› identité: artyom. artyom, artemiy, artemis, la déesse de la chasse, la vengeresse et son arc. ses flèches à lui, elles sont pas empoisonnées, elles sont pas maudites, mais elles puent le fer et le sang, elles sifflent douloureusement pour percer les tympans. elles brisent l'air et les os dans le but unique de tuer. il porte bien son nom, artyom, il est le cerf et celui qui l'achève. ses mains sont blanches, mais il n'a pas de main.
anatolyevitch. le géniteur, il est présent partout. dans la forme de ses yeux, sur les lignes de sa carte d'identité, au sein des vapeurs nocturnes d'une nostalgie qui ne dit pas son nom. anatoliy, c'est une ombre, celle qui s'étire sur les murs de sa chambre (
ça pourrait tout aussi bien être celle d'un arbre) et qui vacille au gré des caprices de la lumière (
seigneur, faites que ça ne soit pas un arbre). papa, il le connaît comme un connaît une figure historique. comme cette particule inexorablement là, entre son prénom et son nom, et il ne se sent jamais autant anonyme que lorsqu'on l'appelle respectueusement comme ça ; artyom anatolyevitch.
dolokhov ; il a pas tué le frère du tsar, il sera jamais le protagoniste héroïque d'une épopée militaire. pourtant, il porte ce nom lourd de références littéraires comme il peut. au diable tolstoï, qu'il se surprend à penser, parfois. au diable tolstoï, et tout ton héritage. il se montrera jamais à la hauteur d'un tel patronyme, et comme ça, tolstoï, t'as ajouté une angoisse existentielle de plus à la liste.
› âge, date de naissance: vingt-quatre coups d'éclats. huit mille sept cent soixante-six nuits tourmentées et déchirées par des constellations inconnues depuis qu'il a vu le jour dans une ville déchue de russie, le
six mars mille neuf cent quatre-vingt-quatorze.
› signe astrologique: cette délicatesse, cette volonté de se protéger des reliefs abruptes de la réalité, cette hyper-sensibilité qu'il ne dissimule qu'à peine. artyom ne peut être éclairé que par la précieuse constellation des
poissons, comme trop étrange, trop exalté pour vivre sous un autre enchevêtrement d'étoiles. l'eau, l'eau, l'eau. l'eau qui coule de ses yeux, l'eau qui coule de ses étoiles, l'eau qui coule dans ses veines, et ses poumons s'en remplissent – enfin il peut respirer.
› lieu de naissance, origines: souzdal, l'irréelle, tes palais colorés où princes et princesses vivaient. étoile faite pour briller, étoile qui s'est éteinte en même temps que le prestige de l'empire russe. moscou a survécu, saint-petersbourg a survécu, pas toi. tu es morte, tombée. désabusés, désenchantés, les gens existent dans tes rues en ignorant ta gloire d'antan. artyom, dans tes yeux brillent les reflets des hautes lumières qui se sont éteintes il y a plus d'un siècle. comme habité, pas seulement pas souzdal, mais par toute la grandeur spectrale d'un empire entier, tu le sens bouillonner en toi. russie, mère patrie. russie, souzdal, tout cela sonne tellement bien pour toi.
› emploi, études: artyom est une divinité, un
tueur à gages. si dieu peut bien se contenter des rôles usés de cloton et lachésis, lui, il endosse la carcasse de la belle, la grande, la sublime atropos. inévitable. ses armes sont ses ciseaux, et ses balles sont des fatalités entières à elles toutes seules. artyom, il peut dessiner les lignes de l'espace, du temps, de l'être. artyom, il réécrit le livre de l'humanité d'une pression sur la gâchette. il réécrit ce livre et il en vend d'autres. la petite
librairie qu'il tient, c'est un hybride sinistre entre gagne-pain sincère et excuse pathétique pour un commerce mortifère. si on lui demande le bon bouquin, artyom sort son sceptre cracheur de feu de derrière l'encyclopédie universelle, et, dans un momentané coup d'état, il renverse dieu.
