beauté décadente (ezra)

je l’ai regardé de toute mon âme. je me suis abreuvé de sa beauté pendant que durait encore le silence, car elle n’était jamais plus sublime que dans le scellé de ses lèvres. je les aimais ses pulpeuses, pourtant. j’adorais en dessiner les contours à l’encre de mes doigts pour savourer dans son regard l’extase d’être touchée par ma main. mais ces lippes, encore rosies par la juvénilité de sa personne, m’étaient bien trop bavardes, trop avides de mots qu’elle choisissait gauchement car pressée de me plaire et donc bien trop souvent sans élégance. mais moi, le poète, je savais que ce que la parole avait de plus précieux, c’était la parcimonie avec laquelle elle se devait d’être employée. il suffisait pour le prouver, de regarder ma mignonne boire mes aphorismes comme s’ils eut été bénis, car pendant si longtemps je ne lui avais offert que l’écho de ses propres réflexions dans mon mutisme. alors puisqu’elle ne parlait toujours pas, dans l’attente, certainement de ma prochaine instruction, je l’ai regardé. je l’ai regardé longtemps. j’ai admiré le soleil mourant caresser sa chevelure de son dernier rayon et je me suis épris de la façon dont la lumière la rendait irréelle à mes yeux. et malgré ça, ma peinture ne voulait pas d’elle. pas aujourd’hui. l’art était une allégorie de toute chose cruelle fallait-il croire, car malgré la splendeur de babi, elle ne m’inspirait rien. à la vérité, rien ne m’inspirait du tout. la nuit précédente m’avait été brutale et sans répit. je l’avais passée, torturé comme à mon habitude, par tout ce que j’étais et ce que je n’étais peut-être pas. loin des bras de morphée qui me pourvoyait toujours tant de réconfort, je m’étais agité jusqu’à l’éclaircissement du ciel, incapable de trouver le sommeil. aussi, la perspective de cette journée ne m’enchantait déjà guère et c’était pire si je n’avais rien à peindre, rien à écrire. j’avais besoin de la plus grande concentration pour recentrer mes esprits créatifs. mais c’était sans compter sur babi ; calliope en tout autre jour ; mon supplice, aujourd’hui. son discours sonnait comme une incartade à mes oreilles. « ne parle pas, ma mignonne. je réfléchis. » et je voyais dans le langage de son port qu’elle ne cherchait qu’à m’obéir : elle, la créature docile enchaînée à ma baguette. son ostentatoire fragilité se montrait à moi comme une invitation à la détruire, et dieu sait que parfois, je peinais à résister à l’urgence de l’ensevelir sous le chaos. « viens, babi. approche. » je lui ai tendu la main pour qu’elle me rejoigne. que je voulais tout près de moi, sur mes genoux sinon plus près encore, là où sa présence pourrait peut-être faire éclore une fleur à cueillir et à déposer en peinture sur le canevas vierge en face de moi. « aide-moi, ma mignonne. j’ai besoin que tu m’inspires. » il n’y avait rien d’automatique dans l’art. ce genre de chose ne se déclenchait pas d’un battement de cils. il est évident que je ne l’ignorais pas. pourtant, j’avais comme cet impératif interne de trouver ma voie dans les traits de son visage à elle. il me fallait capturer son essence, quand bien même je me heurtais déjà depuis le matin à la toile blanche en la regardant. parce que si ça ne marchait pas – et j’avais la très nette impression que ça ne marcherait pas – j’aurai mon excuse auprès de dieu pour la malmener un peu. je n’étais pas mal intentionné, non. je ne l’étais jamais. simplement, les choses étaient telles que j’aimais babi cent fois plus dans l’affliction de sa douleur.