le plus petit baiser jamais recensé.

- la tête tournée vers les étoiles -

Ça sonne pas souvent, c’est comme ça depuis longtemps. On garde la porte close pour la forme, mais personne n’approche jamais. Peut-être parce que la maison est en retrait par rapport aux autres, ou peut-être juste parce qu’une partie des habitants du quartier ont cette foutue habitude de tenir éloigner tout ce qui peut-être différent. Pire, étranger. Alors on s’approche pas, parce que les gamins ne sont même pas sûrs que la vieille dame qui sourit gentillement sache parler comme eux. C’est pas qu’ils veulent pas y aller, mais c’est l’étiquette, c’est comme ça. On sonne rarement à la porte, parce que personne ne vient jamais vraiment depuis longtemps maintenant. Peut être parce qu’« abuela » se tient à l’écart du bruit et des vagues. Qu’elle essaye de pas prendre de place, et encore moins de déranger. On raconte même qu’une fois elle aurait laissé sa place à la caisse d’un supermarché. Elle est discrète « abuela », et pourtant elle est tellement plus belle que toutes les autres, quand elle sourit avec ses lèvres abîmées par le temps. C’est ce que lui répète « papa ». C’est pas son fils mais c’est presque pareil.
Ils ont l’habitude.
Celle de passer inaperçus.
Ça les protège et ça leur laisse croire qu’ils ne sont pas venus ici pour rien.
Alors ce jour là quand ça sonne à la porte, « abuela » porte la main à ses lèvres. Elle pourrait jurer ô nom de dieu, murmurer en gardant la main contre sa poitrine. Parce que depuis qu’elle est gamine Frida, on raconte a moitié cette histoire dans laquelle viendrait un jour un homme armé qui les ramèneraient tous sur le saint sol de leur vie d’avant. « Abuela » ça lui file tellement peur que parfois elle en dort pas la nuit. Elle le sait Frida, parce qu’elle l’entend marcher et respirer fort. Elle sait parce que c’était la consigne depuis toujours, être polie, être sérieuse, ne pas faire de vague à l’école. Ressembler à n’importe qui pour ne pas prendre le risque d’être vu.
Vraiment.
Elle a ce joli sourire Frida, qui pourrait vous faire bondir le coeur.
Celui qui dit que tout va bien, tout le temps.
Celui qui contamine les yeux et la fait briller si fort.
« J’y vais » qu’elle murmure en lui effleurant la main.
« Papa » n’est pas là, parce que « papa » fait des heures supplémentaires au garage où travaille aussi Frida. C’est lui qui lui a apprit, quand elle était encore gamine, à faire des vidange et démonter des radiateurs. Alors c’est Frida qui traverse la petite maison pour aller ouvrir. Ca sonne rarement, parce que personne n’a jamais eu que faire de savoir qui vivaient derrière. Quelques voisins sont venus, à la mort de « mama ». C’était paru dans le journal, ça demandait l’effort gracieux d’être poli. Parce qu’elle, elle rayonnait, parce qu’elle, on la voyait. Elle était forte, et elle savait amadouer les passants. Pas Frida. Frida ses doigts ils glissent autour de la poignée, et elle a ce joli regard, le regard pas inquiété. Elle ouvre et son sourire s’éteint. Frida, elle sourit souvent, sauf quand elle joue, parce que quand elle joue, c’est autre chose. Ses doigts parfois, ils brûlent d’une colère contrainte et contenue. Une tempête à l’intérieure de sa poitrine. C’est peut-être ça, le dessin qui teinte ses yeux un instant. Frida c’est pas une de ces princesses qui parlent beaucoup. Y a qu’a voir, elle a pas vraiment l’air d’une princesse tout court. Mais ce jour là, la porte entre-ouverte, elle parle pas. Elle lui expliquera plus tard, que ce n’est pas le moment, que c'est pas forcément l'endroit. La porte se referme sur son visage de faux-prince, et c’est tout le corps de Frida qui pourrait manquer de s’effondrer. Drôle d’oisillon planqué derrière l’idée maladroite qu’elle se doit de rester forte. Comme « mama ». Comme les autres. Alors elle sourit à « abuela » Frida.
« Tout va bien, c’était le facteur. » qu’elle murmure.
C’est faux.
Derrière la porte c’est Roméo. Sauf que Frida c’est pas une Juliette.
Alors la porte se referme sur son drôle de visage.
Le cœur brûlant,
Incandescent.