blood soaked knees (nora)

with bloody palms and a scraped heart,
I crawl back to you,
never knowing when
to get up off these blood soaked knees.

Si ça n'avait pas été tellement glaçant, la rapidité avec laquelle Gemma était passée en mode damage control aurait pu être impressionnante. Les portes de l'ambulance n'étaient pas encore fermées derrière le body bag à l'intérieur duquel Cece avait disparu - un body bag, putain - qu'elle avait ravalé furieusement la souffrance salée qui grimpait dans son oesophage. Non. Non non non non. No fucking way. Hors de question de devenir un petit tas d'os cliquetants et de déchirement primaire. Il y avait bien trop à faire, à commencer par éponger le sang sur le béton ciré et répondre aux questions de la police. Tout ça, Gemma maîtrise. Quelque part en cours de route, la chorégraphie est devenue familière - et quelle réalisation insupportable c'était. Où avait-elle pris le mauvais virage pour que sa vie soit devenue ça, les mains rouges et la peur violente. Elle avait voulu se frotter aux éléments, à la condition humaine, à la nuit et tout ce qui y rampe, elle avait refusé la vie douillette que les étoiles lui avaient réservé à sa naissance, respectant bien trop le ciel pour oser lui donner du réchauffé. Be careful what you wish for - et son courage de s'écraser à ses pieds comme un château de cartes. Elle n'est pas faite pour ça, Gemma, elle l'a cru pendant une seconde mais c'est pas dans son putain d'ADN. Elle ne peut pas s'habituer au danger. Elle aime trop fort pour supporter la perte, a les bras trop grands pour qu'ils tolèrent de se refermer sur du vide. La mort de Cece (parce que c'est ce dont il s'agit, pas d'euphémisme qui tienne, Cece n'est pas disparue, Cece n'est pas partie vers un monde meilleur, Cece est morte d'une balle en pleine poitrine) est d'autant plus insupportable car ce n'est pas seulement son amie qui s'est éteinte, sa soeur, mais un symbole. Leur refuge à toutes, leur créatrice. Sa protectrice. Si Cece était leur fer de lance, Gemma a toujours été leur stabilité, financière comme émotionnelle. Pour s'empêcher de choir au sol, elle s'est claquemurée dans son rôle. A pris les devants et les responsabilités comme une seconde peau, heureuse de porter le poids du monde sur les épaules tant que ça maintient son esprit occupé. C'est elle qui a organisé la crémation qui aura lieu dès que les autorités relâcheront le corps, elle qui a payé les procédures et signé la paperasse, elle qui a prévenu qui devait être notifié, elle qui garde la colonne vertébrale droite et le visage conquérant pour offrir un répit aux filles. Elles se sont recueillies ensemble mais tôt ou tard, ont toutes eu besoin de solitude - sauf Gemma. Elle sait que la seconde où elle laissera le silence la rattraper, elle sera aspirée par le vide. Elle a besoin de bercer, de se rendre utile, de protéger, pour compenser qu'elle n'a pas su le faire quand c'était vraiment important. Quand Cece en a eu besoin pour la dernière fois. One-track mind, roulant vers le planétarium dans la Rolls clinquante d'Edna, investie d'une mission. Portable dégainé alors que le moteur ronronne encore sur le parking. "je suis devant le planétarium. sors." Elle aurait dû venir la chercher plus tôt, dès qu'elle a pris de ses nouvelles et qu'elle lui a dit être à l'observatoire - c'était étrange dès le départ, cette demi-confession, elle savait pertinemment qu'il y avait quelque chose que Nora ne disait pas - mais entre-temps, il y a eu Fiedler, il y a eu Cece et la détonation, tout s'est brouillé. Cela fait quatre jours que Gemma fuit. La réalité. Le deuil. Nikos. Les souvenirs. Quatre jours qu'elle fuit en prétendant affronter. Nora a toujours dit ne pas avoir besoin d'elle. Bullshit. Foutu mensonge, un parmi un millier d'autres. Ça n'a jamais été aussi réciproque qu'aujourd'hui. Gemma a besoin d'elle, là, tout de suite, avant que le trou dans l'eau ne se referme. Elle veut veiller sur elle comme un foutu ange gardien, la couver, poser ses lèvres sur son front, lui brosser les cheveux, lui dire que tout ira bien et peut-être qu'enfin, enfin, elle parviendra à s'en convaincre. Le texto reste sans réponse une poignée de minutes et Gemma appuie sur le klaxon tonitruant. Elle sort, faisant claquer bruyamment la portière dans le calme du couchant. Des grilles empêchent de s'approcher du bâtiment mais elle connait suffisamment les lieux pour savoir comment se glisser dans l'interstice. Au pied du planétarium, elle jauge l'édifice et sa porte, naturellement, verrouillée. "NORA !" Le cri fait écho, retentit quelques secondes. Rien ne bouge, alors elle n'hésite pas à le réitérer une seconde fois, puis une troisième. "Nora, montre-toi MAINTENANT !" Si elle doit crier jusqu'à faire rappliquer les flics, jusqu'à alerter le district entier, elle le fera. Elle n'est rien si pas obstinée, et depuis le temps, elle imaginait que Nora l'avait compris. Cette dernière peut endosser son enveloppe de loup solitaire et crier à la lune autant qu'elle le souhaite, Gemma ne se laissera jamais repousser comme une vulgaire proie. Elle a les poumons puissants, la nuit devant elle, et exactement zéro intention de repartir seule.

