coup de poker. (mila&loevan)

« loevan? » c’est la voix familière de ton frère qui te fait sortir de ta transe. tu passes tes doigts colorés dans tes cheveux avant de déposer le pinceau que t’as dans la main sur l’une des nombreuses palettes qui t’entourent. « qu’est-ce qu’il y a? » tu soupires, c’est rare que camden te dérange pendant tes sessions de peinture, il sait à quel point c’est quelque chose qui t’apaise et qu’il vaut mieux éveiller de réveiller la bête qui sommeille. « t’as pas oublié? t’as promis de venir dîner avec beverly et moi, cette semaine. » cette fois, tu souffles pour de bon. « quoi, aujourd’hui? » il ouvre la porte de ton antre sûrement qu’il en a marre de devoir te parler à travers le battant de la porte. « oui, alors changes-toi et on y va. » il dit en t’observant de haut en bas, tes vêtements sont tachés à force d’avoir manié les tubes de peinture. tu te lèves pour te diriger vers ton armoire alors qu’il fait déjà demi-tour, tu râles en silence vraiment pas partant pour tenir la chandelle entre les deux amoureux. tu passes un tee-shirt propre et un jean qui traîne mais qui semble portable. tu passes un coup d’eau rapide sur ton visage et tes mains et tant pis s’il y a des restes de ton art sur ta peau. tu négocies pour prendre ta voiture à toi histoire d’avoir encore quelques minutes de répit avant de devoir passer plusieurs heures assis en face d’eux, à manger fade et à avoir des discussions stériles. évidemment c’est la gamine qui a choisi l’endroit, un truc chic, pas trop cher et surtout vegan. ton cerveau te projette des images de côte de boeuf saignante comme pour te punir encore plus. une fois à table tous les trois, ils se décident pour partager une entrée et toi tu prends le premier truc ou le mot burger apparaît sûrement une mauvaise idée vu le truc qu’on te sert vingt minutes après. le couple rigole à des blagues que tu n’as pas envie de comprendre, camden tente en vain de t’intégrer dans la conversation. « loe, tu pourrais au moins essayer... » il commence, mais ton téléphone vibre, c’est le bip caractéristique de mila, même lui le reconnaît faut dire qu’il y a pas grand monde qui te contacte et qu’elle, il peut pas se la voir depuis des années. tu le fais taire d’une main observant l’écran de ton cellulaire qui n’affiche qu’un SOS inquiet. tu fronces les sourcils, une seconde à peine après, une adresse se joint au premier texto. « faut que j’y aille. » ton jumeau roule des yeux. « sérieusement? » tu hausses les épaules en remettant ta veste. « je crois qu’elle a des ennuis. » il souffle en passant une main sur son visage. « et alors, elle peut pas se démerder? »  « on se voit plus tard. » tu tournes les talons. « loevan... » trop tard, tu es déjà parti. l’adresse qu’elle t’a donnée te mène tout droit à un hangar abandonné et tu sais déjà que tu vas pas aimer ce qu’elle va te raconter en sortant de là, tu regardes l’heure sur le tableau de bord et tu te dis que tu entreras tout seul si dans dix minutes, elle est pas toute seule sortie de là-dedans. le SOS c’est un truc dont elle s’est servie qu’une ou deux fois depuis que vous vous connaissez et c’était toujours pour des raisons valables. tu tapes tes doigts sur le volant, tente de repérer quelque chose, du mouvement, un truc suspect qui te pousserait à intervenir, mais rien ne survient. quand les dix minutes sont passées. et que t’arrives pas à avoir d’autres nouvelles d’elle, tu décides de sortir de la bagnole et c’est là que tu la vois, elle sort, sa démarche est pas aussi assurée que d’habitude, tu te demandes ce qui t’attend. qu’est-ce que t’as encore foutu mila? pourquoi est-ce que t’as besoin de moi?