› orientation sexuelle: se définir lui fait peur. mettre un mot sur ce qu'il est lui fait peur. un mot, c'est hermétique, c'est limité, ça contracterait sa personne, son être, ça mettrait des barrières à son âme. ça lui ferait mal. ça mutilerait son esprit. ça mutilerait ses poignets, ses chevilles, la pulpe de ses doigts et celle de ses lèvres. il aime se perdre dans les vapeurs lascives, et qu'elles émanent d'hommes ou de femmes, ça n'a que peu d'importance à ses yeux. il désire les deux, mais n'aime que ses semblables. il n'admire que les femmes. il n'aime que les hommes. il ne pourrait se tuer que pour une femme. il ne pourrait vivre que pour un homme.
› statut civil: il est
célibataire, parce que c'est dur de s'accrocher à artyom. c'est dur de l'aimer, c'est dur de le tenir alors qu'il s'évapore sans cesse en des chaleurs que lui seul peut ressentir, pour des couleurs que lui seul peut voir. artyom, il amuse les gens, mais les fatigue aussi. les histoires d'amour, il n'en a eu que quelques unes, qu'il conserve précieusement dans son univers édulcoré. des photographies usées par le temps, des missives où il a déversé des sentiments devenus honteux. tout s'efface, tout se casse, et chaque relation essoufflée rappelle à artyom à quel point tout ici-bas est éphémère. il n'ose pas se demander pourquoi (la réponse est sûrement plus douloureuse que l'interrogation) alors il aime, il souffre, il lâche prise. il aime, il souffre, il lâche prise.
ad nauseam.
› traits de caractère: la tête dans les étoiles / perdu dans ce monde, il est pas bien ici, pas à sa place, et ça se voit. on lui parle, il écoute pas, comprend pas, saisit pas. il préfère les épopées virtuelles, les explosions artificielles qui pètent dans sa tête. il est pas d'ici, qu'on dit. son cœur appartient à d'autres continents, son âme appartient à d'autres étoiles.
les mains dans le sang / probablement conçu dans la violence, artyom, parce qu'il s'y épanouit systématiquement, l'espace d'un souffle, dans cette brutalité psychique. psychique, psychique, psychique, pas physique, et il se tuera à le répéter. sa fascination pour les hématomes ne peut pas compenser son aversion pour la douleur. il voudrait que son corps et son cœur se travestissent de bleu, de rouge et de violet, de veines éclatées et de chair ecchymosée. mais qu'on oublie la douleur, seigneur, qu'on oublie la douleur.
le cœur dans la gorge / t'es pas un homme, artyom. on lui a répété. un homme, ça pleure pas. pourtant, voilà l'océan qui lui monte aux yeux, et ses pupilles se noient dans l'eau salée de mers intérieures. hyper-sensibilité, on lui sort ce mot le sourire aux lèvres comme un remède, comme si la constatation basique était la solution miracle. mais l'éclatement d'une bulle est toujours semblable au hurlement des canons et les tressaillements de l'âme sont un séisme. rien ne change, son cœur tremble encore.
les pieds dans le plat / la maladresse systématique. artyom, il est a côté de la plaque, il fait pas ce qu'on attend de lui, il énerve. il dit pas ce qu'il faut, artyom, il est pas forcément doué avec les mots, parle pas la langue régionale, juste celle du cœur. les codes, ça lui passe à côté. c'est un manuel qu'il a jamais lu, jeté à la poubelle parce que dérisoire, et il se maudit, encore et encore et encore, de pas comprendre ce que c'est que d'être homme, d'être social.
l'âme dans les abstractions / nuages édulcorés, nuages lyriques. et artyom s'évapore en des œuvres d'art qu'il ne pourra jamais créer. il est fasciné par la beauté, veut être créateur. il veut s'élever, atteindre le beau platonicien, le beau avec un b majuscule. en vain (ça sert à rien d'insister), il est pas fait pour ça faut croire (c'est pas une tentative de plus qui changera quoique ce soit). s'il avait du potentiel, il a été piétiné par des siècles, des millénaires de restrictions. l'art, ça sert à rien. l'art, c'est pour les pédales. l'art, au final, il a trop été insulté autour de lui. terpsichore s'est offensée, terpsichore s'est envolée.
