red hot caution-taped (nikos)

here is the truth and it’s that
we both knew what was coming.
you were red hot and caution-taped
and i was looking for a sharp edge
to bring feeling back into this
godforsaken body.

L'alcool se balance douloureusement dans ses tempes, passé d'autant plus vite dans le sang que, ce soir, elle l'utilise comme un analgésique plutôt qu'un récréatif. Tambour de guerre dans la poitrine, les battements devenus agressifs à force d'avoir été réprimés. Maintenus fermement entre les côtes, verrouillés là où personne ne peut les voir, là où ils ne peuvent pas influencer son jugement, là où ils ne pourront pas l'empêcher de fonctionner. Il y a trop à faire, son excuse utilisée à tour de bras pour justifier son apathie que tous considèrent glaçante. Elle préfère le terme 'admirable', mais se contentera de n'importe quel adjectif qui met l'accent sur l'effort. Sur la noblesse de son échine droite. La dignité de ses yeux secs - pas une seule larme versée depuis la tragédie, début du délitement, mort de Cece qui emporta Kitty dans son sillon. S'ils ne comprennent pas, tous - les flics, les filles, ses mères, Nikos probablement - que sa léthargie n'a rien à voir avec le fait qu'elle n'aimait pas suffisamment Cece et tout à voir avec le fait qu'elle l'aimait trop, qu'ils aillent au diable. Il y a trop à faire ; aspects légaux comme humains, du damage control à perte de vue qu'elle accomplit avec sa poigne habituelle. Sans demander quoi que ce soit à personne car c'est son foutu modus operandi, les épaules chargées mais rigides, fières, qui contrôle et régit sans demander de l'aide à quiconque. Elle ne peut pas se permettre le luxe de tomber en morceaux. Ce serait bien trop victorien à son goût. Elle est plus forte que ça, c'est un point d'honneur, et si elle refuse de pleurer, peu importe qui se trouve attaché à l'épaule qui lui est offerte, il y a une personne en particulier qui a été écartée sans ménagement. Par pragmatisme, par principe, par crainte de le vouloir près, elle l'a maintenu loin. C'était le pire moment imaginable pour avoir besoin de lui, alors elle a fait en sorte que le contraire soit vrai. Si l'on a tous une tragédie à affronter, l'écho d'une balle dans un entrepôt froid a mis en marche celle de Gemma et elle maudit ce putain de timing infâme qui a voulu que la vulnérabilité l'assaille de deux angles différents en même temps. Elle a refusé en bloc de se laisser aller à la faiblesse, de remettre tous ses grands slogans en question, don't need a man, c'était vrai hier et ça sera vrai demain, peu importe les textos à fendre le coeur qui éclairaient l'écran de son portable la veille ; I think we should stick together. Ce matin, lors de la crémation, elle ne lui a accordé que quelques mots et un baiser sur la joue, confiante que la situation lui servirait de couverture pour plus ou moins n'importe quel comportement de cold-hearted bitch. Une de ses soeurs tuée sous ses yeux, une autre disparue sans laisser d'adresse, ou un laisser-passer béton pour ses pires facettes. Malgré les contre-indications de la police qui, bien que l'affaire était résolue avant même d'avoir eu lieu, est réticente à ce que de potentielles pièces à conviction nécessaires partent en fumée, Gemma a choisi les cendres. Elle est partie du principe que Cece préférerait être mangée par les flammes que par les vers. Qu'elle aurait apprécié la symbolique, le clin d’œil. Ça a été sa décision au final car une fois de plus, elle était seule capitaine à bord. Elle l'a choisi, organisé, régi - et ça n'a pas rendu les adieux moins douloureux. Il y avait quelque chose de nauséeux dans le fait de savoir que tandis que son coeur se serrait, celui de sa messie brûlait. Le goût de la cérémonie, fumée et désolation, lui est resté sur la langue longtemps après s'être achevée. L'a suivie dans une après-midi interminable et une soirée morose, jusqu'à ce qu'elle craque et décide de le chasser de son palais par le seul moyen absolument foolproof, en théorie. Sauf qu'il est trois heures du matin, elle a la tête lourde, le système sanguin ne pompant plus que de la vodka tonic dans ses veines surmenées, et ce bar atrocement prétentieux d'East Vista dans lequel elle a pris refuge retourne les tabourets sur les tables sans qu'elle ne soit plus légère. Tous ses repères habituels étant totalement hors-limite, elle a dû aviser. Elle ne voulait pas d'Orange Grove et son insouciance décadente, le risque qu'elle tombe nez-à-nez sur quelqu'un qu'elle connait étant bien trop élevé. Le Sinners est un putain de manoir hanté par ses deux fantômes personnels. Et quant au Lion, c'est un foutu champ de mine. Sauf que, bizarrement, une fois mise à la porte, passablement chancelante, c'est l'adresse qu'elle donne à son taxi. C'est pas de la faiblesse, c'est pas une capitulation, non, jamais, elle s'y refuse. C'est un simple retour dans le temps : avant qu'ils ne laissent les sentiments rendre leur précieuse structure si bancale, Nikos avait une méthode infaillible de lui permettre de faire le vide. Il est 3h31 quand elle presse la sonnette de l'étage - le bar est fermé, tout est fermé, à cette heure même la misère dort -, 3h34 quand la porte d'entrée grésille désagréablement en se déverrouillant. Pas un mot à l'interphone, comme si cela ne pouvait être qu'elle. Peut-être que c'est le cas. Elle grimpe les marches deux à deux, rendue plus déterminée par le courage liquide du nom d'Absolut. L'appartement est sombre mais la silhouette de Nikos se détache contre la lueur des lampadaires qui filtre à travers les fenêtres dans son dos. Le sac à main de Gemma tombe sur le plancher dans un fracas sourd alors qu'elle avance droit sur lui. Il ouvre la bouche mais elle l'interrompt. "Let's not talk" non, non, pas un foutu mot, elle n'a pas le courage pour un foutu mot de plus, sous le prétexte de l'alcool ou du deuil, elle n'a pas la force d'édulcorer ses caprices. Il n'a pas le temps de répondre quoi que ce soit que, féline, elle l'a déjà acculé contre le mur et, sur la pointe des pieds, une main dans les cheveux de Nikos, elle presse ses lèvres aux siennes. Elle veut ça, elle l'exige, ce contact qui connaît si bien le chemin jusqu'à l'oubli temporaire, ça et rien d'autre. L'espace d'une nuit, elle veut retourner à l'avant. Son retour de Washington comme la putain de naissance de Jésus Christ, plantée au centre de leur ligne du temps, destinée à diviser à jamais les souvenirs. Elle veut faire un pas en arrière, elle veut une date en négatif. Elle veut qu'il n'attende rien d'elle car elle n'a rien à donner, plus rien, elle est vide vide vide parce qu'elle préfère le néant à la souffrance, the lesser of two evils. Calvaire de la privilégiée, elle est mal armée pour faire face à la perte.