ce soir, ce sont les astres qui s'alignent avec une perfection à en faire pâlir le karma et ses ongles anthracites. c’est la fatalité qui finalement s’échoue sur l’âme qu’elle avait oubliée depuis bien trop longtemps et l'engloutit de son étreinte nocive. et atrocement délicieuse. à l’en enivrer, presque. une fois de plus, comme une pulpe de doigt embrassée par les divinités et la chance qui dégouline de chaque nouvelle main qu’on lui distribue. un réel défilé d’opulence qui s’entasse de son côté de la table à chaque nouveau jeu, mila qui observe d’un oeil crépitant par une soudaine vanité qui observe l’argent s’amasser et les relents de l’opulence qui flirtent avec les papilles. elle sentirait presque déjà le toucher rugueux des billets qui cornent les doigts et alourdissent les poches. presque, puisque la réalité est toute autre et entachée d’une toute autre nuance que le doré à en râper les pupilles. ce soir, c’est l’ocre, c’est l’ivoire, la fumée épaisse et sans aucune once de lumière qui finit par s’amasser sous les paupières déchirées par l’espoir. son nom qui est finalement enlacé à celui de la victoire commence à sonner avec une amertume violente au bout des lèvres des perdants, il transforme les poings mous en phalanges rougies par la pression. mais elle ne s’offusque pas plus que d’habitude quand c’est un poing qui vient s’écorcher contre la table, tentative dénuée de tout intérêt d’exprimer sa colère d’avoir plié le genou devant elle d’un énième crasseux ayant vendu sa sanité contre quelques jetons. elle les connaît, ces pupilles dévorées par la vanité trop vite articulée, et finalement éclatée par la désillusion qui s’offre à eux en voyant que c’est elle qui prendra les traits de leur perte. une silhouette trop outrageusement dessinée pour ne pas écorner leur fierté puant la testostérone et des lèvres qui prennent trop parfaitement la teinte du fluide qui bouillonne au creux de leur artères. finalement, c’est bien fait pour eux, n’est-ce pas? de s’user à assister au spectacle désopilant de leur propre chute, offrant à une vulgaire jeune fille au talon usé contre le bitume une richesse qu’elle ne désire même pas réellement. c’est de l’adrénaline qu’elle se nourrit, canines enfoncées contre leur jugulaire lorsqu’elle commence à sentir la crainte leur déchiqueter le palpitant, et c’est d’un bout d’ongle parfaitement manucuré qu’elle trace la dernière ligne à leur course. léger sourire qui déforme la commissure des lèvres. avant que les démons ne reviennent lui mordre le mollet, et qu’elle sente la poigne impériale emprisonner son épaule alors qu’elle s’apprêtait à rentrer. ce soir, elle devra finalement affronter les conséquences du trouble qu’elle avait semé éhontément dans sous les côtes de ces hommes dépouillés. deux, trois torses bombés et des faciès figés par la rancœur amère, assez pour l’obliger à les suivre sans offrir la moindre résistance. et elle le sent, le voile épais du danger qui lui emprisonne la gorge à mesure que les secondes s’étirent sans oser se briser, coincée dans ce hangar où elle les a suivi sans aucun refus. simple discussion courtoise, qu’on lui susurre contre le tympan affolé, mais le myocarde bien trop agité pour ne pas trahir la réalité. elle rirait presque, lorsque la main vissée à son épaule se fait plus virulente, et que les menaces prennent un goût délicieux. et ce soir, elle n’a pas la flamme qui d’habitude lui lèche le creux de l’estomac, la vigueur furieuse qui fait trembloter les muscles. pas ce même plaisir à sentir les dents du piège se refermer contre sa carcasse. alors elle prend certainement la décision la plus raisonnée de toute son existence, efface les accusations qu’on lui lance d’un simple revers de main et abandonne derrière elle le butin qui était venu embellir un peu plus une soirée sans réelle autre profondeur ni intérêt. non sans envoyer un message à son frère par substitution, assoiffée de sa présence réconfortante. et finalement, quand après ce qui semble être une éternité moite et sans fin, c’est l’air frais qui lui embrasse les lèvres et caresse ses poumons écorchés par l’air vicié du hangar. et nouvelle respiration quand ses pupilles s’égarent jusqu’à sa silhouette, lui signifiant qu’il est venu, choisissant de sacrifier quelques instants de sa soirée simplement pour elle. l’égoïsme écœurant qui lui procure sa dope quotidienne d’allégresse. tu comptais attendre à l’extérieur combien de temps au juste? j’aurais eu le temps de me faire tuer 50 fois, t’es vraiment le pire. elle feint d’être vexée, tandis qu’elle déguste silencieusement le plaisir de s’être extirpée de cette situation à double tranchant sans son aide. finalement, mila époussette les quelques résidus de tension qui lui déformait le visage alors qu’elle vient déposer ses lèvres contre sa joue en un salut presque mécanique. faire semblant, simuler une sérénité dont elle oublie presque jusqu’à la saveur alors qu’elle sent encore les tambours lui écarteler la poitrine. j’avais besoin d’un chauffeur. j’imagine que si t’es là c’est que t’avais rien de mieux à faire. alors qu’elle sait qu’il était certainement étouffé par des obligations qui la dépasse, mais que le choix bien particulier de message qu’elle lui avait envoyé l’avait forcé à venir. pourtant sa main trouve le chemin de la sienne, comme un réconfort qui irradie de sa paume chaude et lui réchauffe progressivement le corps. la réalité qu’elle lui offre au fond de ses pupilles, qu’elle avait atrocement besoin de lui, ici, pour effacer toutes ses plaies.