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des jours. il s’est passé des jours depuis que le téléphone de la gamine s’est illuminé au nom de gemma. des jours que la colère est ressortie, à peine aussi flamboyante que les autres fois. des jours qu’elle ravale ce sentiment terrible qui retourne son estomac, se distingue pourtant du chaos qui l’entoure. le tressaillement face à à la réalisation. et le crash du coeur face à l’abandon. encore. technique préférée de la reine rousse, qui empiète partout sur sa vie quand elle en a envie, annule ses plans, écrase le reste du monde, pour s’en retourner comme elle est venue, comme si elle n’avait jamais été là. comme si nora n’avait jamais compté. une journée pour oublier ses soucis en se plongeant dans ceux de la gamine : bonne action de l’année, elle vient comme bon lui chante, reste tout juste le temps d’apaiser sa conscience. une main faussement tendue vers les moins fortunés, peut-être qu’elle pense bien y faire gemma, quand elle pose ses yeux remplis de pitié sur la gamine. et cette seule idée fait rugir un peu plus la boule de feu planqué sous les flancs de nora. mais malgré ça, elle l’attend. des heures. des jours. se donne autre chose à penser que le crâne troué du macchabé qu’elle a vu s’effondrer sur le sol, de la main de son frère. pour elle. uniquement pour elle. et elle est fatiguée qu’on fasse les choses pour elle, nora. pour la sauver, comme si c’était ce dont elle avait besoin. comme si maintenant qu’on lui avait pris le glock qui avait fini par trouver sa place au creux de ses reins, il ne lui restait rien. elle fulmine. d’attendre. encore et encore, sans savoir après quoi. gemma. sil. ike. tous ces gens qu’elle repousse et qui pourtant reviennent encore. elle fulmine, de ne pas être capable de les éloigner pour toujours. elle fulmine, de même pas être capable de s’détruire avant qu’ils ne le fassent. et soudain, elle a fini d’attendre. la voix de gemma résonne dans la grande salle du planétarium, là où elle déplie son sac de couchage tous les soirs. elle sursaute, sent le pouls qui panique, file à toute allure et bat jusque dans ses tempes. non. on la trouver, la piéger. l’arrêter, la foutre dehors. et elle n’aura plus rien. elle arrive pas à croire que ce soit sa propre stupidité qui l’ai mise dans cette situation. elle savait qu’elle aurait jamais dû dire à gemma où elle se planquait, ni à elle ni à personne, même si tout le monde semblait s’être passé le mot. mais c’est bien ça, le problème. mais c’est bien ça le problème, gemma exige et nora exécute, comme une putain de poupée vivante, comme celle qui se bat toujours si vivement contre elle mais qui n’arrive jamais vraiment à couper les ponts. la voix résonne, nouvel affolement, elle s’relève d’un coup, replie les couvertures à la lumière de l’éclair, planque le tout roulé en boule à l’intérieur du conduit d’aération, à côté de ces pépitos mystérieux qu’on dépose si souvent. quelqu’un sait qu’elle est là et elle se penchera dessus plus tard, nora. ou peut-être pas, peut-être qu’elle se contentera de manger les pépitos en fermant les yeux sur les évidences qui s’imposent à elle. un coup d’oeil par la grande fenêtre et la gamine s’agace de poser le regard sur la crinière flamboyante. QUOI ? le ton dur dans un chuchotement pourtant, les sourcils froncés d’accourir encore quand elle le demande. toujours. sans jamais rien avoir en retour. elle grimpe à la gouttière avec l’agilité des gamins qui ont grimpé tous les arbres de la ville, se laisse glisser pour retomber parfaitement sur ses pieds. elle lui agrippe le bras pour l’entraîner plus loin au pas de course, aussi loin que possible du planétarium. tu veux me faire virer d’ici ou quoi ? la mine tirée, presque agressive. elle veut lui faire payer. elle remarque pas, nora. peut-être l’obscurité ou peut-être l’égoïsme la gamine. elle voit pas les traits tirés semblables aux siens, les insomnies qu’elles partagent vraisemblablement toutes les deux. elle voit rien des nerfs tendus, du visage fatigué, du corps prêt à lâcher. elle l’attire jusqu’à la flambante neuve de gemma, s’arrête enfin, presque trop brutalement, croise les bras, tape du pied. tout pour crier qu’elle ne montera pas dans cette voiture.

