Je te cracherais bien mes glaires, salope.

Ashley, ça la dérangeait pas d’être pauvre. Son milieu à elle, c’est celui des apéro, des auberges espagnoles, de la musique qui va fort, du BBQ qui pue l’essence, des ventres qui dépassent, des rires trop forts, des filles qui oublient de se démaquiller avant d’aller dormir, des transports en communs, des insultes qui remplacent les mots d’amour. Tout ça, ça lui plait parce que c’est vrai. C’est humain. Ashley, elle se cache de rien parce qu’elle trouve ça hypocrite. Y a pas de je dois aller me laver les mains mais plutôt des je dois chier à mort là. La politesse c’est pas son truc mais elle s’en fout un peu si c’est le tien. Tant que t’essayes pas de lui imposer des trucs, globalement, tu fais tes trucs, elle fait ses trucs et les truies sont bien gardées.

Alors, ouais, ça la dérangeait pas d’être pauvre parce que ça se callait bien sur son mode de vie. Enfant sauvage, casse-cou, pas besoin d’argent quand il s’agissait de grimper dans les arbres avec son grand frère Johnny ou passer des heures à essayer d’attraper des rats des champs, à mains nues dans leurs terriers, genoux dans la boue. Pas besoin d’argent non plus quand la puberté ralenti le corps, l’avachi contre les troncs d’arbre, contre d’autres corps ou sur les trottoirs. Les cigarettes et l’alcool se partagent, les films se téléchargent, les vêtements se recousent et s’empruntent, les baraques se squattent. Véritable princesse des caniveaux, Ash adore le collège et le lycée. Elle traîne avec des garçons, sèche les cours, a cet air rebelle et cette beauté-nature qui intrigue, cette assurance qui attire. Elle parle crûment et dans ses mots, y a des bites, des chattes, des putains, des salopes, des enfoirés, des gamins terminés à la pisse et des gamines qui sucent des queues.

Ash, elle se rend pas tout de suite compte qu’elle est différente. Son regard traîne sur les filles mais la première fois qu’elle couche, c’est avec un garçon. Elle a l’impression que ça prouve qu’elle s’en fout. Pas question de jouer les prudes ou d’avoir peur. Mais ça ne lui plait pas alors elle essaye encore. Jusqu’à cette fille trop bonne dont elle s’approche un soir de bonfire. C’est peut-être d’abord les flammes qui se reflètent dans son regard ou peut-être ce décolleté dans lequel on a envie de plonger la main. En tout cas, y a un truc chez cette fille qui lui retourne le sang et elle s’approche sans se poser de questions, laisse son corps prendre les commandes, la touche, l’embrasse. Révélation. C’est ça. C’est ça qui la fait vibrer, c’est pour ça qu’elle est faite : les filles. Les filles et leur peau velours, leurs seins, leurs fesses. Y a que les filles qui ont une chance de la dompter, à condition d’être bien accrochées à cette fille-rodéo.

Son coming out, ça a été des cris et des portes qui claquent jusqu’à ce que tout le monde se lasse, s’y fasse. Des filles à la maison, de temps en temps, sans gêne. C’est plus un artichaut qu’un bourreau, Ashley. Mais elle ne s’engage pas facilement, elle voudrait pas montrer qu’elle est faible alors, les filles, souvent, elles passent à autre chose parce qu’elles trouvent que ça devrait pas être si difficile d’arracher des mots d’amour.

Les 758 millions du powerball, elle s’est dit que ce serait bien. Tout qui devient possible. N’importe quoi, n’importe quelle vie, elle pouvait tout avoir. Mais c’est un cadeau empoisonné. Ça vient avec des sourires hypocrites, des tailleurs ridicules, des banquiers prêts à passer sous la table. Des attentes lourdes. On la regarde, on la scrute, on espère qu’elle va se mettre à porter de la marque, à s’habiller avec goût. Dans les restaurants où ses parents l’emmènent, elle fait tâche. Sur les plages privées, elle fait tâche. Au country club, elle fait tâche. Elle n’aime pas ce nouveau monde. Ça l’irrite et elle est plus souvent en colère que d’habitude, depuis qu’ils ont gagné. Elle sabote les garden party de ses parents, sans se rendre compte qu’ils n’ont pas besoin d’elle pour être ridicules. Ils peuvent tous aller se faire foutre, elle ne changera pas.

L’argent lui permet au moins d’entrer dans une bonne école de cuisine. Là aussi, les gens sont prétentieux. Les assiettes sont autant d’œuvres d’arts avec des explications farfelues – ce coulis de framboise qui traverse la tarte aux pommes, c’est la violence de la perte de l’Eden – mais elle serre les dents parce que c’est son rêve, d’être reconnue pour sa cuisine. Elle leur montrera à tous quand elle sera cheffe de son propre restau’, ce que c’est de bien bouffer.

Petit à petit, sans changer pour autant, elle fait la paix avec l’argent et elle retrouve sa vie d’avant. C’est l’insouciance qui l’emporte, à nouveau. Elle ne fait pas d’efforts, n’apprend pas la politesse et continue de faire tâche autour des autres riches. Elle est un peu plus seule qu’avant parce que les mecs des rues ne la traitent plus comme l’une des leurs et que les riches ne l’acceptent pas totalement non plus, trop facilement déconcertés par son comportement. Elle s’en fout, elle a retrouvé le sourire. C’est une bonne vivante qui parle fort et assume ses blagues de cul.