les dix minutes les plus longues de ton existence ou presque viennent enfin de se terminer, l'unique femme que tu as presque toujours respectée fait enfin sa sortie. ses yeux se traînent partout et tu ne sais pas si c'est parce qu'elle surveille ses arrières où parce qu'elle te cherche. elle se doute certainement que tu es là, tu ne rates jamais un de ses appels à l'aide. son regard de pose enfin sur toi, elle s'avance doucement comme si elle avait tout son temps, comme si elle ne voulait pas vraiment se rapprocher de toi peut-être parce qu'elle sent que les reproches vont pleuvoir, ils pleuvent toujours dans ces cas-là, mila est une idiote parfois, elle se met dans des situations qu'elle aurait pu mille fois éviter et tu détestes ça, tu refuses d'arriver trop tard un jour, de voir sa mâchoire ou ses tempes exploser, de la retrouver dans une mare de sang dépouillée et tu sais qu'avec les gens qu'elle fréquente, qu'avec le milieu qu'elle adore, les possibilités ne sont pas si minces. tu sors de la poche arrière de ton jean, un paquet de clopes presque aussi usé que tes pompes, tu ne fumes pas vraiment, ça t'arrive même rarement, mais dans des situations comme celle-là, tu préfères avoir quelque chose à faire de tes mains, de ta bouche. pour éviter d'avoir des gestes que tu regretterais, des mots que tu ne pourrais pas ravaler, tu allumes le cylindre entre tes lèvres avec un vieux briquet que tu finis par jeter sur la banquette avant de la voiture dont la vitre est baissée. « tu comptais attendre à l'extérieur combien de temps au juste?  j'aurais eu le temps de me faire tuer cinquante fois, t'es vraiment le pire. » c'est pas surprenant qu'elle t'accueille pas avec un grand sourire, c'est pas sa façon à elle de faire comprendre les choses. tu arques tout de même un sourcil, un peu étonné par ses dires, expire la fumée de ta clope qui pend maintenant au bout de tes doigts.  « de te faire tuer cinquante fois, vraiment mila? » malgré les liens qui vous unissent, ton ton n'a rien d'amical et tu sens la dispute explosée si ce n'est pas au beau milieu de ce parking, ce sera sûrement dans l'habitacle de la voiture à l'abri des regards indiscrets. bien qu'il ne semble pas y avoir une âme qui vive dans cet endroit paumé.  « je peux savoir ce que tu foutais là-dedans? » tu lances les hostilités parce qu'elle ne le fera pas elle, mais elle est forte, elle balaye ta question d'un revers de la main, comme si ce n'était rien, mais vous savez tous les deux qu'un sos ce n'est jamais rien. « j'avais besoin d'un chauffeur, j'imagine que si t'es là c'est que t'avais rien de mieux à faire? » cette fois, c'est la goutte qui fait déborder le base, sa nonchalance te met en rogne, t'écrase le mégot de ta cigarette avec la semelle de ta chaussure prêt à en découdre avec la gamine insolente, mais sa main vient doucement à la rencontre de la tienne, tu t'humectes les lèvres alors que ses doigts s'enroulent tout autour. vos yeux se croisent et tu soupires, la partie n'est pas finie, mais elle gagne cette manche comme une vraie pro parce que tu lis dans son regard la gratitude de te savoir là. toujours pour la sauver de ses misères. tu lui ouvres la portière, puis tu montes derrière le volant. à mi-chemin entre chez elle et chez toi, tu décides que vous devez quand même l'avoir cette foutue discussion. « tu dépasses les bornes avec tes conneries, mila. » tu lui dis sans même la regarder.  « et si je n'avais pas pu venir te chercher, putain? tu y as pensé? tu joues encore? » mille fois, tu lui a demandé d'arrêter, mais le plaisir du jeu est trop fort, la tentation est trop grande. et elle plonge toujours.  « t'as un problème contre les gens réglos? qui ne risque pas de te défigurer dès que tu leurs pique leur pognon? un hangar sérieusement? non, mais tu t'attendais à quoi? » tu ne peux pas croire qu'elle soit idiote à ce point là.  

la sensation est étrange, un peu trop violente à son goût. elle la sent qui se glisse le long de sa trachée, s’engonce dans ses artères, ponctionne chaque palpitation qui remue son thorax. mila qui brûle pour goûter au danger, l’effleurer du bout du doigt, mais qui vient de s’approcher trop près. les flammes l’ont caressée, un peu plus que d’habitude, et étrangement ça n’est pas ce à quoi elle s’attendait. elle voulait la folie des sentiments en émulsion, le mélange somptueux de la crainte et de l’effronterie qui cascade sous les côtes. elle n’a que la légère paralysie qui mord le système, que l’accélération trop brusque de la respiration. c’est une prison presque létale où elle se sent s’engoncer sans parvenir à agripper la surface, ne fait que s’y écorner les ongles. et ça, jusque l’air vienne estomper la brûlure encore trop vive de la crainte, et que la silhouette de loevan ne commence à totalement l’effacer. mais simplement le contour flouté par la distance de son corps, l’image de lui qu’elle se dessine sous les paupières à chaque clignement d’oeil, parce qu’à mesure que ses pas dévorent les centimètres, le spectacle est tout autre. elle qui s’attendait à un accueil rassurant qui achèverait de refermer les plaies, les traits enfoncés un peu trop furieusement dans son épiderme n’annoncent rien d’autre que la tempête. et mila, la peau encore écorchée à vif, n’a pas la patience ni le luxe de garder son calme pour éviter les mots aiguisés qui fendent. alors elle tente de balayer les reproches d’un revers de main qu’elle veut assuré, se farde d’un pseudo-sarcasme qu’elle espère assez convaincant pour le faire lâcher prise. mais il est bien trop résistant, persistant. il commence à arracher doucement les couches de sa patience. finalement, elle sent le poids qui courbait son échine se dissiper quand il semble abdiquer et l’invite à le suivre dans sa voiture. soulagement pommade qui vient graisser un peu plus son coeur, détendre la pression de ses poings, redonner une teinte un peu plus chatoyante à ses phalanges cadavériques. mais le silence est peut-être bien plus insupportable que ses reproches à moitié