Dans le reflet du miroir, Nikos à 14 ans dans un costume noir, élimé et trop grand. Acheté en catastrophe à la friperie de Crescent. Pas assez de monnaie sur lui mais les nouvelles allaient vite dans cette petite bougarde d'Amérique et la propriétaire, Nelly Shrimp lui avait gracieusement offert le reste des dollars manquant accompagné d'un regard empreint de pitié. Nikos lui en sera éternellement reconnaissant. Plus de cernes que de visage, le poids de la misère du monde sur les épaules et son nouveau statut de fils sans maman. Les nuages lourds et humides de juillet chargés d'électricité se pressent et se compressent derrière la fenêtre de sa chambre. Tout ne sera plus jamais pareil, il le sait, tout le monde le sait. Son père le sait puisqu'il sanglote dans sa chambre comme un enfant de quatre ans depuis trois jours. Son père. Fort, dur, sans pitié n'a plus peur de se montrer faible. Signe du début de l'apocalypse. 
10 ans plus tard, Nikos ajuste son noeud papillon une dernière fois avant de partir. Il ne sait pas si c'est la nervosité ou l'excitation qui fait trembler ses mains tandis qu'il fixe ses boutons de manchette. Dans le reflet du miroir, son ordinateur allumé sur la page d'un site au nom sans équivoque sugarboy ouvert sur la page d'une conversation virtuelle avec une femme de 54 ans, directrice des finances d'un gros lobby alimentaire à la recherche d'un peu de compagnie pour la fin de son séminaire au country club de la ville voisine. 900 dollars pour un dîner et une nuit, Nikos demeure encore septique. Le filon est trop beau pour être vrai, il peine à croire que des femmes seraient prêtes à payer pour balader leurs doigts sur le contour de sa mâchoire. Pourtant c'est ce qui finira par arriver le lendemain, lorsqu'elle lui jettera une enveloppe sur les draps de satins entre une montagne de pancakes et un jus d'orange fraîchement pressé. Trève avant l'apocalyspe. 
9 mois plus tard, une cravate a remplacé le nœud papillon et Nikos contemple son reflet dans le miroir. L'hématome sur sa pommette ne s'est pas dissipé, il a même l'impression que c'est pire qu'hier, il s'est fêlé une côte la dernière fois et respirer est douloureux ces derniers temps. A moins que ça soit le poids du deuil. Deuxième enterrement de sa vie et pas des moindres. Deuxième fois qu'il dit au revoir à une des femmes de sa vie. Et pas n'importe laquelle. Cece. Y a encore ses fringues dans son placard et sa stupide peluche Panpan quelque part sous son lit mais on lui demande de venir établir le fait qu'elle ne fait plus partie de ce monde. Soit. Sur le chemin jusqu'à la cérémonie, il distille de la vodka dans une bouteille d'eau, hors de question de vivre ça sans un peu de courage qui coule dans ses veines. Il sait pas ce qui est le pire, affronter l'absence de Cece ou la présence de Gemma. L'un comme l'autre lui donnera envie de se jeter dans le vide tout le long des obsèques. 
L'apocalypse.

3h31. L'interphone dans l'entrée perce le silence de l'appartement, quelques secondes après qu'il l'ait aperçu s'extirper d'un taxi sur le trottoir d'en face. Il pose successivement son joint et sa bouteille de Jack pour rejoindre le couloir. Il a passé la journée à comater sur son canapé, n'a pas répondu lorsque Deva est montée lui demander de venir l'aider à virer deux mecs belliqueux. Il n'a pas réagi non plus lorsque son père est passé à l'appartement récupérer des affaires et s'est plaint de l'odeur d'herbe environnante. Pas un mouvement de cil lorsqu'une bagarre a éclaté à la fermeture du bar et qu'il a entendu Deva laisser les clés sur le comptoir de la cuisine dans un lourd soupir. Entre temps le soleil s'est couché, emportant vainement les derniers souvenirs de vie de Cece et tous les remords qui vont désormais le ronger jusqu'à la fin de sa vie. C'est comme un girophare qui tourne à toute vitesse dans sa tête, des visages d'homme inconnus effrayants se balancent devant ses pupilles dilatées et c'est bientôt le goût du sang qui vient se balader sur le bout de sa langue jusqu'à sa gorge. Ashes to ashes, blood to blood. La décision est prise depuis le moment où il a vu le cercueil entrer dans le four crématoire et qu'il a vu les épaules de Gemma se raidir. La vengance appelle la vengeance et rien ne pourra l'arrêter. Rien. Pas même l'interphone qui sonne à 3h31. Il appuie sur le bouton de déverrouillage de la porte et entrouvre la porte de l'entrée. Il l'entend gravir les escaliers, plus rapidement que d'habitude provoquant un froncement de sourcil et finalement elle est là face à lui. Il sent les poils de sa nuque se dresser, réaction instinctive, primaire, comme si son corps comprenait avant lui ce pourquoi elle était là. Elle laisse violemment tomber son sac par terre, qu'il constate un moment avant de regarder de nouveau son visage. Un bref silence, il s'apprête à lui dire que la cérémonie était magnifique mais au lieu de ça elle le coupe et il n'a pas le temps de réagir qu'il se retrouve plaqué contre le mur du couloir, les lèvres de Gemma sur les siennes. Et franchement, pendant un bref moment, il est tendu, tous ses muscles sont crispés parce qu'il a envie de lui dire que tout ne se règle pas comme ça, qu'elle ne peut pas se réfugier de la sorte. Qu'ils valent bien plus que ça, qu'ils feraient mieux de se poser sur le canapé et de parler de ce qu'il s'est passé. La partie raisonnable et raisonnée de lui devrait la décoller de lui, la mettre hors de portée de bras et l'obliger à s'asseoir pour qu'elle sorte ce qu'elle n'a pas sortie ce matin lors de la cérémonie. Sauf que non, il y parvient pas. Il parvient pas à la décoller de lui, au contraire il la soulève du sol et la plaque de l'autre côté du mur. Ses mains trouvent naturellement le chemin de tout ce qu'il adore chez elle, un catharsis nécessaire, jouissif, presque rassurant. Dans un moment où il n'est plus sûr de rien, elle s'imprime comme seule certitude de sa vie. L'ombre de Cece plane indéniablement au dessus d'eux, sûrement qu'elle ricane dans les nuages en les voyant faire ce qu'ils sont en train de faire, une petite pointe de fierté céleste sans doute en se rendant compte que la rencontre de ces deux âmes si importantes dans sa vie trouvait peut-être sa raison d'exister ce soir-même. Le fait est que tout s'évanouit autour de la silhouette de Gemma, plus rien ne compte si ce n'est la réalité de sa présence dans ses bras. Elle a un goût de vodka et de sentiments enfouis, il sent le jack et les remords. Il apprécie de toucher sa peau, de sentir son souffle, il apprécie ces sensations réelles. Il se sent vivant dans un monde de morts, enfin. Il est devenu expert beaucoup trop tôt en gestion de dommages collatéraux de la grande faucheuse et il sait que ce moment précis sera un moment de répit. Un répit lumineux dans les ténèbres mortuaires qu'ils étaient forcés d'arpentés ensemble depuis son dernier coup de fil en plein milieu de la nuit. Alors il prend tout, tout ce qu'il y a à prendre tout ce qui fait du bien. Tout ce qui est elle. Jusqu'à ce qu'ils se retrouvent haletants dans le foutoir de ses draps, comme téléportés du couloir jusque là. Un black-out nécessaire sauf que l'air dont il s'est privé pendant l'effort commence à lui manquer. Nikos étouffe, il titube jusqu'à la fenêtre et l'ouvre en grand tandis qu'il cherche sa respiration. Son regard se perd un instant dans le ciel étoilé tandis que son palpitant s'apaise, puis revient sur la silhouette de Gemma entre ses draps. Il s'asseoit sur le lit, pose une main sur sa hanche et masse doucement sa peau de la pulpe de son pouce dans le silence de la chambre qu'il finit par briser. Feels good to have you home. Il n'aurait jamais soupçonné qu'un jour la vision d'elle étendue dans son lit dans le froid de la nuit puisse être tout ce dont il avait besoin pour continuer à respirer normalement.

