SIN & REED - Last kingdom

Last kingdom
@Sinéad Harris & Reed Taylor

La cloche sonne. Tu ne l'entends pas. C'est la preuve que tu es captivé par ta lecture. Toujours en alerte, tu ne te laisses généralement pas prendre au dépourvu, pas quand des bruits annonciateurs sont là pour te dire qu'un homologue est arrivé. Un homologue, oui. C'est ce qu'elle est quand elle n'est pas ta proie. Une bestiole intelligente, comme toi - potentiellement dangereuse, donc - qui t'as laissé tiré ton coup parce que ça l'arrange mais que tu ne domines pas à l'extérieur de la bibliothèque. Pas parce que tu n'en es pas capable - physiquement tu auras toujours le dessus sur elle - mais parce que, depuis la dernière fois dans ce bar, tu la respectes en tant qu'individu. La baiser comme une pute pour prendre ton pied ne te provoque aucun remords mais ne te rend pas pour autant méprisant envers elle lorsqu'elle vient s'asseoir à tes côtés et soutient ton regard. Assumant d'être en train de lire son livre, tu en marques minutieusement la page et le refermes lentement. Ta pinte touche à sa fin, tu es as moitié ivre, quelque part dans ces eaux troubles que l'on appelle " pompette " parce qu'on ne sait plus vraiment dire si l'on a prononcé quelque chose ou si l'on n'a fait que le penser en silence. Ces mêmes eaux dans lesquelles devait se trouver ton père quand il te déboîtait la gueule, l'haleine pleine du même whisky que Sin commande avant d'entamer la conversation.

La faire à l'envers à Buck ? Le parallèle te fait sourire intérieurement. Tu n'es pas encore assez saoul pour rire, mais tu sais apprécier l'humour gras quand il est raffiné. Les private joke sont des choses que tu adores parce que tu n'as jamais eu d'ami pour en partager. Personne qui t'intéresse suffisamment pour partager plus que des rapports de surface, en tout cas. Tu aimes qu'elle soit si froide, ça te facilite les choses. Tu peux parler avec elle comme avec un miroir : sans filtres. Elles ne te casse pas les couilles à nier ce que vous avez fait, elle assume les conséquences de ses actes. C'est rare. Suffisamment pour attirer ton attention. Il parle de qui ce bouquin ? De toi, de moi ou de ton frère ? Direct, percutant, brut comme ton coeur quand tu grinces ce genre de questions qui dérangent. Ta main se referme sur ta bière tandis que tu imites son cul sec dans un geste parfaitement synchronisé au sien. Là, tu fais un signe au barman de vous resservir. Malgré l'ivresse, tu restes calme, désespérant de nonchalance. Ton coude frôle à nouveau le sien lorsque tu tournes le visage dans sa direction. J'ai pas envie de parler de la météo Harris. Mon job c'est de parler de ton coquard. T'avais bien dis que t'hésiterais pas à mettre ta curiosité personnelle sur le compte de l'insigne. Connard. Peut-être que tu la domines un peu quand même, finalement, dans ton inquiétude à son sujet.

Il parle de qui ce bouquin ? De toi, de moi ou de ton frère ?
Elle devait se douter que les choses tourneraient de cette façon. Non pas parce que Taylor est flic mais parce que c'est avant tout le propre à l'humain. Suffit de voir l'horreur dans les yeux de Harris pour avoir envie de creuser. C'est un piège magnifique dans lequel on plonge et qui nous pousse à savoir que sa famille s'est fait déglinguer par un ado de quinze ans. Quinze ans, c'est tout juste l'âge dans lequel on découvre la vie, le moment délicat de l'adolescence où l'on se perd dans des expériences sensorielles. John avait trouvé la sienne dans les flingues et la mort de ses propres parents et soeurs. Il était trop pressé de se calfeutrer dans sa chambre ce jour-là pour vérifier toutes les pièces, chercher Sin et lui tirer une balle dans le crâne. Elle avait eu de la chance, enfin, là encore, tout dépend du point de vue. Ses doigts se resserrent sur le vere, elle ne se pensait même plus capable de ressentir une telle perturbation au fond d'elle. C'est comme si une plaie s'ouvrait soudainement et qu'elle laissait sortir de vieux démons inoffensifs. Et l'autre con qui en rajoute une couche avec son coquard qui n'a rien à voir avec elle, avec tout ce qu'elle représente. Les bleus, ce sont juste des dessins que la réalité pose sur notre peau et qui nous rappelle la fragilité de notre corps. Ce n'est qu'un amas de chair, de de sang, tout un fonctionnement bien précis où la moindre perturbation peut t'envoyer de l'autre côté. Le côté, la mort, une tombe abandonnée dans un cimetière.