articulés, alors elle tente de se distraire dans l’observation tout à fait ennuyante du paysage qui défile sur sa rétine. mais la tension est déjà mélangée au rouge, viciant et tordant chaque nouvelle pensée qui se forme entre ses tempes. elle sent l’air bien trop épais et lourd dans l’habitacle, se glissant avec difficulté dans ses poumons, lui éraflant les pulpeuses à chaque inspiration. et finalement, il parle. termine son chef-d’oeuvre en balançant l’allumette fumante là où il avait auparavant imbibé l’essence. presque à l’instant même où les mots s’encastrent dans ses tympans, mila attrape avec emportement le frein à main qu’elle enclenche jusqu’à ce que le crissement des pneus cesse, sans s’inquiéter de les secouer trop violemment ou même de la présence d’autres voitures derrière eux. t’es qui au juste pour me faire des reproches? mon père? et t’avise pas de me dire mon frère, pas après tes conneries à toi dont on a jamais parlé, d’ailleurs. c’est l’implosion au creux de ses viscères, la haine bouillonnante qui annihile tout le reste mélangée à la peur qui achève de pimenter le mélange. ce sont les mots qui s’échappent avant même qu’elle n’ait eu le temps de fermer les lèvres pour les en empêcher. le sujet dont on ne parle pas, qui resurgit à la surface, un peu trop brusquement à son goût.  va te faire foutre, c’est à ça que je m’attendais. j’ai pas besoin de toi pour rentrer, j’ai des jambes. ses pupilles évitent les siennes, les paumes qui deviennent moites dans l’ambiance irritante, et son instinct qui lui hurle de s’échapper de ce piège où aucun des résultats ne peut être satisfaisant. alors c’est ce qu’elle fait, ouvre la portière et s’extirpe du véhicule avec empressement, cherchant simplement à glisser le plus de barrières entre eux pour ne pas dépasser cette limite invisible qu’elle s’était mise à elle-même. ne plus en parler, l’étouffer sous de nouveaux souvenirs avec lui, et progressivement gommer cette erreur de sa mémoire.

tu connais la gamine sur le siège à côté de toi du bout des doigts, tu pourrais prédire que l’engueuler est la pire idée que tu n’ai jamais eu, mais les mots sortent avant même d’être analysés parce qu’au fond, tu as besoin de faire redescendre la tension qui t’as habité le temps d’un instant quand elle était encore bloquée dans ce hangar abandonné et que tu ne savais pas quoi faire pour l’aider, peur de lui attirer plus d’ennuis qu’elle n’en avait sûrement déjà. alors tu craches ton venin en sachant très bien comment elle le prendra, comment elle réagira et au début peu importe jusqu’à ce que la voiture se mette brusquement à déraper sur le bitume encore mouillé de la veille, il en faut peu pour que vous ne valdinguez pas dans un fossé. les mains crispés sur le volant, tu jettes un œil à la responsable, encore la paume enroulée autour du frein à main, elle évite de te regarder. heureusement la route est complètement déserte, tu reprends ta respiration lentement essayant de calmer le feu qui te brûle à l’intérieur peut-être qu’elle est vraiment stupide finalement. peut-être qu’elle veut crever, si c’est ça qu’elle te demande de l’achever au lieu d’essayer de vous tuer tous les deux, bordel. mais les mots que tu t’apprêtes à lui dire refusent de sortir quand la gamine à son tour te fait des reproches sur cette nuit-là. elle a eu lieu, il y a des années maintenant et c’est un dossier que tu pensais scellé à jamais, mais elle a pas d’autres échappatoires que de le ressortir pour te déstabiliser. et c’est ce qu’il se passe, tu balbuties un truc que tu comprends pas, elle s’en fout de toute façon, elle est déjà en train de descendre de la bagnole et tu roules des yeux agacés quand tu la vois se mettre à marcher. vous êtes à des kilomètres de la première habitation, elle ferait plus vite demi-tour pour te retrouver qu’autre chose. mais tu laisses faire, tu sors toi aussi et tu lui attrapes le bras pour la forcer à se retourner. « mila, arrête tes conneries. » elle se débat pour continuer son chemin et te laisser là, mais tu peux pas continuer de faire comme avant, de faire semblant. tu vois dans ses yeux que c’est un épisode qui l’a marqué à vie, qu’elle sait pas qui t’est vraiment et ça te tue que l’une des seules personnes dont tu peux pas te passer dans ce foutu monde ait en elle une partie de toi qu’elle déteste. « mila, mais putain attend, je vais t’expliquer ok? » cette fois, elle s’arrête et tu respires à nouveau. « je vais t’expliquer. » tu dis encore pour qu’elle ne change pas d’avis. finalement, l’épisode de sa petite mésaventure est presque oublié pour être remplacée par ta foutue culpabilité, et tu la détestes celle-là en ce moment, elle te prend aux tripes tout le temps alors qu’elle existait à peine avant. vous vous retrouvez finalement à nouveau entassés dans la voiture, tu démarres et roule jusqu’à un petit restaurant sur le bord de la route. un truc avec des banquettes rouges qui sert du café à volonté. vous vous asseyez sur l’une des banquettes et même si tu peux sentir l’impatience grandissante chez la gamine, tu prends ton temps parce que tu ne veux pas précipiter les choses, elle te verra forcément différemment après et tu ne veux pas qu’elle ait peur de toi. d’accord, s’est arrivé une fois, tu as perdu le contrôle avec elle, mais c’était cette époque où vous flirtiez encore, où ses mains se posaient sur tes genoux, où elle te faisait des bisous dans le cou, après cet épisode là plus rien de ce genre ne s’est jamais produit. tu commandes deux, trois trucs sur la carte en pensant que la bouffe pourra peut-être faire redescendre la tension et en attendant les plats, tu croises les bras sur la table. tes yeux sondent ceux de mila, tu inspires profondément. « je sais pas ce que camden t’a raconté exactement, mais sûrement pas grand chose. mila ce soir-là, j’étais… j’ai jamais voulu te faire du mal. je t’ai jamais considéré autrement que comme ma soeur d’accord. je te le jure. simplement… » simplement, quoi? les mots se bloquent au fond de ta gorge.