Quelque part, elle s'attendait à une confrontation. Entre eux, ça n'a jamais été simple, peu importe ce qu'il a longtemps prétendu. Blood sweat and tears depuis le signal de départ. Tout est cent fois pire maintenant. Tout est devenu trop littéral - il y a eu bien trop de sang alors elle se refuse aux larmes. Elle cherche de la modération, de la réserve, car dieu sait à quel point leur histoire commune en a manqué. Cece l'obstacle est devenu Cece l'épée de Damoclès et, pour une fois, Gemma est aveugle. Gemma avance à tâtons dans un futur qui lui est opaque. Elle n'a pas la moindre idée de comment tout cela va finir sinon, la supposition est facile, mal. Les non-dits s'entassent jusqu'à former une pile à l'équilibre précaire - il suffirait de tirer légèrement sur l'un d'entre eux pour qu'ils viennent tous se fracasser à leurs pieds. Une tentative de couple dotée d'un protocole quasi chirurgical : hope for the best but expect the worst. Elle s'attendait à une confrontation et l'espace de quelques secondes, tandis que ses lèvres traçaient la mâchoire rigide de Nikos dans le couloir, elle pouvait la sentir vrombir sous ses doigts. Cette envie en lui de la repousser, les mots secs sur le bout de la langue. Le pire, sans doute, c'est que cela lui aurait convenu aussi. Elle se serait contentée des cris et d'une porte claquée. Ce n'était pas l'idéal, certes, et son plan A était autrement plus alléchant, mais ça lui aurait suffit. Une anesthésie en vaut une autre, et Gemma est loin d'être suffisamment romantique pour ne pas trouver des points communs frappants entre criser et gémir. L'un comme l'autre provoquerait l'affranchissement temporaire de sa torpeur glaçante, un mal nécessaire pour évacuer le trop-plein de pression qui menace de la faire exploser d'une minute à l'autre. La vodka n'a pas accompli son rôle, s'étant contentée de la faire s'enliser dans ces foutues limbes qui ont une odeur de brûlé et revêtent la voix de Cece. A la seconde où Nikos prend sa décision - la bonne, clairement - et referme ses bras autour d'elle, elle se rend compte d'à quel point l'alcool est déficient, insuffisant, bandaids and bullet wounds. Peu importe sa volonté de lâcher prise, la vodka ne sera jamais assez puissante pour calmer les trombes torrentielles de son deuil qui rugissent derrière les paupières sèches. Les mains de Nikos qui se fraient un chemin jusqu'à son pouls, en revanche, abruptes dans leur urgence, ça, c'est la catharsis à laquelle elle aspirait. Des flammes contre l'épiderme qui empêchent son esprit de retourner à celles qui, quelques heures auparavant, léchaient un cercueil. Le temps d'une seconde de lucidité avant que les vagues tièdes ne la rattrapent, épinglée entre des draps froids et des lèvres brûlantes, Gemma se demande si Cece approuverait. Si c'est réellement lui rendre hommage que de désobéir aux règles tremblantes qu'elle avait édictées. Si sticking together ne serait en réalité seulement valide dans sa mort si Cece avait apprécié le duo de son vivant. La bouche de Nikos glisse entre ses clavicules et les doutes se dissolvent au pied du lit. Non, si elle les voyait, elle approuverait des braises, de la ruine magnifique qu'ils composent à quatre mains. Comme craquer une allumette et regarder un appartement cramer. La réalité revient tardivement mais avec une brutalité rare. Gemma dégrise à la seconde où il ouvre la fenêtre. Vulnérable, nue, la brise qui filtre de la rue lui glace les os - et ça fait longtemps que rien n'est plus seulement littéral pour elle. Le halo orangé du lampadaire le plus proche baigne la pièce et souligne d'une aura maladive l'hématome sur la pommette de Nikos. Elle détourne le regard. Déglutit. Sa gorge tiraille, comme si la douleur des bleus dans son cou avait été réveillée par la vision de leur homonyme. Souvenir de la rage physique de Fiedler, exprimée par ses phalanges grasses avant qu'il ne l'achemine vers la gâchette. Masquée par des cols roulés, des chokers trop bien nommés ou une disposition stratégique des cheveux. La voix enrouée, rendue rauque par la peau contusionnée, se créditait facilement au choc. Il avait été trop difficile de le cacher à la police, mais elle n'avait accordé à personne d'autre la vue de sa propre faiblesse. Cece érigée en héros et martyr, qui avait bouclé la boucle en la sauvant à nouveau. Gemma de Salm, poupée de chiffon, qui se prend pour le croquemitaine mais n'est en réalité rien d'autre qu'une demoiselle en détresse. Qui, cinq ans après sa rencontre avec Cece, n'a pas pris une once de puissance. A toujours besoin d'être sauvée des griffes du grand méchant loup. Sa faute sa faute sa faute, tout est de sa putain de faute. Elle et sa foutue faiblesse. Autant pour échapper au froid qu'au regard de Nikos, elle s'enfonce entre les draps et rabat la couette sur son visage jusqu'à être ensevelie toute entière. Elle veut lui dire "I missed you so fucking much". Mais sa gorge est toujours convalescente et les mots sont trop épais pour réussir à se frayer un chemin sans causer plus de dégâts. A la place, assourdi par le tissu : "Speaking of home... I should go. Edna's definitely gonna check in on me in the morning." Une fois de plus, ce qu'elle dit est en contradiction directe avec ce qu'elle fait. C'est à dire, rester en position foetale au centre du lit au lieu de dévaler jusqu'au sol et récupérer ses fringues échouées ça et là. La vodka, dont le parcours insidieux dans ses veines a atteint son apothéose tandis qu'ils se perdaient dans le souffle de l'autre, devient vindicative, étouffante, toxique. Les tempes dans un étau, elle n'a pas le courage de se lever ni celui de se dégager des draps car cela signifierait affronter le regard de Nikos, la vue des coups et des cicatrices, dont celle sur son flanc qui continue à lui ronger le coeur chaque fois qu'elle laisse ses yeux s'y promener. Elle avait espéré qu'il s'endorme. Cela aurait rendu sa fuite tellement plus aisée. L'espoir avait été bien trop naïf ; ils sont dans le même bateau après tout et elle aussi, en ce moment, elle a du mal à fermer l'oeil. Le repos est difficile quand le monstre en dessous du lit a un nom, un visage et un flingue.