Ton job est un bouclier sympa mais tu peux me le demander directement tu sais. Elle attrape la bière que Taylor vient de leur commander, en boit une gorgée, se fiche de la mousse qui lui forme une moustache. Ses yeux noirs s'attachent aux siens, lui montrent qu'elle ne cherche pas à faire la maligne ou être au dessus de lui. Non, Sin n'est pas encore assez bête. Elle sait que Reed la dominera toujours, que ce soit dans cette pièce ou assise à ce bar. Dans leur dos, la chanteuse élève la voix, joue de sa guitare avec un peu plus d'entrain mais cela ne fait que ralentir les battements de son coeur, la lenteur de ses réactions. Mon frère aurait jamais eu les couilles de devenir quelqu'un. Pourtant, paradoxalement, c'est de lui que lui vient cet ouvrage, peut-être un faible espoir qu'il renie au coin de sa tête et dont Sin se délecte pour se rassurer. Peut-être même que ce livre ne parle ni d'elle, ni de Reed, qu'il est simplement là pour combler le trou noir dans leur crâne. Tout ne doit pas toujours avoir une signification. Tu veux quoi Reed ? T'es un flic, tu sais déjà tout. Elle soupire, ce n'est pas hostile, elle n'a rien à reprocher au flic. S'ils n'avaient pas été là pour entourer la maison et la sortir de là, elle aurait succombé. Ce qu'elle pourrait leur reprocher, c'est les interrogatoires à rallonge qui ne servaient plus à rien puisque toutes les victimes étaient mortes. Leur rendre justice aurait été de les enterrer proprement, sans caméra tout autour et journalistes pour les emmerder à peine les corps sous terre. Sin passe ses doigts sur son coquard, elle le sait mérité pour avoir donné le coup la première, cherché la merde comme elle sait si bien le faire. Les épaules lourdes, elle boit encore un coup. Au fond, l'orpheline se doute que Reed est comme les autres, qu'il crée en lui un besoin malsain de savoir ce qu'elle pense, ce qu'elle devient. Ce doit être pour ça que là où les autres ont échoué elle parvient à dire une phrase, une unique sur sa façon de voir les choses, de considérer son frère. En quatorze ans ce n'est jamais arrivé, jamais. Qu'est-ce qu'il a de plus que les autres, Reed ? En dehors d'un gros pénis, il va sans dire. Une conscience effritée, une morale morte qu'il tente de compenser avec son arme. Un sentiment paradoxal de peur et de sécurité qui s'affrontent lorsqu'on le croise. Enfermer à vie un môme de quinze ans, c'est se dédouaner des véritables problèmes qui bouffent notre humanité. Le whisky la fait plus parler que la bière ; Sin voudrait fermer sa gueule pour ne pas que Reed pense à tout ce qu'elle lui dit ce soir lorsqu'il la prendra à nouveau. Elle pourrait lui couper l'envie d'aller plus loin rien qu'avec ses mots.
Pour ce qui est du coquard, j'ai frappé la première, on arrête là. Je t'ai pas refilé ce bouquin pour créer des liens. Ce serait suicidaire quand on sait de quoi t'es capable. C'est connu dans le coin que ce connard de Taylor n'est qu'un coureur de jupons, un bon tireur qui ne se cache pas de se barrer après l'acte. Peut-être qu'une femme l'a brisé et qu'il fait payer toutes les autres, le schéma bateau qui n'émeut en rien Sinéad. Si tel est vraiment le cas, il perdrait certainement de sa superbe et deviendrait encore plus inspirant pour elle.
Elle, reine des sentiments que l'on dissimule.