elle l’avait imaginée cette scène, dessinée peut-être une centaine de fois dans son esprit. mais tous les ingrédients n’étaient pas présents pour que tout se déroule comme prévu, mila avait oublié bien trop naïvement les vapeurs trop ardentes qui s’échappent de l’organe palpitant sous ses côtes. qui lui embrument l’esprit, voilent la vision d’une couche rougeâtre dégoulinante d’emportement. elle qui est d’habitude maîtresse de son propre destin, déplace ses pions avec l’assurance scindée au centre du visage, elle a cette impression dégueulasse d’assister au crash brutal de ses convictions juste sous ses yeux. sans pouvoir l’empêcher, elle est spectatrice aux poings dévorés par des menottes imaginaires. la rancoeur, qu’on les appelle. ce poison épais et abject qui corrode les veines, infiltre le système sans prévenir. elle le pensait léger, peut-être même dissipé après la valse des années, mais maintenant qu’il bouillonne à grosses bulles dans ses artères, c’est une nouvelle erreur qui s’ajoute à la liste. alors elle tente de contrôler la chute, cherche de quoi s’agripper sur les parois glissantes du gouffre dans lequel ils s’enfoncent. rien, un néant total et exacerbant. c’est donc la fuite qui prend possession de son squelette, les poumons qui hurlent d’air assez gelé pour lui insuffler un semblant de lucidité. elle s’échappe par une porte de sortie qu’elle se crée elle-même, sans réaliser l’inutilité du geste. parce qu’il la rattrape trop vite, que l’étau de ses doigts contre son bras crame trop fort. réveille les démons assoupis. me touche pas. mais quand son regard se retrouve plongé dans le sien, et que c’est toujours la même mâchoire, le même plissement de lèvres, le même loevan que d’habitude, elle sent la fureur disparaître. un soupir qui traverse la barrière de sa bouche, remplit le vide qui les sépare, et finalement elle acquiesce mollement de la tête quand il l’invite à retourner dans la voiture. comme une sérénité étrange qui embrasse la scène cette fois, s’échoue sur ses épaules légèrement affaissées. voûtée par l’épuisement d’un ballet trop endiablé des émotions qui s’entrechoquent, elle déguste le silence avec délice. parce qu’elle sait qu’à présent elle ne peut plus faire marche arrière, se dérober au dernier instant de cette conversation qu’elle désire autant qu’elle craint. c’était peut-être plus simple de prétendre à une plaisanterie de sa mémoire déformée par l’ébriété, plus simple de se dire que ça n’avait été qu’une invention ficelée par son esprit trop fertile à l’affabulation. mais non, tout prend un aspect trop réel. avant qu’elle n’ait le temps de choisir si elle veut ses explications, elle se retrouve assise dans un restaurant, face à lui. comme si son esprit s’était momentanément évaporé pendant le trajet, bond dans le temps qui la prend à la trachée tandis qu’elle l’écoute amorcer ses mots. il m’a rien dit non. elle veut chasser rapidement le sujet camden, aurait même aimé qu’il ne soit même pas mentionné, pour aller directement à l’essentiel et que la torture cesse rapidement. mais sa phrase se suspend trop vite, et c’est son sourcil qui s’arque pour ponctuer le silence qui suinte à présent de ses lèvres. simplement? tentative peu convaincante de l’intimer à poursuivre, elle est interrompue par la serveuse qui dépose les assiettes sur la table. juste assez de temps pour qu’elle prenne une inspiration atrocement longue. j’ai une question. si je t’avais pas repoussé… le silence qui lui dévore la gorge, elle sent les mots s’embrouiller sur le bout de sa langue. nouvelle inspiration. peut-être la millième aujourd’hui, ce sont ses poumons qui semblent nécrosés par un manque d’air cruel. et le coeur qui martèle trop fort la cage thoracique. est-ce que t’en avais vraiment envie? et elle attends, les opales figées contre ses lèvres, en attendant l’articulation d’un non net et sans aucune hésitation qui viendrait effacer toutes les blessures qu’elle sent se frotter les unes contre les autres quand elle s’approche trop de lui.