Deux âmes chuchotent dans le noir et c'est le monde entier qui reprend un peu de couleur. Il y a quelque chose de surnaturel dans le tableau qui s'offre à Nikos. Le lampadaire de la rue d'en face éclaire partiellement leurs corps à peine remis de l'effort. Le vent glacé s'engouffre brusquement et fait siffler la fenêtre désormais à moitié fermée. Le silence de Night Falls est assourdissant, seulement perturbé par la voix de Nikos. Le contact de sa peau velouté lui fait l'effet d'une longue douche brûlante, mais de courte durée. La nymphe se laisse approcher pour finalement se laisser engloutir sous un amoncellement de draps, laissant la main de Nikos dévaler jusqu'au matelas. Nikos se penche pour prendre la deuxième couette tombée au sol et la tirer jusqu'à elle, il devine qu'elle doit avoir froid et qu'un peu de chaleur lui ferait le plus grand bien. Elle veut un abri, elle veut se sentir en sécurité et il peut que la comprendre alors il décide de faire en sorte que. Sa voix étouffée par les draps lui parvient et lui décroche un sourire triste. Evidemment qu'elle cherche à partir, évidemment qu'il va chercher à la faire rester. Il garde le silence et se penche pour allumer son enceinte, il baisse suffisamment le son pour réduire Fink à un simple bruit de fond en espérant que le chanteur anglais parvienne à l'apaiser un peu. Il se lève également pour allumer la lampe à lave qu'il a depuis qu'il a 10 ans, même lampe qu'il a allumé tous les soirs noirs de sa vie, lorsque l'envie de cesser de respirer devenait plus forte que le besoin de trouver un nouveau souffle. Les réflexes simples d'un garçon qui a apprit à trouver refuge entre les quatre murs de sa chambre à défaut de pouvoir s'enfuir ailleurs. La chambre prend instantanément la forme d'une bulle plus rassurante, tamisée, plus vivante en somme. Les ombres qui se forment sont moins inquiétantes, tout semble plus familier. La musique, toujours la musique. Et les bulles qui commencent doucement à se former. Pause. Nikos soulève la couette et se glisse à ses côtés. Là sous les draps, abri blanc de fortune, il passe délicatement son bras autour d'elle et la tire jusqu'à lui. Il ferme les yeux un instant, y trouve un peu de paix pour la première fois depuis des mois, confirmant ainsi que la trève existe à chaque fois qu'il inspire une bouffée de sa peau. Edna's definitely going to wait for once. Il a besoin de ce moment à ses côtés, comme des adolescents qui se découvrent sous les draps. Il veut qu'elle reste, il veut capturer ce moment et ne pas le laisser filer. Il lui en voudrait de partir, il est trop bien auprès d'elle. Finalement, y'a un tas de trucs qu'il aurait envie de lui dire. Qu'il avait envie de la serrer fort dans ses bras ce matin. Qu'il est content qu'elle soit en vie. Que ce n'est pas parce que Cece n'est plus qu'elle doit cesser de se sentir vivante. Mais il sait qu'il marche sur des braises, que n'importe quel mot de trop peut être cataclysmique. Il sent qu'elle est sur le point de vriller totalement et il aimerait pouvoir la bercer jusqu'au petit matin. C'est à lui de prouver qu'il la connait assez pour ne pas commettre cette erreur. Pourtant un tas de question se presse au bord de ses lèvres, a t-elle mangé ces derniers jours ? Combien d'heures a t-elle dormi ? Si Gemma n'avait pas cette propension à confondre le fait de prendre soin de quelqu'un avec celui de l'étouffer il lui aurait demandé un rapport détaillé de l'état de sa santé de ces derniers jours. Dans la lumière filtrée par les draps il devine le contour de ses bleus qu'il a délicatement embrassé quelques minutes auparavant et qui lui rappelle qu'incessamment sous peu il devra commettre l'irréparable. Et que bordel, ça sera jouissif de faire mal à celui qui a tout niqué sans la moindre hésitation. I wish we could stay here forever, don't you ? Son corps se réchauffe enfin à proximité du sien et la douce torpeur du sommeil vient l'étreindre de manière totalement inattendue. Ses paupières se font lourdes, il déconnecte enfin avec la réalité abominable qui l'attend en dehors de ses draps et caresse l'espoir de rejoindre le monde de Morphée à ses côtés pendant quelques secondes. Il aimerait qu'elle puisse en faire autant mais c'est un monde qui s'est écroulé pour elle. Et c'est là qu'une pensée le traverse, le faisant immédiatement ouvrir les yeux. Une possibilité qui ne lui avait même pas traversé l'esprit lui apparaît comme une issue limpide. Et si ce soir, c'était le dernier soir ? Si elle était venue faire ses adieux ? Ca expliquerait cette envie soudaine, brûlante. Let's not talk. Ca expliquerait le silence, les gémissements étouffés et cette volonté pressante de s'enfuir. Just because she's not here anymore means you have to leave you know. Finalement, les draps n'étaient pas si épais car la peur a réussi à se faufiler dans un interstice pour le prendre à la gorge. C'est presque l'air qui lui manque à nouveau. Son coeur commence à battre furieusement dans sa poitrine, l'impression de paix obtenue durement finit par se dissiper lorsqu'il comprend qu'elle ne lui donnerait pas forcément la réponse qu'il espère. Ce qui n'était qu'hypothèse il y a quelques secondes s'affirment de plus en plus comme une réalité. Elle n'avait plus aucune raison de rester ici, et elle ne se permettrait jamais de rester pour lui. You hear me, G ? Il a besoin d'une réponse. Parce que si il arrive encore à tenir jusqu'ici, si la vision du corps de Cece étendu dans son cercueil ce matin n'a pas été si difficile c'est parce qu'elle n'était pas loin. Et si elle devait partir à son tour, alors ça le ramenait à la conclusion que tout ce qui existe ici de bon pour lui sur cette terre a vocation à partir loin de lui. Et que si c'était ça, la leçon de vie qu'on lui réserve une nouvelle fois, alors il n'est plus du tout sûr d'aller si bien.