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@Sinéad Harris & Reed Taylor

Elle perce à jour la manoeuvre ; tu ne cilles pas. C'est aussi simple que ça : tu mens comme un arracheur de dents. Le résultat d'années d'adolescence passée au foyer social. Lorsque tu auras eu ta réponse, tu feras comme si de rien n'était, comme si ça ne t'atteignait pas, parce que ce n'est pas ce que l'on attend de toi - techniquement tu n'es plus en service - et que tu n'es de toute façon pas celui qui, des années plus tard, prend enfin le temps de lui demander comment elle va. Tu aimes seulement savoir où tu mets les pieds et avoir toutes les versions de l'histoire car tu sais que ce que disent les médias et les archives du commissariat ont un parti pris colossal. Le même genre de parti pris qu'avaient les voisins où la maîtresse quand il refusaient de voir les bleus sur ton corps, alors que l'inspecteur Dane Taylor sombrait dans l'alcool et se mettait à battre son propre fils. Personne n'a envie d'être celui qui brise la vie d'un flic parfait auquel est arrivé l'horreur de perdre sa femme dans une fusillade. Certains disaient que tout ça était en réalité un règlement de comptes ; qu'un voyou fraîchement sorti de prison était venu se venger de Taylor en zigouillant son épouse à l'entrée de son lieu de travail, dans un grand centre commercial. La tuerie avait fait la une de la presse locale mais avait rapidement été étouffée par la Police avant d'arriver à l'échelle nationale, de manière à ne pas ternir l'image du gouvernement lorsqu'on s'était rendu compte que l'un des proches d'une victime parmi toutes celles tombées se jour là n'était autre qu'un flic brisé. Prétendant protéger sa pudeur, ils ont tous fermé les yeux. Tu t'étais retrouvé seul dans ton calvaire. T'as raison, on aurait du lui tirer une balle. On. Les flics. Ceux qui font mal leur job. Ceux qui n'osent pas se salir les mains. C'est pas compliqué pourtant : t'appuies sur la détente et c'est réglé. Perdu. Un connard de moins sur cette planète. Certitude qu'il ne sortira pas de prison pour venir buter la seule qui a survécu à sa folie.
La noirceur de ton aura à cette instant fait peine à voir.

En soulignant la violence dont tout le monde te sait capable et que tu viens une fois de plus de laisser couler entre tes lèvres, Harris met soudain en lumière des coins d'ombre qui gagneraient à rester cacher. Sous-entendre que tu es un type peu fréquentable alors que vous parlez de son coquard revient à t'abaisser au même niveau que le responsable de la trace. Tu ne peux le laisser passer. T'as peur que je te frappe, moi aussi ? Première fois que du mépris s'échappe de ta voix.

