paternel qui juge le comportement insipide de leurs gosses. Encore une serveuse qui va passer plus de temps a faire les yeux doux a Tim qu'a bosser correctement. S'il continue comme ça, y aura plus aucune fille disponible pour bosser. Il peut pas s'empêcher de sourire pourtant, amusé. Dans tout le bordel de leurs existence, y a au moins des choses qui changent pas. Tim toujours le même, point d'ancrage. Pas toujours fiable mais toujours présent. « c'est celui qui sonne le mieux. » de couplet. Celui qui est toujours le plus évident. Il est là depuis un moment et pourtant, il a cette liberté et ce je-m'en-foutisme qui fait toujours de lui le coupable idéal à chaque problème dans le gang. Souvent, c'est même sûrement vraiment lui le coupable. Mais s'il sait foutre le bordel, il est aussi assez intelligent pour le caché. C'est tout le talent de Tim. C'est tout ce qui est inquiétant aussi. Ike lui confierait sa vie pendant un instant, mais jamais trop longtemps. on sait pas ce qu'il en ferait a la longue. c'est toujours sur la durée que ça coince. Comme si, au bout d'un moment de calme, il était toujours obligé d'expulser le double d'énergie. Sans qu'on sache jamais comment avant que les répercussions soient visibles. « ah non ? Et t'as quoi d'autre a foutre? » rictus au goût d'ironie amère. Il essaye de rire, mais il est encore crispé. Dérangé par l'idée que nora lui a pas tout dit, que tim non plus. Que ceux sur qui il a toujours compté essayent de le prendre pour un con sans qu'il puisse démêler le vrai du faux, le mensonge de l'ignorance réelle. « j'en sais rien. » et ça l'emmerde encore plus que le flingue, encore plus que d'avoir lâché sil. Plus pouvoir faire ce pourquoi il est le plus doué. Les yeux sur sa main qu'il bouge a peine pour pas réveiller la douleur. « sûrement pas maintenant, elle m'a pas loupé la garce. » rire amer. De tout les coups bas de nora, c'est le pire, celui qui l'atteint le plus. Elle est plus là, mais elle est pas partie sans foutre le bordel dans toute sa vie. Il est coincé, acculé dans un coin du sinner sans pouvoir rien faire. « j'vais me débrouiller, j'ai pas encore trouvé comment, mais j'vais me débrouiller. » c'est ce qu'il fait toujours. Même s'il le fait de travers.

Ike a des mots durs envers sa protégée. Ça sent la fêlure, l’égratignure à aller gratter. J’ai toujours trouvé leur relation étrange avec toutes ces effusions dissimulées sous une tonne d’agressivité. P’t’être aussi parce que j’suis incapable de concevoir une amitié avec le sexe opposé sans avoir d’arrière-pensées.
J’vois bien l’regard agacé qu’il m’envoie quand je me focalise sur la gonzesse avec sa paire de fesses affriolantes. J’me contente d’un sourire de loup. Il sait comment j’fonctionne ; toutes des proies, dont la plupart sont dévorées jusqu’à l’os avec succès. Plus elles courent, plus l’plaisir de la chasse s’attise. Et si jamais l’une d’entre elles se sauve, elle passe direct dans l’top de liste.

Comme d’hab’ j’m’en prends plein la tronche. C’est devenu un sport national avec les gars, on sait plus se parler autrement qu’en teintant tout d’ironie et de railleries. Ike fait pas exception à la règle : il l’ouvre pas beaucoup mais il touche juste.
J’peux pas lui donner tort sur ma paresse légendaire. J’suis pas un bosseur. J’préfère m’occuper du minimum syndical au boulot – surtout si c’est pas très intéressant à faire – et pas trop m’fouler. Vous m’verrez jamais filer la main au bar pour servir des lourdauds en chaleur ou aider à compter une caisse. Les filles s’en occupent très bien toutes seules.
« Beh tu sais, gérer autant de copines c’est un vrai travail. Ça occupe tout mon temps libre en fait. »
C’est ça. Tu veux plutôt dire comater sur l’canapé en picolant ou sortir user tes semelles sur les trottoirs de Night Falls.