Le prénom hurlé contre la façade fonctionne comme une invocation. Ses textos ont beau être ignorés, sa voix véhicule suffisamment de souveraineté pour que le visage de Nora perce la devanture du planétarium. Gemma a toute l'autorité de la grande prêtresse, chevelure rouge et vêtements noirs. C'est ça le problème, en fin de compte, quand on est toujours sombre, quand on est sans cesse orageuse. Personne ne remarque l'épaisse couche de deuil par dessus le manteau noir. Nora comme une apparition, visage sombre au milieu d'une symphonie de verre - des grandes fenêtres qui font le tour de l'édifice et Gemma se demande comment on peut vouloir créer quelque chose d'aussi facilement brisable. Elle a envie d'y jeter une de ces grosses pierres qui jonchent le chemin rocailleux, de la lancer de toutes ses forces contre la vitre, être seule architecte de la destruction. Nora qui, comme d'habitude, a les sourcils froncés lorsqu'elle avance vers elle. Ça adoucit quelque chose de tranchant en Gemma, de nerveux et en alerte depuis quatre jours, l'empêchant de fermer l'oeil ou de prendre une seule grande inspiration. Nora et son étrange pouvoir : plus elle se croit grande, plus elle se croit indépendante, plus Gemma ressent le besoin impérial de se transformer en ange gardien. Lever le bout des doigts jusqu'au front déformé par la férocité, bénir silencieusement la peau froide sous le prétexte de lisser ce sillon entre ses sourcils. Trop jeune pour être si acharnée, trop jeune pour avoir le goût de la bile en permanence contre la langue, mais à y regarder de plus près, Gemma n'était-elle pas identique à son âge ? Un peu plus de moyens, un peu moins de virulence. Ça lui aurait plu à l'époque, cette symbolique. Dormir au planétarium. Se recroqueviller au plus près des étoiles. Peut-être qu'elle aurait compris, qu'elle aurait ressenti une jalousie mal placée - sans savoir qui elle convoite réellement, d'entre Nora et le cosmos. Peut-être que c'est toujours le cas en réalité, et que Gemma n'a pas passé l'âge d'envier une métaphore. Sauf qu'à son goût des images s'est superposé une religion du pragmatisme et il n'y a aucun putain de moyen qu'elle laisse Nora croupir ici. Faudra lui passer sur le corps. Gemma hausse les épaules, nullement défaite d'une seule once de confiance en elle. "Bien sûr que oui. Tu crois pas sérieusement que je vais te laisser moisir ici ?" La question est rhétorique, le ton entièrement dénué d'humour. Nora est bien placée pour savoir à quel point Gemma peut se montrer tyrannique dans son besoin de protéger. Constamment désireuse de placer les filles qu'elle aime sous sa coupe, au chaud dans sa paume et serrer fort - là où rien ni personne ne pourra les atteindre, là où la moindre attaque contre elles sera arrêtée par les doigts fins de Gemma, serrés autour de leurs silhouettes si frêles. Si elles entrent dans une guerre des égos, Gemma aura forcément le dessus. Nora a beau être obstinée, elle doit bien se rendre compte qu'elle ne gagnera jamais. Pas parce que Gemma est plus persuasive, ni parce qu'elle finit toujours par obtenir l'ascendant - ce qui ne sont pas moins des vérités générales - simplement parce que Gemma a la loi de son côté. Nora, clandestine, sera ridiculement facile à déloger. "Rassemble tes affaires, on se barre. C'est final." Main de fer dans un gant de velours, Gemma ne s'est embarrassée d'aucun accessoire aujourd'hui. Le métal est nu, visible et crissant à l'air libre. La mort brutale de Cece lui a enlevé ça, le vernis de la tendresse. Elle n'est plus que protection agressive désormais, qui ne prend aucune précaution, qui ne souffre d'aucune contestation. Fini le laxisme, elle ne laissera personne d'autre lui filer entre les doigts et échapper à toutes ses bonnes intentions, aussi dictatoriales soient-elles. "Qu'est-ce qui est arrivé à ton appart ?" La question logique à poser, tout en se doutant sérieusement qu'elle ne rencontrera jamais aucune réponse. Elle a fini par connaître les mécanismes de défense de Nora depuis le temps : répondre à une question par une autre, surenchère de l'agression. Petite silhouette fluette qui ne recule devant rien pour se donner du poids, pour prétendre se suffire à elle-même - oublie ça, on parle pas de ça, j'ai pas besoin de toi.