Elle serre les dents, jurerait avoir entendu un crac derrière ses lèvres. Tout en elle réagit contre le moment comme un mauvais don d'organe car elle refuse de s'y laisser aller. Elle se connait suffisamment pour savoir qu'à la première fêlure à laquelle elle donnera le droit de lézarder son armure, la douleur s'y engouffrera. Submergera tout. Elle n'est pas certaine de ce qui restera de sa prétendue force quand le chagrin s'effacera, elle ignore quelle partie d'elle la marée laissera derrière. Elle n'a aucune foutue envie de le découvrir. Mais il y a Nikos, autoritaire dans sa sollicitude, impérial dans sa décision de prendre soin d'elle, cette foutue force tranquille qu'elle lui jalouse mais qui, tout à la fois, réveille en elle un côté insubordonné - plutôt fuir que d'être docile. Il y a la musique, un folk humble et mélodieux qu'elle déteste d'entrée de jeu car il résonne un peu trop près de ses cordes sensibles ; elle n'a ni le temps ni l'envie de se laisser aller à une quelconque émotion humaine. Elle ne peut pas se le permettre. Elle a peur de la foutue noyade. Gemma se refuse à tout ce qui pourrait lui percer la peau. A la place, elle se claquemure dans la vodka, la cruauté, le sexe, Edna - tout ce qui compose sa figure publique, tout ce qui crée sa réputation et qu'elle accepte volontiers, tout ce qu'elle a fini par revendiquer. C'est plus facile d'être traitée de connasse ou de monstre dans des termes que l'on contrôle. A travers les draps, elle voit la chambre sombre se parer d'une lumière diffuse et ondulante mais elle refuse de jeter un coup d’œil par-dessus ses remparts. Si seulement elle avait une once de force de volonté - ce qui, par sa simple présence ici, dans cette chambre ou plus largement dans la vie de Nikos, a prouvé être une lacune désastreuse - elle glisserait hors du lit avant qu'il ne puisse retourner près d'elle. Ça rendrait tout tellement plus facile. Sauf qu'elle n'a même pas le temps de protester contre le froid qu'il fait entrer dans son abri en soulevant la couette qu'il est déjà contre elle. Une preuve, encore une, de leur incompatibilité, ou c'est ce qu'elle se répète. Le goût de Nikos pour le froid alors qu'elle n'est à l'aise que dans la fournaise. Voir ça comme un signe d'antagonisme, encore un, est bien plus simple que de se laisser aller à considérer leur complémentarité dont elle ne veut pas observer de trop près les avantages. Il suffit de voir ce à quoi la ressemblance mène : les filles et elles étaient trop similaires, animées des mêmes rages et des mêmes passions, et voila où elles en sont arrivées : elles se sont étouffées jusqu'à s'annuler les unes les autres, jusqu'à éclater. Gemma qui les a toujours appelées sa constellation préférée aurait dû faire plus attention à ses mots : elles se sont éteintes, comme toute étoile, sur une putain de supernova, une explosion lumineuse qui a retenti jusqu'aux états frontaliers. Elle ne sait pas quoi faire sans elles, sa raison de rester - elle refuse de considérer Nikos comme suffisamment influent pour la maintenir immobile, mais si elle se risque à regarder la vérité en face, il est certainement trop important pour qu'elle parte et c'est ce vide juridique, cette putain d'incertitude douloureuse qu'il réveille avec ses mots, I wish we could stay here forever, don't you? Elle ne répond pas, scelle les lèvres, prie pour que ça soit rhétorique car elle n'a pas envie de lui mentir. Blottie contre lui, au chaud, sa carapace menace de fondre. Entre les bras de Nikos, c'est confortable, c'est rassurant, mais elle refuse d'y lire l'évidence, une réponse à ses questionnements, que peut-être leurs corps s'ajustent si bien parce que, précisément, c'est là sa place. Au lieu de ça, elle résiste, se raidit, reste sur ses gardes, même là, même nue dans son lit, même nue contre lui, car le moment la pousse trop proche du précipice de ses propres larmes pour qu'elle ose s'y abandonner. Comme une offrande, alors qu'elle s'apprête à sombrer, il lui donne une prise sur laquelle s'accrocher. Elle se tortille dans son emprise tiède mais n'arrive pas à y échapper, alors elle se contente de détourner le regard. "You really don't get it, do you?" Sa voix est râpeuse, vibrant sous le coup de la vulnérabilité qu'elle maintient difficilement à distance de bras. Elle la sent se craqueler sur la fin des mots, alors elle ravale l'intention, la remplace par du ressentiment brut, qui teinte d'acidité chaque foutue syllabe sans qu'elle sache à qui elle en veut, Nikos, Cece, Fiedler, elle-même ou tous, eux quatre et Kitty, et Riley, et le reste de cette humanité dont elle n'a rien à foutre parce qu'elle a besoin d'une personne et que celle-ci n'est plus là. Comme dit le foutu proverbe, tout est dépeuplé et elle, elle a un putain de cratère dans les poumons. "She told me to stay away from you. I didn't. That's my punishment. Everything that happened. That's my brutal, bloody, horrific punishment. And the worst is I'd been warned. I knew it was going to happen. I didn't listen." Qu'il y croie ou non, elle s'en contrefiche, elle sait ce qu'elle a vu, elle sait ce qu'elle a fait. Elle n'a pas besoin d'une seconde opinion. Les cartes, les astres, jusqu'au rythme inquiet de son palpitant. Elle avait été prévenue du pire, avait préféré fermer les yeux, sauter aux conclusions les plus faciles. Quelle idiote. "It's not just Cece. Kitty's gone. Riley's leaving. I'm on my own now. And if I stay, you might be next. It already almost happened once. Don't you -" Gemma s'interrompt. Non, putain, c'était pas dans le script ça. Elle sent la boule de tristesse aiguë grimper le long de sa gorge, obstruer sa trachée, elle étouffe. Elle est à deux doigts de suffoquer là, à quatre heures du matin, dans les draps clairs, entre le torse de Nikos et le folk tendre, trop d'alcool dans le sang et pas assez d'air dans les poumons. Elle lui glisse entre les doigts, bat en retraite jusqu'au bord du lit, tâtonne frénétiquement à la recherche de ses sous-vêtements et se lève pour les enfiler, lui tournant le dos. "Forget it. I don't want to talk about this. This isn't what I came for." Aussi vite qu'elle a craint de s'ouvrir, elle se referme. Diktat qu'elle lui impose, dont les motivations se juchent quelque part entre le fait qu'elle n'a pas envie de s'épancher et l'espoir que créer un conflit rendra sa fuite de ce soir plus aisée. Ses doigts grésillent sous l'intensité de déchirer quelque chose ou, dans l'idéal, d'envoyer son enceinte à travers la fenêtre. Ruiner quelque chose, n'importe quoi, avant que ce ne soit elle qui y passe.