J’l’écoute essayer de se persuader que tout va bien. Ike et sa main inutile. Morte. J’pense sérieusement que ça va peser dans la balance avec Nora. Faut que je me l’note en pense-bête : lui faire payer le sang versé.
« Si tu veux j’peux t’prêter du fric. »
Ça m’en fera moins à cramer dans la dope. Tant mieux, faut que j’reste lucide pour torturer efficacement ma collection de rats de labo’.  Et au pire j’demanderai à Jem de m’dépanner.
« Sans intérêts évidemment. »
J’finis mon verre sans ciller. J’m’en rejetterais bien un p’tit troisième soit dit en passant, mais Ike pourrait penser que j’profite de la situation pour me la coller.
Je l’observe encore, muet. J’vois bien que son état l’emmerde : il est pas fait pour rester inactif. Il a la haine au fond des tripes, les nerfs à vif en permanence. Cogner sur les autres c’est c’qui lui permet d’évacuer tout cet infâme mélange et d’éviter de trop s’en prendre à ceux auxquels il tient. Pas étonnant qu’il soit d’une sale humeur. C’est comme si j’me retrouvais avec un clebs en collerette, prêt à se ronger lui-même la patte pour en être délivré.

« Pourquoi elle a fait ça ? »
Oh, j’devine bien que les torts sont partagés. Nora c’est pas une tendre, et Ike ne possède aucun mot ressemblant à « affection » dans son vocabulaire. Mais la loyauté ils connaissent tous les deux. On endure stoïquement leurs cris, leurs disputes légendaires, les verbes corrosifs. Compromettre leur intégrité physique en revanche, c’est nouveau. Ça a vraiment du dégénérer pour en arriver là. C’est d’ailleurs probablement en partie ma faute : j’me retrouve toujours mêlé à la merde qui traîne un peu partout. Selon moi ce sont pourtant les ennuis qui me cherchent, pas l’inverse. J’sais juste comment les gérer. Et les empirer.

Y a pas de poids sur les épaules de tim, ou alors il le cache bien. Y a cette nonchalance jamais encombré par la conscience qui donne toujours l'impression qu'il flotte, suspendu au dessus des réalités. Ça a le don de l'énerver souvent, ike. Jalousie mal placée. Il aimerait réussir à se délester de tout ça, le sinner parfois, nora souvent, ses fautes et sa mauvaise foi. Avoir l'air insouciant, comme si rien n'importait sauf maintenant. Et si un truc foire, l'oublier le lendemain, commencer autre chose, en rire sans se faire mal. En faire un souvenir teinté de nostalgie, ou même pas. Cesser de s'en rappeler un jour, parce que les ombres ne le poursuivent pas. « tant que ça empiète pas sur ton boulot. » si, bien sûr que si. Il lorgne sur tout les culs qui passent, il louperait peut-être un truc important, la tête enfoncée dans le décolleté de la nouvelle serveuse du moment. Mais dans le fond c'est pas important, tim a jamais mal fait son boulot. Trop acharnée pour ça, ravie de coller des baffes a ceux qui marche de travers plus pour le plaisir de se défouler sans doute que pour maintenir l'ordre. Ça lui frôle l'esprit une seconde que c'est lui qui aurait du être avec sil ce soir-là. Pas ike. Qu'il aurait du être celui vers qui on se tourne pour un plan de ce genre, aux risques moindres mais possible quand même, capable de faire le geste de trop sans mal en dormir la nuit. Plus apte à franchir les limites que n'importe qui, capable de protéger sil des ombres qui tentaient de l'étouffer. Appuyer sur la détente à sa place. Il ressemble a de la fumée tim, de celle qu'on ne peut jamais attraper, il est là tout le temps pourtant. Quand y a besoin, apparaissant pour jouer des poings, nettoyer un carnage ou détendre l'atmosphère. Il aurait pu être là pour sil, comme il tente d'être là pour ike. Même si ça l fait grincer des dents. « j'ai pas besoin qu'on m'fasse la charité. » pas encore, il voudrait dire, dans pas longtemps sûrement. au lieu de ça il crache sèchement les mots comme s'il l'avait insulté. Paye de misère quand y a plus les combats pour remplir le compte en banque. Mais même sans les intérêt il se sent pas capable de devoir quelque chose a quelqu'un, même si c'est tim. Trop expansif pour rester discret, il entend déjà les vannes fuser sur le versement, des blagues douteuses qu'il trouvera drôle en disant qu'il l'a sauvé de la misère, qui ne feront que lui rappeler à lui qu'il a eu besoin d'aide, qu'il a pas pu s'en sortir seul. jamais. trop fier pour céder à la facilité, s'imaginant déjà au bord du précipice, près à sauter plutôt que de courber l'échine. Aussi stupide que tout ces choix de vie, aussi stupide que lui. « parce qu'elle est tarée. » pas totalement faux, pas très vrai non plus. Si y avait que ça, il composerait avec mais nora et lui ça a jamais été qu'une questions de neurones manquant. C'est toujours ces jeux qui finissent mal, comme les gamins qui chahutent et finissent par se taper dessus. Ils ont grandis sans vraiment évoluer, encore a ce stade ou se chamailler les amuse mais ou la susceptibilité fait loi. Là ou le moindre mot de trop engendre le chaos, des sourires qui deviennent carnassiers et des couteaux plantés dans la chair. Et il peut pas expliquer ça a tim, le pathétisme de l'histoire. Une blague acide, une réponse violente, un crescendo de coups jusqu'à l'apothéose du carnage. A cause d'un canard. Ça laisse passer un rire sec, qui assèche les lèvres, brûle la gorge. « heureusement qu'elle avait qu'un couteau et pas un flingue. » ou qu'elle ne l'avait plus. Qu'il lui a reprit. Ou qu'elle l'a perdu.