Pourquoi tu fais ça ? Ca, rejeter les gens. Dresser des murs, les renvoyer dans leurs retranchements. C'est une question que beaucoup de monde se pose. Répondre salement dès que l'on touche à un point sensible est devenu un moyen de self défense savamment maîtrisé, persistant jusque dans l'ivresse. Difficile de voir lorsque tu te sens insulté, ton visage ne laisse rien passer. C'est ta voix qui tiens lieu d'alerte. Tu es un loup qui n'hésite pas à grogner pour dissuader le trop curieux d'approcher. Avec froideur et l'expression fermée, cela passe souvent pour de l'intimidation alors qu'il s'agit surtout de te protéger des coups. Le mec violent, à la base, c'est pas toi : c'est ton père. Te dire qu'il a déteint sur toi, c'est s'assurer une mandale en pleine gueule de la part de ton égo blessé. Une ressemblance qui te dérange, un arrière goût de déjà vu. Reed junior tient plus de son bourreau qu'on ne le croit ... Heureusement, tu as mis des stratégies en place pour ne pas frapper n'importe qui. Tes coups, à toi, ne s'abattent que sur ceux qui les méritent vraiment. Violeurs, assassins, maris violents ... et les casse-couilles aussi, parfois, quand tu n'es pas d'humeur. Mieux vaut dissuader Sin de se trouver des raisons de t'énerver en partant sur la pente glissante de ta réputation. Coucher dès que tu en as envie n'est pas la preuve que tu es un coureur, ce n'est qu'un dommage collatéral de ton impulsivité. Tu es une mine aux multiples facettes ; le cul, ça te permet seulement de ne pas exploser.

Peut-être.
Le goût de la bière donne une saveur amère à ses mots. Peut-être que ce serait mieux, oui, elle l'admet. C'est un fardeau pour Sin d'aller le voir chaque mois, de revivre chaque quatre semaines la mort de ceux qu'elle aimait, l'explosion de son foyer alors qu'elle se sent incapable de le laisser seul dans son trou. Elle sait comme la vie est plus douloureuse que la mort, qu'elle n'aurait pas souffert du décès de son frère parce que son deuil est un pack famille qu'on lui a offert à Noël et dont elle n'a pu se rétracter. Sinéad est à deux doigts de lui dire, sa langue lui pique, ses lèvres lui brûlent. Elle voudrait se confesser sur sa vision de l'existence, sur le service qu'ils auraient rendu à tout le monde si ses collègues avaient flingué ce môme : ils n'auraient fait qu'apaiser la souffrance d'un gamin que personne n'a jamais écouté. Si elle ne dit rien, c'est parce qu'elle se doute que Reed est de ces types persuadés d'avoir toujours raison. Elle n'a pas envie, de le contrarier, d'entrer en conflit avec lui. Parfois, elle sait se taire, se soumettre, garder pour elle des réflexions qui ne regardent personne. Sin garde sous silence la mort de John et tourne son regard vers lui à sa question. Le mépris lui claque la gueule mais ne la fait pas réagir. Elle se fiche de le savoir heurté par ses suspicions et hausse ses épaules trempes.

J'ai pas peur, je constate. T'en fais ce que tu veux après. Réponse froide pour question froide, elle jouera sur le même tableau que lui, le suivra dans ses retranchements sans une once de crainte au fond de ses tripes. Elle boit une nouvelle gorgée, se tourne un instant vers la piste de danse vide. La gamine s'imagine, danser dans un slow dans ses bras, sa tête posée contre son épaule et la guitare pour les accompagner. La voix de la chanteuse la berce tandis qu'elle émerge de ses eaux troubles. Sinéad redresse un sourcil, l'obscurité de la pièce mettant en évidence le coup qu'elle s'est reçue quelques jours plus tôt. Si elle en fait pas une maladie, c'est parce qu'elle sait que les mots laissent des blessures plus profondes, des hématomes sur le coeur, sur la conscience et sur tout ce qui est vital à l'homme. Alors un coup, c'est juste de la pisse de chat, ça pue mais c'est facile à enlever. Les épaules lourdes, Sin termine tout de même par se relever. Elle ose cette fois, reprendre en fougue malgré son apathie générale. Sa main se pose délicatement sur le bras du flics. Elle se fiche de son t shirt trempe épousant ses courbes, elle se fiche de ses cheveux qui commencent à frisotter, des filles plus belles qu'elle, des hommes qui la fixent, interpellés. Une gamine fricotant avec Taylor, ça ne doit pas être la première. Ce qu'ils ne savent pas c'est que tout est calculé, qu'elle ne se laissera pas avoir comme celles d'hier. L'orpheline exerce une légère pression, vipère en éveil, sa langue passes sur ses lèvres mais se rétracte lorsqu'il est le moment de parler.