Ses sens en alerte, les épaules voutées sous les draps, Nikos attend la sentence irrévocable avec la crainte d'un enfant qui ne sait plus à quoi s'attendre. Il sent sa mâchoire se contracter et il est obligé de se forcer mentalement à la desserrer pour ne pas faire exploser ses molaires sous la pression de l'impatience. Il serait capable de faire le décompte avant l'explosion qui va raser la chambre et leurs coeurs avec, ça fait des mois qu'il la manipule et pourtant toujours incapable de désamorcer la bombe G. Pire encore, elle est le bidon et il joue l'allumette. A son contact, elle perd systématiquement les pédales comme si il était le combustible de ses sentiments réprimés. Il capte que finalement il a encore perdu une occasion de fermer sa gueule. Sans doute que rester dans le silence de la chambre aurait été préférable plutôt que de devoir courber l'échine et se prendre la tête dans les mains. Tous ses muscles se tendent d'un coup, il le sent à sa façon de se débattre frénétiquement dans les draps. Il sent qu'elle veut partir, loin, mettre de la distance. Il l'a coincée sans le vouloir et elle se débat comme un beau diable pour ne pas lâcher prise. Alors il relâche son emprise malgré lui parce que l'étouffer au moment où elle a besoin d'exploser serait une erreur stratégique qu'il a déjà faite et qui lui a valu de perdre la raison jusqu'à ce qu'elle daigne revenir à lui la fierté bien cachée par des faux prétextes et des principes insupportables. Les mots sortent tour à tour, ce n'était qu'une question de temps avant qu'elle avance sa culpabilité sur la table, arrachant un soupir à Nikos. You don't have to explain, it's written on your face. Mais elle explique quand même de sa voix enrouée, à quel point tout est de sa faute. De leur faute même. Puisqu'il s'agit bien de ça. De leur histoire, de ce qu'ils ont commencé à écrire quelques mètres plus bas dans la réserve contre une étagère. Et c'est autant de pics à glace dans sa poitrine de voir que même des mois après, alors qu'ils ont surmontés tempêtes et bourrasques, elle les considère encore et toujours comme une erreur de parcours, un petit saut sur le côté dans sa routine princière qui s'est transformé en saga sanglante. Elle qui avait été sa lumière rouge dans les ténébres, dessinant les contours d'une dimension passionnelle dans laquelle il se perdait autant qu'il se retrouvait. Elle qui avait appuyé sur le bouton 'on' et qui ne l'avait plus jamais éteint depuis. C'était rageant d'être un regret pour elle alors qu'elle était sa certitude la plus ferme. Mais son délit d'orgueil ne compte pas ce soir car sa souffrance à elle recouvre la chambre d'une épaisse couche de douleur mélancolique. Un peu de rage aussi. Il la regarde se lever pour enfiler ses sous-vêtements tandis qu'il se redresse dans le lit, adossé au mur. Il la regarde s'agiter, une impression de déjà-vu désagréable. Et finalement il ressent une sorte d'agacement à son tour. Parce que si il y a bien une personne dont les sentiments lui sont contagieux sur cette terre c'est bien elle et toute cette agitation de sa part provoque chez lui une nervosité sous-jacente. Et finalement tout ce qu'il s'est retenu de lui dire jusqu'ici par peur de la faire partir sort par besoin de la faire rester. Une plaidoirie inattendu mélangé à un pep talk ferme quoiqu'un tantinet désespéré. I know you came to fuck your feelings away but you need to acknowledge that sometimes things are just fucked up. Kitty and Riley left? So what? You're going to beat yourself up until there's nothing left of you? Until you become a big fat piece of remorses and i-should-have-i-should-have-nots? En réalité, il peut pas la blâmer de penser tout ça. Il suppose que n'importe qui dans sa situation serait étouffé par la culpabilité. Ce n'est pas son cas. A aucun moment il n'a pensé que la mort de Cece était le résultat direct de leur liaison. Jamais au grand jamais. Les choses étaient telles qu'elles étaient parce qu'elles devaient se passer de la sorte. Il ne pouvait pas la laisser croire que tout était de sa faute alors qu'en réalité ce n'était de la faute de personne si ce n'est du fils de pute qui avait tenu ce gun. Leurs vies avaient volé en éclat d'une manière certaine mais céder à la culpabilité signerait le début d'une lente agonie. Cece is dead because Fucking Fielder shot her. That's it. It's not because the stars were aligned a specific way, it's not because we decided to fuck three times a week months ago, it's not because you decided to get revenge. It's not a punishment, that's just fucking life Gemma. The only person to blame is Fielder and trust me he'll pay for it sooner than later. Il regrette instantanément ses derniers mots, prononcés dans la ferveur. Il beugue un instant, conscient de la porte qu'il vient d'ouvrir et s'empresse de la refermer aussitôt. I'm just trying to say that it's fucked up and it's gonna hurt like hell during a certain amount of time for sure but we'll get throught it. But please don't push me away, that won't change anything. Only make it worse. Et si il y a bien une chose dont il est sûr c'est bien ça, qu'aucune distance mise entre deux ne pourrait être utile à leur guérison. Au contraire, il pense fermement qu'ils ne pourront s'en sortir qu'à condition de rester le plus proche possible de l'autre. Son départ achèverait de mettre sa vie sans dessus dessous, il a l'impression de tirer sur une corde qui lui glisse entre les doigts. Au bout, suspendue dans le vide, G et tous leurs fantômes. Et cette fois-ci il n'est pas sûr d'être assez fort pour continuer de faire levier jusqu'à la surface.