« simplement? » elle te demande, et tu ne sais pas tout de suite quoi répondre. heureusement pour toi, la serveuse vient distraire la gamine en face de toi le temps de poser les assiettes. tu fuis le regard de la brune préférant jeter un œil à ce qu’ils appellent ici : le déjeuner des rois, qui à part le nom n’a absolument rien de royal, si quelqu’un te demandait ton avis. tu attrapes ta fourchette pour jouer avec en la faisant tourner dans ta main, mais mila est loin d’être stupide quand elle ne réfléchit pas avec son addiction aux jeux, alors elle relance le sujet simplement en te faisant croire qu’elle ne te voit pas venir avec ton petit manège, comme si tu étais revenu sur cette conversation toi-même, bien que tu es promis de lui expliquer l’envie est loin d’être présente, elle est même inexistante. tu ne veux pas qu’elle te voie autrement, tu ne veux pas qu’elle envoie sos à quelqu’un d’autre quand elle est en situation de crise parce qu’elle aurait peur que tu disjonctes dans l’habitacle de la voiture. pourtant les médecins t'ont expliqué qu’il était moins risqué que ce genre de situation embarrassante se produise si la personne avec qui tu te trouvais été au courant de ton problème. mais tu es incapable de prononcer le mal qui te ronge sans te sentir honteux, un peu monstrueux. « j’ai une question. si je t’avais pas repoussé… » les images de la soirée te reviennent en mémoire alors que tu n’y pensais plus depuis bien longtemps, tu espérais que ce souvenir là s’effacerait comme la plupart des autres, mais il faut croire que les actes dont on se sent coupable marquent plus que les autres. « est-ce que t’en avais vraiment envie? » tu te souviens exactement de ce que tu ressentais ce soir-là, de ton corps qui a pris le relais sur tes pensées, de tes mains qui ont glissé sur ses cuisses dénudées, de son parfum qui t’enivrait et même du goût qu’à eu son baiser, tu te souviens avoir eu envie d’elle follement, désespérément. tu te souviens de la sensation que ça te procure à chaque fois. mais aujourd’hui, tu la vois assise devant toi, avec son regard inquisiteur, alors que tu viens de la sortir d’une grosse galère, tu te souviens aussi des autres choses, des vraies choses, de l’avoir consolé après des ruptures, d’avoir écouté ses jérémiades sur molly cooper et sa bande de copines infernales. et tu sais que c’est comme ça que tu l’aimes vraiment mila, comme une soeur. et à cet instant T, alors que tu es toi-même à cent pourcents, tu ne ressens pas l’envie de la toucher, de l’embrasser ni même d’aller plus loin, d’ailleurs cette idée te donnerait presque la nausée. ce soir-là, ce n’était pas toi. c’était elle. mais ce n’était pas toi et tu sais qu’il faut que tu arrives à lui faire comprendre ça. « j’en avais envie oui. » tu regardes la gamine droit dans les yeux à présent, son visage se fige sous le coup de la surprise et tu prends une inspiration profonde avant de continuer. « mais toi ou une autre ça n’aurait rien changé. j’avais envie d’un corps, de me défouler. » tu sens bien que tes explications ne sont pas claires alors tu essaies d’arranger les choses. « je souffre d’hypersexualité. c’est euhm.. en gros, l’envie irrépressible d’accomplir un acte sexuel presque tout le temps? » simplifier les choses semblent encore plus dramatique en conséquence. « je prends des anti-dépresseurs pour contrer les effets, c’est juste que parfois il m’arrive de… de pas avoir envie de me shooter à ça. et je dépense la plupart du fric que gagne camden en prostituée de luxe. parce que les jolies filles dans les bars ne sont pas toutes aptes à s’envoyer en l’air le premier soir. malheureusement. » tu tournes la fin de ta phrase en dérision histoire de détendre l’atmosphère, mais tu es tendu à l’idée qu’elle décide de te laisser seule ou qu’elle te range dans la catégorie des timbrés.