Elle ne prononce plus un mot alors que l'orage gronde dehors, que certains se lèvent pour admirer le spectacle quasi apocalyptique. Les lumières clignotent à nouveau mais ne perturbe en rien la chanteuse qui ensorcelle chaque particule du bar. Les notes glissent sur les tables, dans les nuques, tombent dans les décolletés, s'accrochent aux cheveux humides de Sin qui laisse à présent son corps s'exprimer. Reed n'y résistera moins que si elle lui demande à voix haute. Elle le fait délicatement tourner sur son tabouret pour l'avoir face à elle. Son regard noir de gamine macabre l'attrape au vol, confronte sa violence physique à la sienne, plus vicieuse, interne. Taylor est la force des poings, elle est la force de l'âme, rageuse, qui ne laissera rien tomber tant qu'elle n'obtiendra pas ce qu'elle veut. Son menton pointe la piste, minuscule, sombre, vide.
A passer la soirée avec un connard, elle veut au moins ressentir la chaleur de son corps contre le sien, profiter du peu qu'on lui donne, dévorer ses tripes pour mieux les vomir ensuite durant son absence de plusieurs mois.

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@Sinéad Harris & Reed Taylor

En faire ce que tu veux ...
Elle a raison. Tu peux choisir de te laisser atteindre en supposant qu'elle insinue des choses où rester de marbre en choisissant de la croire quand elle te dit qu'elle ne fait que constater des faits. Ce deuxième choix est plus confortable car tu n'as pas envie de laisser paraître que ta violence te dérange quand elle devient incontrôlable aux yeux de la loi. Toi, il y a bien longtemps que tu n'essayes plus de la contrôler. Tu l'orientes, c'est tout.

Ton regard fixe la main qu'elle vient de poser sur ton avant bras tandis que tu continues à boire ta bière, de plus en plus éméché, conscient qu'il ne faudra pas la finir si tu ne veux pas finir ivre au point d'envisager de rentrer en bécane dans ton état. Ce point de non retour, il est hors de question de l'atteindre. Tu l'as trop subi chez les autre durant l'enfance pour te résigner à devenir ce genre de larve humaine. Harris ne dit rien, se contente d'appuyer sur ton bras et tu comprends très bien où elle veut en venir. Si tu ne connais pas sa personnalité, tu connais suffisamment son corps pour en comprendre le langage. Une intuition étrange, probablement due au fait que tu viens de te la faire et que ton système nerveux reste réceptif à ses caresses. Autour de vous, les accords de guitare se mêlent aux coups de tonnerre tandis que ton t-shirt te colle encore aux pecs. Je croyais que tu voulais pas créer de liens. Réplique en demi-teinte, mélange de ton sarcasme et de cet élan d'acceptation contradictoire qui te fait te lever pour la laisser te guider jusqu'à la piste. Arrivé sur place tes mains se placent instinctivement sur ses hanches puisque c'est là que tu la prends toujours entre tes doigts. Danser où faire du sexe, la frontière est subtile ; tu mets tout ça dans le même lot : celui du plaisir ressenti.

Dans la lumière clignotante du bar, tandis que les regards qui ne se tournent pas vers l'extérieur sont tournés vers vous, tu inspires l'odeur de ses cheveux sans t'en cacher. Elle sent encore le sexe, le shampoing et un peu de ton odeur. C'est gratifiant, enivrant même. T'essayes de me faire passer pour ton mec. Le ton est si neutre qu'on peine à savoir s'il s'agit d'une interrogation. Peut-être est-ce une affirmation. Un reproche ; une supposition ... un constat ? Ton corps se colle au sien, reprend ses droits sur ses courbes tandis que le monde n'existe que par intermittence, lorsque clignote la lumière avant de s'éteindre pour de bon et de plonger tout le bar dans le noir.