C'est officiel, il ne peut pas comprendre. Jusqu'ici, elle le soupçonnait. Il est lui, elle est elle, de l'extérieur ils ne semblent même pas faire partie de la même histoire. Elle le soupçonnait et maintenant, elle en est absolument certaine. Nikos connaissait bien Cece pourtant, peut-être mieux qu'elle encore, ou simplement différemment. Ils sont sans doute ses deux pleureuses les plus dévouées à la tâche. S'habituer à un monde sans Cece serait sûrement plus aisé si elle n'avait pas laissé un trou béant dans leurs deux existences, s'il y en avait un pour soutenir l'autre. A la place ils sont tous les deux à genoux, avançant à tâtons dans une tragédie dont il se sort avec une dignité martiale tandis qu'elle fait semblant d'y être aveugle. Gemma a beau savoir qu'il lui offre son épaule pour pleurer, la seconde pour qu'elle s'y repose, qu'il lui confierait sa nuque, ses bras, ses mains si elle le demandait, ça n'y change rien. C'est pire qu'ils soient tous les deux balafrés par le deuil car ça rend sa propre douleur commune, quasi industrielle. Quel droit a-t-elle à s'effondrer alors qu'il connaissait Cece depuis plus longtemps ? A quelle crédibilité peut-elle encore prétendre alors qu'il est droit, il est debout, et elle, elle s'émiette à travers toute la ville ? Petite impératrice préservée de tout, n'ayant jamais trempé les lèvres dans le vrai drame, qui se désarticule un peu plus à chaque pas qu'elle fait. Désormais condamnée à, tous les cent mètres, jeter un coup d’œil au dessus de son épaule au cas où un organe vital aurait malencontreusement roulé sur le trottoir. Elle entend le sommier crisser derrière elle, ignore si cela signifie que Nikos se lève ou s'est simplement déplacé sur le matelas. A la place, ele se concentre sur ses fringues dans une tentative désespérée de garder son calme, bien que quelque chose dans le battement tonitruant de son cœur lui dit qu'il est trop tard pour ça. That ship has sailed. Gemma se bat avec l'attache de son soutien-gorge, doigts tremblants et agrafes font très mauvais ménage, jusqu'à ce que le fermoir s'arrache sous sa paume. Dans un râle, elle le jette au sol et enfile son haut bordeaux à la place - tout sauf du noir, son seul critère. En rentrant de l'enterrement, elle avait arraché sa robe en tulle de ses épaules ployantes, l'avait abandonnée sur le carrelage de sa cuisine, tout sauf du noir. "Things are just fucked up?" Elle fait écho à Nikos tandis qu'il continue de parler, choquée par la porté de ses mots simplissimes. Ça la force à tourner le regard vers lui, et la tension qui émane de sa position, une statue de marbre dans la chambre fraiche, lui fait l'effet d'être percutée par un semi-remorque. Il est si beau dans l'épreuve qu'il est physiquement douloureux à observer. Elle baisse le regard au sol mais est incapable de se concentrer sur la simple épreuve de trouver sa jupe tandis qu'il lui balance ses vérités froides. Il impose sa raison brute, nihiliste, et c'est la moitié de la vie de Gemma qu'il discrédite sans même s'en apercevoir. Elle a les genoux qui flanchent mais tient bon, pour le moment. Parce que ce n'est qu'une question de temps avant que son corps chancelant ne se désagrège entièrement, pas vrai ? L'érosion a déjà commencé sournoisement il y a une semaine, cette nuit là, dans l'entrepôt, l'éboulement est pour bientôt, pas vrai ? "How is that better? How is that supposed to reassure me? How is 'Cece's dead for absolutely no fucking reason' better than thinking the stars aligned? Why would you want to take that away from me?" Il y a une piqûre dans sa voix, mais ce n'est plus de la rage, celle-ci s'est dissoute à la seconde où elle a posé ses yeux sur Nikos, muscles bandés contre les draps. C'est le sanglot qu'elle combat depuis sept jours accablants et sept nuits interminables qui, pernicieux, s'est tapi suffisamment longtemps pour qu'elle le croie hors d'état de nuire. Ses yeux voient flous, elle ne s'y arrête même pas. Elle a changé de cible désormais, ce n'est pas la douleur qu'elle a décidé de combattre, mais lui. C'est plus satisfaisant. Car cette fois, elle a une infime chance de gagner. "You want to get all factual on me? Fine then, Darwin, rationalize me this: she fucking saved me. Twice. Every time I needed her, she came through for me, then she up and died in front of my eyes and I wasn't able to return the favor. How is that not my fault? How? What if" Immobile, elle n'esquisse plus le moindre mouvement de fuite mais, paradoxalement, elle n'est déjà plus là. Gemma est déjà loin, à East Vista, dans un hangar sombre qui est resté bloqué dans le temps, une semaine auparavant. Raison précise pour laquelle elle s'est jusqu'ici occupé l'esprit sans prendre la moindre pause, utilisant les filles et Edna comme un opiacé : chaque fois qu'elle y repense, la blessure s'ouvre, la balle part du canon, Cece choit à nouveau à chaque nouvelle inspiration et si l'oxygène brûle à ce point désormais, peut-être que c'est une bonne chose qu'elle ne soit plus là pour y goûter. Gemma s'en veut aussitôt de son putain d'égoïsme, celui qui lui susurre qu'elle aurait préféré prendre la place du mort, jouer les martyrs et laisser un joli cadavre, troquer la grâce de celle qui part contre le supplice de celle qui reste. "What if we only get one miracle each and - and I - and I wasted mine on you" de l'humidité sur sa joue, une larme épaisse roule jusqu'à l'arrête de son nez et, quelque part dans la nuit, quelqu'un sonne le glas du début de la fin "when she needed it more?" Chaque mot est arraché à grandes peines d'entre ses poumons, et elle est là, la faiblesse qu'elle refuse de voir depuis le début, plain and simple. Cette connasse s'est frayé un chemin jusqu'à la surface, jusqu'à engluer sa tyrannique propriétaire. Gemma y patauge, y tâtonne, y suffoque, un putain d'étau autour de ses côtes. Chaque centimètre carré de sa peau est douloureux et irritable, elle n'arrive pas à dilater suffisamment ses poumons pour que l'air y parvienne, elle est certaine d'être sous l'eau, elle est immergée, elle se noie. Gemma sait que c'est physiquement impossible et pourtant, elle n'en est pas moins persuadée d'avoir englouti Crescent Heights sous ses larmes. Elle a fait de ville natale une Atlantis sous le poids de la peine. C'est bien ce dont elle a besoin, un putain d'océan lacrymal dans lequel laver le sang qu'elle a sur les mains. Elle n'arrive plus à respirer, se débat contre des chaînes qu'elle ne parvient pas à voir mais qu'elle peut tout de même sentir, ignore s'il s'agit d'une crise de panique ou simplement du goût de la noirceur, déposé sur ses lèvres, pour la première fois de son existence, à la fois tardivement et beaucoup trop tôt. Elle cherche Nikos du regard, veut l'appeler à l'aide, mais elle ne parvient même pas à distinguer sa silhouette à travers ses larmes. C'est à peine si elle arrive à lâcher un "oh, fuck" étranglé avant de tomber à genoux au sol, contre le pied du lit. Sept jours. C'est tout ce que ça aura pris, sept putain de jours, autant dire une fraction de seconde. Elle se voyait réussir éternellement à garder la marée sous sa peau, la modeler jusqu'à ce qu'elle se fasse alliée, prête à alimenter sa rage lorsqu'elle en a besoin. L'échec est abject. Ça aura pris sept jours, sept nuits et, sans surprise, Nikos pour qu'elle implose. C'est soulageant, c'est vrai. Mais surtout, surtout, c'est une putain de déception. Elle s'imaginait plus forte que ça. Elle avait besoin d'y croire.