des fragments de soleil qui se glissent à travers les interstices des stores poussiéreux du restaurant, impriment des zébrures sur la surface râpée de la table qui semble étrangement intéressant à mila qui en étudie chaque veinure. l’oeil fuyant, quand la situation prend soudainement des contours bien plus nets et tranchants, à mesure que les mots se bousculent avec parcimonie du bout des lèvres de loevan. pour une fois, ce n’est pas la plaisanterie graveleuse qui s’échange entre eux, ni les sourires affectueux fendus d’une sincérité qu’elle ne tente jamais de ravaler. pas avec lui, alors qu’il a probablement bien mieux compris qu’elle-même les mécanismes qui grincent dans ses entrailles. et c’est plaisant, d’habitude, de ne pas avoir à s’épuiser la langue pour qu’il comprenne les émotions qui s’entassent entre les parois de son crâne. mais là, alors qu’elle aimerait se farder d’un masque imperturbable jusqu’aux explications qu’elle brûle d’entendre pour dissiper toute dernière trace de crasse qui entache le visage de ce frère de substitution, elle sait que ses efforts se soldent tous d’un échec cuisant. elle a la nervosité imprimée sur le front, comme incrustée en néons clignotants qui lui délivre cette tension nichée dans ses veines. il l’avait vu quand elle s’était extirpée du hangar, et il la voyait très certainement avec une clarté étourdissante alors qu’elle s’affaire à maltraiter la nourriture abandonnée dans son assiette. mais le silence commence à s’étirer avec une langueur épineuse, ses talons qui tapotent contre le pied de la chaise et les ongles grattant le plateau. elle retrouve ses pupilles pour lui offrir l’impulsion nécessaire à parler, léger hochement de tête pour l’inciter à poursuivre sans s'embarrasser de tournures de phrases habiles. elle se fiche bien de l’emballage, trop désireuse de découvrir ce qui se niche sous ses côtes. parce qu’elle sent bien que l’hésitation n’est pas anodine, que quelque chose lui grignote totalement l’aisance et l’assurance qu’il a d’habitude. sa première phrase n’arrange rien, et une nouvelle fois ce sont les émotions qui animent la carcasse quand la surprise éclate dans ses opales sans prévenir, trop vivace pour qu’elle puisse l’atténuer. mais il poursuit, échaffaude des explications qui petit à petit prennent une forme crédible. mila reste murée dans un silence religieux, l’observe simplement lui offrir un nouveau fragment de son être, alors que les derniers résidus de colère qui souillaient les souvenirs de cette soirée s’envolent immédiatement. brusquement, c’est à son tour de découvrir la saveur de la culpabilité brûlante qui étrangle et irrite la gorge. alors ses doigts glissent le long de la table pour venir se lier aux siens, inconsciemment. la première fois que le geste avait été effectué c’était pour se nourrir de sa présence et y puiser un réconfort dont elle était assoiffée, mais là c’est les positions qui s’échangent et elle qui se veut médicament aux maux qui le taraude. t’es vraiment un con. pourquoi tu me dis ça que maintenant? elle connaît déjà la réponse, la devine dans les légers soupçons de crainte qui voilent ses opales, mais cherche à les dissiper du mieux qu’elle le peut. c’est le genre de choses qu’on est censés se dire, tu sais. sous couvert d’une reproche taquine, c’est une subtile vérité qu’elle lui glisse dans les tympans. loevan trop secret et mila bien trop ouverte qui meuble toutes les conversations. et moi qui pensait que tu me racontais rien parce que tu tirais jamais ton coup, je suis rassurée. léger sourire qui étire les lippes dans une tentative maladroite de détendre l’atmosphère encore trop tendue. mais elle sait que leur dynamique confortable va vite revenir, aussi vite qu’elle s’était échappée à cause de leurs coeurs un peu trop écorchés.

les yeux de la gamine s’écarquillent sous la surprise de ta révélation, maintenant que le sujet de cette soirée est revenue sur le tapis, tu viens à te demander ce qu’elle pouvait bien penser, qu’est-ce qu’elle avait bien pu imaginer? elle avait eu peur sur le coup parce que tes mains avaient glissé sans s’arrêter jusqu’à sa culotte que sa jupe cachait à peine, elle avait eu peur parce tu avais continué même quand elle avait murmuré non à ton oreille, une fois, deux fois, jusqu’à te repousser avec ses bras. tu te souviens que ça t'avait fait rire qu’elle tente de se dégager parce qu’elle avait pas de force la brune parce qu’elles n’en avaient jamais et tes yeux se ferment, tu ne dis qu’une partie de la vérité, qu’une partie des choses que ça implique. tu parles pas de l’autre fille, de celle qui a pas eu la chance que tu la laisses filer, que tu lui donnes l’opportunité de s’échapper. celle-là, tu veux l’oublier pour toujours, tu veux l’évincer de ta mémoire, comme elle ne pourra jamais t'effacer de la sienne. tu es le bourreau de ses cauchemars à présent, et tu sais que quand elle éteint la lumière le soir, c’est sûrement ton visage qu’elle aperçoit encore. mais mila en sait déjà plus que la plupart des gens, et tu ne veux pas lui faire peur. bien que camden soit au courant de l’acte horrible que tu as commis, bien que lui ait eu l’audace de pardonner, de soutenir même, bien que tu considères aussi mila comme un membre de ta famille à part entière, tu sais qu’elle ne cautionnerait pas certaines choses, qu’elle ne comprendrait pas certaines actions. ton frère a vu l’évolution, il a vu la maladie te rendre malade, te rendre nerveux, te rendre coléreux, il a vu les effets des médicaments, il t’a vu dans tes pires moments. elle, elle n’a eu le droit qu’à des brides et fort heureusement. sinon, tu as bien peur qu’elle serait déjà sortie de ta vie depuis bien longtemps. ta lèvre inférieure hurle de douleur alors que tu la mordilles en attendant qu’elle te juge, mais elle n’en fait rien la gamine. elle offre même un sourire compatissant, ses doigts se glissent jusqu’à ta main. elle se fraye un chemin entre les couverts pour venir t’enlacer de sa paume douce et tu soupires de soulagement, tu ne t’étais même pas rendu compte que tu retenais ton souffle jusque là. « t’es vraiment un con, pourquoi tu me dis ça que maintenant? » elle dit, et tu entends qu’elle est quand même un peu fâchée que tu ait pu lui cacher un tel secret, tu hausses les épaules en guise de réponse, après tout, tu ne sais pas trop. mila est la seule qui te regarde comme son héros parfois, comme si tu pouvais la sauver de certains maux. tu ne voulais pas gâcher ça, au fond tu voulais pas l’avouer, mais ça te faisait du bien que quelqu’un pense que tu ne sois pas si mauvais que ça. au fond, ça t’importait son avis à elle plus que celui de tous les autres. « et moi qui pensait que tu me racontais rien parce que tu tirais jamais ton coup, je suis rassurée. » un sourire s’affiche instinctivement sur ton faciès et elle t’arrache un rire détendant tout de suite l’atmosphère trop sérieuse qui s’était étirée entre vous. vous vous lâchez bien que tes yeux eux ne la quittent pas. « crois-moi, ma vie sexuelle est bien plus palpitante que la tienne. bien que j’ai perdu le compte du nombre de personnes que tu te fais en même temps, deux, trois, quatre? » tu taquines, tu te souviens très bien de tout ce qu’elle te raconte. elle est sûrement l’une des seules femmes que tu prennes la peine d’écouter sans penser à la sauter toutes les quarante secondes. « comment est-ce que ça va avec kitty? » la dernière fois sa relation avec la gamine semblait compliquée. « est-ce que t’as enfin largué cash? » non parce que celui-là, il faudrait vraiment l’évincer. bizarrement, ça ne te dérange pas qu’elle passe son temps avec une fille, mais tu ne supportes pas l’idée de la voir dans les bras d’un mec.

