for he's a jolly good fellow (gemma)

Invité

frankly my dear, i don't give a damn.

Quatre-vingts. Huit décennies.
La fête avait été planifiée de longue date, et les préparatifs avaient été supervisés par l’intéressée elle-même; malgré son âge canonique, elle n’avait jamais cessé de montrer un dynamisme quasi à toute épreuve. Toujours levée aux premières lueurs de l’aube, elle avait toujours prêché une hygiène de vie impeccable - fidèle à la rigueur germanique, et force était de constater que ses propos étaient illustrés par la santé de fer dont elle semblait bénéficier. Le country club. Elle y avait toujours eu ses habitudes, et comptait parmis ses plus anciens membres, à quelques années près, parmis les fondateurs. L’endroit avait été privatisé pour l’occasion, et chaque employé apportait sa pierre à l’édifice pour que la soirée soit mémorable. La famille Koch était réputée pour ses fêtes, où se pressaient les notables de la ville, tous des amis de longue date de la matriarche.
La fumée s’échappe en volutes irrégulières, un grand désordre règne dans cette chambre mais il ne lève pas le petit doigts pour ranger. Allongé sur son lit, tout habillé, le petit prince a le regard dans le vague, il est plongé dans une observation absente du plafond. Il reste deux heures avant le début officiel de la soirée, il faut encore qu’il se douche et se change, mais ça ne semble pas l’inquiéter outre mesure, malgré les avertissements du paternel, rentré de New-York pour l’occasion. Une fois de plus, les deux hommes s’étaient à peine parlé, sauf pour échanger des banalités glacées. - Tâche de te ne pas me faire honte ce soir, et sois à l’heure. Comme toujours, il fallait que tout soit sous contrôle, parfait, surtout pas de place pour les imprévus. L’octogénaire, malgré toute sa bonne volonté, n’avait jamais réussi à normaliser les rapports père-fils, et se contentait le plus souvent de tapoter affectueusement la joue de son petit-fils, une lueur malicieuse dans le regard.
Au crépuscule vacillant, il arrive sur les lieux avec une bonne demi-heure de regard. Bon nombres d’invités sont déjà présents, rassemblés en petits groupes. Les sourires et éclats de rire n’ont pas encore couvert la musique qui anime la soirée. Un petit groupe de jazz, qui se produisait souvent, et qui avait été réquisitionné pour la soirée. Il cherche son ‘+1’ des yeux, et ne tarde pas à trouver le bar, son point de chute favori. - Champagne. Ce soir, comme tant d’autres avant, c’est l’insouciance et la provocation qui guident ses actions. Il a une réputation à maintenir, n’en déplaise à son père.

Sans surprise, Billy remporte un franc succès auprès des convives. Gemma masque sa jubilation dans le fond de sa coupe de champagne, se contente de ricaner entre les bulles, là où personne ne peut la voir. Il charme toute entité féminine de 7 à 77 ans, savant mélange d'élégance et de fraîcheur qui a tout le (rare) mérite de ne pas être mis en scène. Il a la culture, le sourire Colgate, une certaine sophistication facile; le tout délicatement souligné de charmants traits de maladresse. Dans la pièce étouffante, trop de Chanel n° 5 rencontrant trop de parquets cirés, il est la brise. Gemma se congratule mentalement, une nouvelle équation humaine résolue à la perfection. Pour une fois, occurence rarissime, elle se plaît à ne pas être le centre de l'attention. Elle envoie Billy sous le feu des projecteurs avec plaisir, laisse les vautours se jeter sur lui et exécute quelques pas en arrière. Graduellement, afin que personne ne l'ait vue tourner les talons, elle se fait petite, elle se fait discrète, détache son bras de la manche d'Osgood et, fille fumée, leur glisse entre les doigts à tous. Aucune loyauté qui ne tienne pour son petit ami en carton pâte. L'ombre floue d'un scrupule apparaissant sous son sternum, elle jette un oeil au dessus de son épaule. Billy est penché au dessus de la chaise d'Edna, qui lui tapote le bras d'une paume désormais octogénaire. Il l'a charmée avec une facilité déconcertante et, si Gemma fait l'effort d'être honnête envers elle-même, franchement frustrante. Elle est supposée être la chérie, la favorite, la dame de compagnie vers qui sont dirigés tous les sourires et bien qu'elle soit consciente que toute approbation que Billy obtient sera directement projetée sur elle en tant que charmante créature qui l'a choisi parmi la foule et l'a amené ici, il y a ce truc qui se tord sous son nombril, que la lucidité appellerait de la jalousie et qu'elle préfère nommer 'besoin de plus de champagne'. Lorsqu'elle arrive au bar, il y est. L'héritier, le sale gosse. Game face on. Elle pince les lèvres, change de costume, passe d'oracle à royal bitch. "Same here," ordonne-t-elle au barman, accolant sa commande à celle de Rhett. Lorsqu'il se tourne mécaniquement vers elle, elle bat des cils et le salue d'un sourire hypocrite au possible. Dépose sa flûte vide sur le bar en chêne massif. "Funny that. I thought you only drank human blood." La voix est douce, gaie, charmante - précisément dangereuse car Gemma n'a jamais été aucune de ces trois choses. Il paraît qu'il faut choisir ses batailles, et Koch est la sienne. Haï parce qu'il est un homme, puis placé sur un piédestal de mépris car il est tout le reste. Privilégié, dédaigneux, suffisant. Au final, et bien malgré elle, il est devenu l'homme de sa vie. La seule constante, celui qui reste. Son rival absolu, ou le premier rôle masculin de son propre biopic. Le seul dont elle n'a jamais pu, ni voulu, se débarrasser.