Dans un coin de la chambre, l'ombre de Cece compte les points. Elle alterne sûrement entre lever les yeux aux ciels, foudroyer Nikos du regard pour sa harshitude et pleurer la peine incommensurable de sa soeur. Ce n'est pas difficile à imaginer pour Nikos qui pousse un soupir lorsque Gemma s'offusque. Il pousse un soupir à fendre l'âme, s'extirpe des draps pour finalement s'emparer de son caleçon au pied du lit qu'il enfile avant de s'asseoir à nouveau sur le lit. Il a la chair de poule, le froid qui s'engouffre dans la chambre lui fait l'effet de la caresse de la mort qu'il ignore, trop concentré par tout ce qu'il se passe sur son visage à elle. Ses foudres s'abattent sur lui mais ce n'est pas comme d'habitude. D'habitude c'est une lueur de défi qui brille dans ses yeux, c'est tout son corps qui appelle au rassemblement tandis que sa bouche cherche la confrontation. D'habitude c'est elle qui agite les fils de la marionnette qu'il devient à ses côtés. Mais cette nuit rien de tout ça, aucune lueur ne brille dans les yeux de Gemma et c'est sans doute le pire. Le vide abyssal de ses pupilles dans lequel il se noie à son tour. Elle se bat avec le désespoir des condamnés à mort et ça le tue Nikos, de voir qu'il n'arrive pas à la rattraper dans sa chute. Il connait l'emprise Cece, il connait la marque qu'elle laisse parce que lui aussi la porte dans son coeur. Cece avait pris toute la place dans sa vie pendant des années, celle qui prenait toute la couette dans le lit, celle qui l'envoyait chier quand elle avait faim ou qui lui demandait de venir la chercher aux quatre coins de CH parce qu'elle s'était encore foutue dans la merde bêtement. Cece avait été son tout pendant des années. Leur relation s'était seulement délitée au cours de ces derniers mois, sa relation chaotique avec son frère qu'il exécrait du plus profond de son être, son nouveau job au Sinner comble de la provocation. Alors Nikos avait été Nikos, il avait pris ses distances pour ne plus souffrir de son absence. Il avait fait comme si elle n'existait plus pour oublier qu'elle ondulait pour des porcs à quelques blocs du Lion. Il s'était protégé ainsi, de telle sorte que lorsque tout avait mal tourné il était déjà connecté. Bien sûr que la douleur était là, sourde, vicieuse, comme une méchante démangeaison mais Nikos était habitué au deuil comme aux couchers de soleil. G pleure son impuissance avec toute la dignité qu'on lui connait. La peine lui va si bien. Il regarde son soutien-gorge s'échouer lamentablement sur le sol, puis ses vêtements qui glissent sur sa peau, le privant de la vision parfaite de son corps nu. Son seul privilège dans ce bas monde. Il suit ses mouvements du regard, il songe à se lever pour l'aider mais il sait que s'approcher au mauvais moment lui vaudrait de se faire rejeter violemment. You're not God Gemma, it doesn't work this way. Le choc des deux mondes. Celui de la rationalité pure, dure, des faits et des causes à effet versus les étoiles, les astres, les cartes et l'instinct. Mais même le cartésien qu'il est s'ébranle lorsqu'elle parle de son miracle. Il sent son coeur qui s'arrête de battre momentanément. Un putain de raté de battement de coeur. C'est la première fois qu'elle avoue quelque chose d'aussi fort. La première fois qu'elle reconnait l'impact qu'il a eu dans sa vie. Mais évidemment puisque c'est elle, la confession prend des airs d'insultes. I'm not your miracle Gemma, we only met on the the way by chance. So you wasted nothing. Mais elle ne l'écoute déjà plus, elle est déjà loin dans sa douleur. Et il sent qu'elle lâche prise, enfin. Et il la laisse faire, parce qu'il sait qu'elle en a besoin. Il attendait que ça, la voir enfin sombrer car il sait qu'elle ne se relèvera plus vite. Et si il doit venir l'aider à retrouver son équilibre alors il le fera. Elle s'écroule à peine au sol qu'il est là pour la rattraper, assis à ses côtés il la prend dans ses bras, la berce comme une enfant blessée et il sent son coeur se serrer tellement fort qu'il a besoin de serrer les dents à nouveau pour se contenir. Une sensation étrange, loin d'être familière. Son nez le pique, sa gorge se resserre et il se force à rester fort, à surtout ne pas craquer. Parce qu'il se pourrait que l'éternel apathique qu'il est soit sur le point de craquer. De tout lâcher. Parce que si il peut supporter l'absence de Cece à laquelle il s'est habitué, Gemma démunie sur le sol de sa chambre n'est pas un tableau supportable plus d'une seule demi-seconde. Il la serre fort, aussi fort qu'il peut sans pour autant lui faire mal, juste lui montrer qu'il est là, qu'il la soutient. Que ce n'est pas parce qu'il la tient debout qu'elle doit le repousser pour essayer de tenir seule. Qu'il espère qu'elle a autant besoin de lui qu'il a besoin d'elle parce qu'alors ils ne seraient plus séparés. Du moins pas tout de suite. Sa silhouette s'évaporant à l'horizon matérialiserait son pire cauchemar. Si tant est qu'il ait encore des cauchemars en stock après ce que la vie leur a fait traversé ces derniers temps. Une fois que les pleurs semblent s'être calmées, qu'ils ne sont plus que deux corps enlacés contre un lit. Qu'il sent ses épaules se calmer et qu'elle s'affaisse un peu plus contre lui, il comprend qu'il est temps. Let me take you home. Parce qu'il sait qu'elle a besoin de retrouver son cocon, qu'Orange Grove lui fait peut-être l'effet d'une cage dorée mais qu'il comprend qu'elle puisse avoir besoin de s'y retrouver. Parce qu'après tout c'est chez elle et que Cece est partout ici, des paroles de chanson qu'elle a écrite sur un pan du mur jusqu'aux photos polaroïds dispersées sur son bureau alors oui il la ramènera chez elle, et s'étendra à ses côtés jusqu'à ce qu'elle trouve le sommeil dans les larmes, épuisée par la souffrance. La laisser seule dans cette chambre immense resserrera l'étau dans son coeur mais il fermera la porte avec le sentiment qu'elle est en sécurité. Parce que si il y a bien une chose que ce cocon de soie et de satin peut lui offrir c'est le sentiment d'être loin de la misère crasse de CH et ses ombres menaçantes. Et lorsqu'il rejoindra le Lion au petit matin, lorsque les oiseaux commenceront à gazouiller même dans un quartier aussi poisseux que Night Fall, l'espoir de jours meilleurs s'éveillera en même temps que la ville. Du moins il l'espère.