J’lève les yeux au ciel quand je l’entends grincer des dents à propos des thunes. J’connais la fierté mal placée. Elle est typiquement masculine, inscrite dans nos gènes depuis toujours. Mais j’sais aussi que quand on est camarade de galères faut pouvoir la ranger de temps en temps. Certes, j’passe ma vie à l’chambrer. J’ai aussi aucun respect pour sa meuf. Ou sa future. Ou son ex ? J’sais plus mais ça n’empêche que j’en ai suffisamment pour lui en m’abstenant de l’dire. Et aussi parce que je tiens à c’que ma tête reste sur mes épaules.
« Arrête mec, on en est plus là. Combien d’fois tu m’as déjà sauvé les miches ? »
Quand j’étais trop à l’ouest - plombé par la tise et la dope - et qu’il devait me ramener chez lui. Ou lorsque j’avais la gueule tellement fracassée que j’pouvais plus ouvrir les yeux et qu’il me remplaçait au boulot. Ou même en prenant mon parti contre Zian qui voulait me sermonner jusqu’à m’faire péter les plombs.
Ike c’est pas un cadeau. Pas un mec optimiste qui vous tire vers le haut. Pas non plus le genre qui vous épargne en vous cajolant à coup de mots doux. Mais il est inébranlable. Une base solide sur laquelle vous pouvez vous appuyer sans hésiter. Et Dieu seul sait à quel point j’ai besoin de gens comme ça. A quel point j’les admire aussi, un peu.

Elle est pas en phase avec lui Nora. Ça sonne pas juste. Elle est pas assez abîmée, ou p’t’être trop justement. Pas assez loyale, ça c’est sûr. Qui irait planter celui qu’elle aime et comploter dans son dos afin de rentrer dans quelque chose qui n’peut que causer sa chute ? Excepté moi, j’veux dire.
Nan, définitivement, j’suis en train de lui rendre service.
D’ailleurs Ike me l’confirme directement.
« Tu crois qu’elle pourrait t’buter ? »
Va falloir que j’étudie sérieusement la question de son instabilité avant de l’envoyer au charbon ; j’voudrais pas qu’elle me colle une balle dans l’dos. Mais c’est ça qu’t’aime, non ? Le déséquilibre qui te procure de grands frissons. Okay, mais j’ai pas prévu de m’faire abattre par une pisseuse en mal d’affection.

Je repose les quatre pieds de ma chaise au sol et mes paumes à plat sur la table. J’en ai ma claque de toutes ces conneries : j’vais pas balancer d’avoir filé un glock à Nora. Il va pas me dire pourquoi elle lui a foutu sa main en l’air.
« Bon, si on a terminé… Une vraie nuit d’sommeil me ferait pas d’mal apparemment. »
J’me lève en prenant mon temps. Aussi parce que j’ai la tête qui tourne avec le whisky qui cogne aux tempes. Aussi parce que mon palpitant accélère méchamment et que les spasmes de mes muscles en manque s’améliorent pas d’un poil.
J’ai besoin d’un shoot et de temps pour réfléchir à mon plan. Comment j’vais aller dénicher Nora de son trou et que Ike le sache pas. Les manipulations à exercer pour la faire chuter dans mes filets. Et accessoirement récupérer le flingue et l’balancer à la mer. Cet engin me cause beaucoup trop de soucis pour rester dans la circulation.
« J’te vois demain ? »
J’le fixe avec un air toujours plus affable en hochant du chef. Même heure, même endroit.

J’claque la porte derrière moi et prends le chemin inverse à celui effectué une petite demi-heure plus tôt. Au passage j’en profite pour récupérer le prénom de la sublime nouvelle – Lily – et son numéro. Elle me le tend avec un joli sourire que je n’vois pas, trop occupé à lorgner son décolleté.
Lily sera dans mon lit deux heures plus tard, les joues rouge et cheveux en bataille.
On s’partagera une cigarette.
Et p’t’être même qu’on remettra ça un autre jour.