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c’est peut-être ce qu’elle cherche, ou bien peut-être pas. la confrontation. la dispute. les yeux noirs et les mots violents. impossible de savoir avec nora, elle même n’est pas sûre de savoir ce qu’elle veut, encore moins où elle va. ce qu’elle attend de cette rencontre pas vraiment hasardeuse. d’un côté, il y a cette envie furieuse de la mettre au pied du mur. le besoin malsain de creuser la douleur, d’aller gratter là où ça fait déjà mal. rien que pour avoir le retour de sa pièce, rien que pour la satisfaction éphémère de savoir qu’elle a été vengée. que la leçon est apprise, que jamais gemma ne recommencera. et que jamais plus elle ne la laissera. la colère flamboyante de la gamine abandonnée encore et encore, contre l’accalmie du coeur brisé trop de fois, fatigué. gemma au centre de tout, elle crée les raz-de-marée quand elle s’en va et s’en revient avec la tempête qui fait claquer les vagues sur le rivage. promet de rester chaque fois, s’en va pourtant tout le temps. et nora, ça ne l’empêche pas. d’y croire un peu, quand elle se persuade que cette fois, ce sera la bonne ou bien quand gemma ne lui laisse pas l’opportunité de croire à son contraire. elle y croit, se cogne à chaque fois contre les briques qui l’assomment. elle devrait le savoir, qu’il n’y a pas de toujours avec gemma, juste des parfois, un peu. quand elle a envie, peut-être sûrement quand elle y pense. et si ça met nora dans une rage d’enfant délaissée, elle est incapable de lui reprocher bien longtemps. essaie, pourtant, les bras croisés sur le torse, caprice de gamine refusant de grimper dans la voiture. et échoue misérablement. depuis quand ça t’intéresse ? elle persiste encore pourtant, avant de revenir à la raison. y a pas de nora gagnante avec gemma. y a que nora qui la ferme, rage mise en sourdine pour quelques heures, avant de constater l’absence à nouveau. elle se débat encore un peu, pour la forme ou pour l’égo, se cogne à une gemma qui n’en démordra pas, pas ce soir. plus féroce que d’habitude, lionne qui ne laissera pas nora avoir raison d’elle. soupir. j’ai rien à prendre. c’est moins nerveux cette fois, lancé avec nonchalance. tout ce qu’elle possède se trouve dans le vieux sac balancé sur l’épaule, quelques objets de valeur, les pépitos de l’inconnu toujours à portée de main. les vieilles couvertures peuvent bien restées planquées dans la grille de ventilation du planétarium, elle s’en fiche. rien, il est toujours là. coup d’oeil en biais lancé dans sa direction. presque inquiète qu’elle la regarde, qu’elle devine les déchirures, celles qui s’accumulent plus que ce qu’elle est capable de gérer. j’ai juste plus ma place là-bas. et elle essaie de ne pas y accorder trop d’importance, nora. évite de s’engouffrer dans le trou noir qui l’attend si elle laisse son âme glissée vers les erreurs, les regrets. ce qu’elle aurait dû dire, faire. ce qu’elle sera jamais capable d’accomplir, pas même si ça veut dire garder les siens auprès d’elle. la portière de la voiture claque comme pour meubler la discussion, lui éviter d’avoir à en dire plus - trop. et pour la première fois peut-être de la soirée, nora pose les yeux sur gemma. y découvre avec un mélange de surprise et d’inquiétude les traits tirés de son visage. l’absence affreuse de cachet au fond de ses yeux. la fatigue et le teint pâle, rien qui ne lui ressemble d’habitude. elle a les sourcils qui se froncent et le tonnerre qui gronde au fond des tripes. elle voudrait crier à nouveau et lui rugir sur ceux qui l’ont mis dans cet état là. elle voudrait attraper gemma par les épaules et la secouer de toutes ses forces pour retrouver celle qui habite ses rêves. pourtant il n’y a rien. rien qu’un vague silence, trop court pour y entendre quoi que ce soit. trop long pour ne pas s’y perdre. elle voudrait dire quelque chose nora. poser tout un tas de questions. pourtant la seule chose qui lui vient à l’esprit c’est on va où ? les yeux recentrés devant elle. gemma ne lui dira rien, ou bien peut-être que si, seulement quand elle en aura envie. alors la louve devient chaton, douce comme de la soie, se laisse brosser dans le sens du poil. rien que pour cette fois.