Elle ne répond rien à sa provocation, accepte qu'il la suive malgré sa remarque tranchante de vérité. Certainement qu'elle se voile la face, Sin, que le lien de leurs corps est plus solide qu'il n'y paraît. Coucher ensemble ou danser, même histoire, leurs mouvements s'accordent, se mélangent les uns aux autres dans une harmonie sensuelle qui fait taire l'aigreur dans sa tête. Pourtant, Reed n'est pas de cet avis, brise à nouveau le silence de sa voix rauque. Cette fois, il parvient à lui décrocher un sourire, un mouvement discret de ses lèvres qui laisse apparaître ses dents. Elle réalise qu'ils ne se sont jamais embrassés. Elle ne connaît rien de la saveur de sa bouche, de l'acidité de sa salive et s'évertue à garder encore la distance malgré la curiosité qui lui pique à cet instant. L'alcool se joue d'elle, fait tomber quelques protections pour laisser s'éveiller ses vieux démons. Chienne sanglante prête à tout pour trouver toujours de nouvelles proies. Les hommes autour d'eux ont la tranche d'âge qu'elle cherche. Certains savent et la traitent de salope alors qu'ils ne rêvent finalement que d'une chose : goûter au creux de ses reins. Les autres ne retiennent pas leurs regards sur eux. Le bruit de la pluie sur le toit résonne au milieu des grattements de guitare, offre à la soirée une allure mélancolique qui l'entraîne dans ce déchaînement mental. Son âme se laisse griser par les yeux de Reed qui la soupçonne de la prendre pour son mec.
Tu aimerais ? Le numéro de la gamine amoureuse, pour sûr qu'il s'en délecterait.

Sin profite de quelques secondes dans l'obscurité pour se rapprocher, perturber leurs organismes qui pourraient monter dans les tours une énième fois. Son sang s'épaissit dans ses veines alors qu'elle devient lionne. Son regard s'ancre dans le sien, détaché, un brin ivre d'avoir trop bu. Elle rentrera à pieds ou en stop, comme à chaque fois, qu'importe sur qui elle tombe ; elle n'a plus rien à perdre, plus rien à espérer de ceux qui la prennent dans leur bagnole. Ses pupilles se font la malle, attrapent le regard d'un autre qui les fixent depuis quelques minutes déjà alors que Sin reprend la parole, plus cruelle cette fois. Froide de cruauté, impassible de perversion, violente de manipulation. Ses doigts se resserrent sur le t shirt de Reed qui n'est finalement qu'une arme de plus. Je leur fais comprendre qu'ils pourront me sauter s'ils le veulent. Elle inspire, rapporte à nouveau son attention sur Taylor qui perd de sa saveur au fil des minutes. Les hommes désirent toujours ce qui ne leur appartient pas. Tu m'embellis. Triste vérité qu'elle balance avec un mépris évident. Tout cela ne l'amuse pas de voir la faiblesse chez les autres, de déceler la connerie qui découle du plaisir. Sin se fiche qu'il soit bedonnant, moustachu, dégarni, laid à faire peur ; un homme reste un homme. Et les femmes sont les mêmes, elle le sait, sortirait peut-être les griffes si une autre venait à poser ses mains sur cette prise qu'elle resserre contre son corps pour une danse  enflammée dans toute sa retenue.
Les mômes aussi peuvent apprendre aux plus vieux.
Elle a eu le temps de les observer, de les comprendre, d'analyser chaque détail.
La solitude est une encyclopédie.

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@Sinéad Harris & Reed Taylor

- A ton avis. La réponse est plutôt neutre, poisseuse de tes souvenirs d'enfance se mélangeant avec l'alcool et les flashs des éclaires qui continuent d'illuminer la scène en attendant que le proprio remette les plombs en place. La musique douce, l'ivresse, la lumière tamisée : tu n'avais pas prévu que l'air devienne soudain aussi lourd de rancœurs que de désir. A-t-elle été déçue ? De quoi, tu ne sais pas, mais tu le sens. Son cors est trop présent contre le tien désormais pour que tu ne puisses pas ressentir sa chaleur et le feu qui brûle sous sa glace. Cette putain de lumière après laquelle tu cours quand tu la baises mais qu'elle ne jouit pas. Cette fille a raison, on ne désir pleinement que ce que l'on n'a pas.

