Here is the path you choose † Veredis

† chapitre 1, verset 2
Tu es un petit bébé rond aux grands yeux bleus. Ta mère t’a donné ses fossettes creusées dans les joues quand tu ris et tes jolies mèches brunes, ton père t’a offert son nom et la lumière de ton regard. Engoncé dans une aube blanche, tu attends, assoupie, que vienne ton tour d’être baptisée. Ton père seul te tient, ta mère est assise sur un banc, pâle : elle t’a mise au monde hier, chez vous, sans assistance médicale autre que celle de la vieille doyenne de la communauté. Elle a tenu à venir pour ton baptême malgré sa faiblesse. Elle a tenu à te voir être baignée dans le bassin d’eau bénite, immergée, purifiée, accueillie dans le giron divin.

† chapitre 7, verset 192
Tu grandis sur ta petite île balayée par les vents, bouleversée par les marées, aux longues nuits et aux longues journées. Là, tu as appris la relativité du temps : ici plus qu’ailleurs, le clocher de l’Église offre un repère. Tu sens ton coeur chavirer lorsque le jour ne se lève pas. La Bible Sainte t’annonce les pires maux en ce jour. Pourtant, cette longue nuit d’hiver ne t’apporte rien de plus et rien de moins que les interminables journées d’été. Plus tu es à l’écoute de la nature et de la terre, plus tu doutes. Tu vas étudier les textes sacrés avec le curé, comme les trois autres enfants de ton âge de la communauté. Trois, c’est peu. Dieu n’est pas autre : père, fils, saint esprit. L’esprit sain, c’est toi : tu t’interroges sur le monde, tu te questionnes. Du haut de tes six années de vie, tu sens bien que tu ne seras libre que lorsque la dernière pierre du dernier autel sera tombé.

† chapitre 13, verset 18
L’âge de raison est passé, et avec lui ta jeunesse fleurit. Tu t’éveilles, un matin d’été, un vent de panique entre les cuisses. Des pétales de carmin posé sur les draps de ton lit, tu saignes. Ni la Bible, ni le prêtre, ni ta mère n’ont jugé bon de te parler de ton corps de femme à venir. Aucun d’entre eux n’a eu la présence d’esprit de songer à toi, à ton inquiétude, à ta peur soudaine de te voir saigner comme un Christ en croix. Tu n’as pourtant pas de blessure au flanc, ni de couronne d’épine. Mais à l’instant où un soleil rouge s’éveille entre tes draps sous ton œil effrayé, tu sais que tu ne seras plus jamais la même. Est-ce donc ça la marque du péché d’Eve ? Saigner en souvenir de sa trop grande curiosité ?

† chapitre 14, verset 289
Tu as les yeux baissés, les mains jointes. L’église tourbillonne autour de toi. Tes mèches brunes sont remontées sur ta nuque. Fragile oiselle de treize ans, tu pries. Ou plutôt, tu donnes l’impression de prier. La communauté est au complet pour veiller l’âme de la vieille Ruth, la femme qui t’a accouchée. Elle s’en est allée dans la paix du Christ, disent-ils, après un long combat contre le démon. En cours, tu as pourtant bien appris ce que « maladie d’Alzheimer » voulait dire. Tu blasphèmes en pensée, songe sous les voûtes de l’étable que tu ne veux plus faire partie du troupeau de Dieu. Mais où trouveras-tu la force ? Ta mère, douce et aimante est près de toi, plongée dans une adoration sincère. Ton père, droit, fier et juste est à côté d’elle. Des gens si extraordinaires. Tu te fais l’effet d’être le vilain petit canard de la famille. Tu te dégoûtes.

† chapitre 15, verset 83
Tu es la fille la plus vêtue en ce début d’été. T-shirt, petite veste. Autour de toi, tout n’es que maillot de bain et bikini. Tu serres contre toi ton vêtement, mal à l’aise. On t’a toujours appris à dissimuler aux yeux des démons ton petit corps frêle, même lorsqu’il a acquis les rondeurs de la femme pour perdre la souplesse de l’enfance. Tu es mal à l’aise. C’était une mauvaise idée de te mêler aux élèves de ta classe pour cette virée en bord de mer. L’air est troublant de bleu, le ciel dégagé, l’air serait presque chaud. Pourtant ton coeur et ton âme sont glaciales. Tu restes dans le sable, dos voûté et tu pries pour que tout cela daigne cesser. Combien de temps encore devras-tu combattre tes pulsions quand ton seul désir est de laisser tes yeux s’attarder encore sur les courbes des femmes et sur les torses des hommes ?

† chapitre 17, verset 1
Avec une retenue sincère, on célèbre ton anniversaire. Seize ans, presque une femme. Tu étouffes dans cette prison de bienveillance et d’espérance en Dieu. Pour supporter tout ce carcan, tu fais bonne figure. Tu baisses les yeux devant les garçons, tu te promènes avec ta Bible et ta croix, et tu cherches en vain ce que tu pourrais trouver pour te sortir de là. Peu à peu, l’idée se fraie un chemin et te guide jusqu’à l’armoire à pharmacie de la maisonnée. Tu prends une des pilules paternelles et tu l’avales. Ta journée sur un nuage, la première goutte de l’addiction dans tes veines.

† chapitre 18, verset 364
Le crépuscule éternel s’étale devant tes fenêtres : c’est la fin de l’été, bientôt la nuit reviendra. Déjà, il y a parfois quelques minutes de noir complet avant que ne renaisse le jour en une aube brûlante. Tu sanglotes. Ça n’arrive pas souvent que t’échappent à ce point tes émotions. Les hoquets te bloquent la gorge et ton masque gît dans les abysses. Ta main s’est refermée sur le petit tube en plastique orange que tu as dérobé dans l’armoire. Ta peau s’embrase sous la clarté ardente du soleil. Tu auras dix-huit ans, demain. Tu seras majeure, et bonne à marier. On voudrait bien te fiancer à un jeune homme de la congrégation de deux ans ton aîné. On voudrait bien que tu suives le même chemin que ta mère. Tu le refuses. Tu continues de refuser en portant à tes lèvres le flacon et en avalant les capsules qu’il contient.