le soulagement n’a jamais aussi somptueux qu’à l’instinct même où mila entend le bruit de tout ses doutes entrer en collision avec ses explications et se transformer en un million de fragments poussiéreux au creux de ses entrailles. ça n’était pas exactement ce à quoi elle pensait, ni même proche des espérances qu’elle avait tracées en s’imaginant enfin le confronter à ce sujet. légère culpabilité qui lui corrode la peau en entrevoyant un peu plus l’étendue des dégats qui ravagent son être qu’elle imaginait déjà teinté d’une obscurité pénétrante. loevan perd un peu de sa splendeur qu’elle lui dessinait de ses yeux jeunes et admirateurs, le modèle reluisant prend une forme plus humanoïde qui luit de sentiments et de peines aussi transcendantes que les siennes. et pour une fois, c’est elle à qui on tend de quoi panser les plaies, redessiner les sourires du bout de ses ongles. le rôle lui sied finalement plutôt bien, qu’elle s’entend penser quand les mains s’échappent et reviennent se prendre possession des couverts grossièrement polis. presque totalement rassasiée de cette conversation, l’estomac gronde pourtant encore d’une curiosité malsaine nourrie par cette retenue qu’elle devine dans son regard à un instant précis. elle le sent hésiter, elle entendrait presque les pensées s’entrechoquer entre ses tempes. mais c’est certainement déjà bien trop pour une seule conversation, loevan s’est déjà trop exposé pour aujourd’hui et il ne lui offre aucune brèche à exploiter pour l’interroger sur cette chose obscure qui semble rester placardée derrière ses paupières. plus tard, ou jamais. qu’importe, à l’instant. mila ne veut égoïstement par avoir à nouveau à ramasser les morceaux de cette image qu’elle avait de lui pour en reconstruire une nouvelle encore plus belle. puis il semble imbibé d’allégresse à l’idée de finalement tordre la tension pour retrouver un échange moins sérieux, les sourcils comme usés de se froncer, et le cerveau qui fulmine un peu trop. c’est la plaisanterie qui étouffe le brasier, la langue qui retrouve le chemin confortable du ton habituel de leurs conversations. sa question à moitié rhétorique lui arrache un soupir faussement excédé, parce que c’est lui. parce qu’il est certainement le seul à avoir l’autorisation de gratter à cet endroit précis, les secrets qu’on entasse dans un recoin sombre du coeur et qu’on n’offre pas aussi aisément. pourtant il sait tout lui, prend souvent le rôle d’un exutoire au capharnaüm que sont toutes ses pensées, confessionnal improvisé où on expose les péchés sans attendre aucun pardon en retour. la main qui devient poing pour lui cogner l’épaule depuis l’autre bout de la table sans réelle violence. je comprends que t’aies du mal à compter mais deux c’est du niveau maternelle loe. sourire qui dévore les lippes, pourtant les questions qui s’ensuivent l’arrachent aussi rapidement qu’il est arrivé. réveil du sublime dilemme qui déchire la conscience dès qu’elle est emprisonnée avec ses propres démons, incarné par la dualité de relations qui s’entassent dans sa vie. ça va. enfin j’imagine. pourquoi t’es autant intéressé par elle, d’ailleurs? t’es pas son genre désolée. éluder les questions sans réponses avec l’expertise qu’elle a en ce domaine, manipulatrice de génie qui refuse de s’attarder sur le sujet de kitty, usée de l’avoir déjà trop souvent tatoué sur la poitrine. toujours pas non, cache ta joie. légère pause alors qu’elle hésite à l’interroger sur sa propre vie trop brumeuse pour elle, alors elle décide de prendre la bifurcation qui s’en rapproche le plus, même si l’être ne lui procure par le même bien-être que son frère. et camden, comment ça va? toujours avec… kimberly? c’est ça? beverly, elle le sait pourtant. mais chaque occasion de feindre l’indifférence à l’égard de son jumeau est délicieuse. encore plus de lui balancer au visage.