Tu la laisses se rapprocher, t'allumer encore un peu tout en t'utilisant comme l'objet de ses manipulations sociales. Combien sont-ils, ceux qu'elle provoque et qui n'ont pas le recul suffisant pour prendre conscience de son petit jeu ? Tous ces mecs qui, sans l'admettre, sont amoureux d'elles en se trahissant parce qu'ils reviennent la voir ... En fais-tu partie dès lors que tu deviens lucide à ce sujet ? Son corps de femme, ses grands yeux de biche, son tempérament farouche : tout est fait pour te plaire chez elle. Elle est sauvage. C'est une proie si belle quand elle révèle sa vraie nature que tu sais bien que tu ne pourras pas résister, mais tu ne te laisseras pas baiser pour autant. Pas au sens figuré en tout cas. Je suis pas différent des autres, tu sais. Franc, sans aucun tact. Un plan cul ça me va très bien, j'ai pas envie que tu m'appartiennes. Ce que l'on possède meurt. C'est valable pour le désir comme pour les gens. Vous le savez tous les deux. Des tombes avec vos noms de famille au cimetière en témoignent sordidement.

Sa franchise pourrait lui faire mal à la gueule, comme un coup de poing dans la mâchoire mais Sin se fait forte. En réalité, elle sent à chaque mot de la part de Reed une couche de glace la submerger. Elle le fixe, silencieuse, compréhensive. Elle savait en posant la question que les deux réponses pouvaient la contrarier, l'une parce qu'elle lui rappelle ce qu'elle est : une gamine peu fréquentable, une salope sans la moindre saveur et l'autre parce qu'elle n'aurait pas su dealer avec les sentiments de Reed. Elle laisse la balle se planter dans son pied, lui rappeler que tout ce à quoi elle était attachée n'a fait que mourir d'un coup, brutalement. Elle ne se souvient même plus de l'emplacement des tombes de ses grandes soeurs mortes, ni celle de ses parents. Tous dorment ensemble pendant qu'elle s'efforce de grandir sans eux, loin d'eux, leurs fantômes posés sur ses épaules comme si elle était leur unique pilier. Sa main se pose sur le torse de Taylor qu'elle fixe encore un peu jusqu'à ce que la lumière que stabilise et que dehors, l'orage ne commence à se calmer. Elle a la sensation que tout le monde lui donne l'accord de se retirer. Comme la mer après la marée haute. Elle laissera derrière elle quelques coquillages, des poissons qui n'ont pas eu le temps de fuir, toute une vie vouée à mourir.

Elle se recule, retourne vers le bar, caressée par des regards fiévreux qui la déshabillent sans difficulté. Au comptoir, Sin récupère sa veste, attrape le verre de Reed pour le terminer d'elle-même. Tu conduis. Qu'importe qu'il soit flic et que cela lui donne tous les droits, les droits ne le protégeront pas d'un tournant mal contrôlé. L'orpheline passe une main dans ses cheveux mouillés et emmêlés pour les coiffer avec ses doigts qui accrochent et lui en arrachent quelques uns. Chancelante, elle prend une longue inspiration, tourne son regard vers Taylor en laissant planer le doute qu'elle puisse être vexée. Laisse-toi aller avec Buck. Qu'elle murmure, posant sa veste sur son épaule et s'avance au milieu des tables. Elle pourrait faire signe à l'un des pervers de venir la rejoindre, la sauter sans aucune prétention dans une ruelle mais ce soir, Sinéad s'en va seule, conservant contre sa  peau l'odeur de Reed.