( la tête tournée vers les étoiles )les battements de son cœur dans le noir sont comme un métronome sur lequel il s'efforce de fixer son souffle saccadé. il ferme les yeux. son parfum comme des vagues s'échoue sur lui. elle sent la clémentine et les crépuscules déchirés. elle est là. il la sent, la voit dans son esprit. il imagine la lumière bleue qui filtre à travers les volets cassés, il imagine la lumière bleue s'écraser sur sa peau blanche et ses yeux glacés. il voudrait la voir, mais rouvrir les yeux le tuerait. ses larmes s'échoueraient sur ses lèvres, il veut pas boire la tasse ce soir.
Ты чертовски плаксивый. (
t'es un putain de pleurnichard)
Сука. (
salope)
Вы ничего не видели. (
t'as rien vu)
Призраки. (
les fantômes)
Нет призраков. Только северные огни застряли в ванной. (
y'a pas de fantômes juste les aurores boréales coincées dans la salle de bain)
Крики. (
les cris)
Это падающие звезды, падающие на крышу. (
c'est les étoiles filantes qui s'écrasent sur le toit)
la main de roksana se dépose sur sa joue. il ne sait pas si c'est une caresse ou une claque. alors il sursaute, et son cœur sursaute, il remonte jusque sur ses lèvres. il peut le sent battre sur le bout de sa langue. il se rend compte que c'est pas seulement son cœur, mais son corps entier qui se presse dans une nécessaire fugue vers l'avant. l'immobilité n'est plus une solution. la fuite est l'évidence viscérale et momentanée de son existence.
Роксана Анатольевна. (
roksana anatolyevna)
Артем Анатольевич. (
artyom anatolyevitch)
я ухожу. (
je pars)
Ильс тхерчэн на бис. (
ils te cherchent encore)
Тогда я уйду. (
alors je partirai)
elle ne comprend pas. elle retire sa main. et il sent, dans toute la tension muette, qu'elle ne comprend pas, ne comprendra sans doute jamais. il veut pleurer, se l'interdit, mais pleure déjà, depuis des heures, peut-être depuis des siècles. elle lui demande où elle pourra le retrouver, le supplie de lui laisser au moins une adresse. va a l'est, qu'il lui dit. va à l'est, jusqu'à l'épuisement. va à l'est, plus loin que les neiges éternelles, plus loin que l'océan. va a l'est, assassine le soleil avant qu'il ne se lève, et je serai là.
Я буду здесь. (
je serai là)
dear andrey,
dear old friend, how goes the war ? (...)
do our cannons crack and cry ?
do our bullets whistle and sing ?
does the air rick with smoke ?
j'ai tué un homme. demain, je le tuerai encore.
je ne sais pas. c'est un peu flou et le sang est encore chaud dans sa gorge. ou bien c'est la vodka. peu importe (tout importe). il s'est mordu la langue, il saigne. il frissonne de plaisir en voyant les aquarelles rouges sur le doigt qu'il a porté à sa bouche. le goût de fer sur son palais. le fer qui a traversé la tête du portugais. il s'est jamais senti aussi proche de ses victimes.
on est tous pareils, hein ?ouais. faits de la même merde. son partenaire lui répond. il a bu, il empeste l'alcool, c'est affreux.
artyom comprend pas la réponse. les mots lui résonnent dans la tête un moment. faits de la même merde. qu'est-ce que ça veut dire ? c'est stupide. il n'est pas terrestre. ses amants ne sont pas terrestres. ils sont cosmiques. pour ce qui est de l'individu à ses côtés, il n'en est pas si sûr.
j'crois que j'ai un nouveau boulot pour toi. déjà ?j'ai l'argent, crache pas dessus.artyom ne s'en formalise pas, alors il répète
déjà. c'est pas une interrogation.
c'est une constatation.
il constate. il constate que sa vie elle se répète, qu'il a même pas le temps de s'attarder sur les âmes qu'il pulvérise. elles sont mortes. et le point est final, rien n'est à ajouter. et déjà la prochaine est désignée, condamnée.
il se demande s'il veut cela (puis il se rappelle
il n'a pas le choix)