tu m'as touché c'est fichu. (lio)

Invité

La cloche retentit, il est temps, semble-t-il. Il sort de ses rêveries, un peu. Il lève les yeux sans trop observer autour de lui, perdu dans son monde, son univers. Partout, ça se bouscule, ça se dépêche. Lui, il prend le temps. C'est pas pareil, pour lui, personne ne l'attend à la maison. Pas plus d'amis que tant, pas de famille non plus. Pas même une vrai maison. Alors il range ses affaires dans son vieux sac, glisse les écouteurs dans ses oreilles et se lève en dernier. Il suit la foule jusqu'à l'extérieur, saluant de passage quelques visages familiers sans vraiment s'y intéresser. Au rythme de la musique, il cale son pas sur les autres pour rejoindre l'extérieur du lycée, l'air frais et doux de cette fin d'après-midi. Il pourrait rentrer.. mais cette notion est bien aléatoire. Où aller ? Il se pose cette question chaque fois que l'heure se pointe. Et puis, un détail attire son attention. Une frimousse qui ne lui paraît pas plus étrangère qu'à un autre. Un gamin égoïste, crapuleux. Un gamin capricieux et inconscient. Le reflet de ce qu'il aurait pu être si seulement il avait eu une famille à son tour. Il se rappelle les propos de Mrs Kentucky, la veille, quand elle hurlait à son mari que tout était sa faute. Quand elle affirmait que l'absence de leur enfant lui incombait de fait et qu'il n'était qu'un adulte irresponsable à se montrer si terriblement détaché par ce manque. Il s'en souvient car il tendait l'oreille, maladroitement, derrière la porte qui le sépare depuis des mois de la vrai vie.. alors forcément, quand il reconnait les traits fins de son visage, son sang ne fait qu'un tour.
Il avance avec maladresse, ses pas ne sont plus aussi brusques qu'avant. Il doit lui parler, il doit le connaître. Il ne sait de lui que ce que l’entrebâillement d'une porte voulait bien lui offrir. Irresponsable, fougueux, impulsif et sans doute légèrement con, comme lui. Tant de points communs pour être foncièrement si différents. Moreno sait ce que la notion de famille doit ou peut représenter. Lio l'ignore, crachant sur les témoignages d'affection de ses parents comme on pisse sur une tombe. Il s'en moque de leur amour quand Moreno donnerait tout pour le connaître.
Et qu'espère-t-il ? Être celui qui le ramènera à la réalité ? Sans doute pas, pas comme ça. Néanmoins, avant même d'avoir pu prendre le temps de la réflexion, voilà que sa main se pose sur son épaule. Le regard du jeune homme qui le transperce instinctivement, ils ne se connaissent pas.. ou si peu ! Lio ignore tout, Moreno en sait sans doute trop. Lio.. c'est ça ? il demande d'une vois mal assurée, sans trop savoir par où ou quoi commencer. Il espère simplement que le palpitant qui gronde à ses tempes fera le reste pour lui. En roue libre, navigation mal contrôlée, il ignore tout de ce qu'il va se passer mais, à tout hasard, se risque à serrer le poing gauche contre sa cuisse. Il n'a pas peur, il n'a plus peur depuis bien longtemps.

tu m'as touché c'est fichuQu’est-ce qu’il fout là ?
Il se demande encore.
Il est là, à traîner dans la cour vide, vide, toute vide, entièrement vide. Tous les petits soldats de plomb de l’aire de jeu ont été ramassés et entassés à l’intérieur du grand bâtiment, à écouter une espèce de grand manitou ahaner sa science infuse. Les maths de Pythagore ou l’anglais de Shakespeare. La philosophie de Freud. Depuis combien de temps Lio ne s’est-il plus assis sur le dernier banc de la classe, collé à une espèce d’astronaute norvégienne à gribouiller des dessins sur une feuille chiffonnée ? Remie, ça doit bien faire deux mois qu’elle lui gueule dessus pour qu’il arrête de sécher et pour qu’il reprenne sa place au fond de la classe, avec elle. Et pourtant il l’écoutait pas. Vacances prématurées, folie de gosse. Trop de plaisir à vivre dans l’bas de la ville et faire son adulte, accumuler les petits boulots comme si chacun le couronnaient d’un peu plus d’honneur et de courage.
Mais aujourd’hui, c’était jour libre, le mercredi y’a personne pour l’prendre en pitié et lui donner quelques tâches ingrates, et sa marche en pilotage automatique l’a automatiquement amené… au lycée. Quelle idée. Maintenant qu’il s’est glissé par la grille entrouverte, il n’a plus qu’à observer chacune des classes par la fenêtre. Au bout d’un temps, le gamin essaie de trouver sa meilleure amie. Perdue quelque part au premier étage du bâtiment A.

La cloche sonne plus tôt qu’il ne l’aurait pensé. Merde, déjà l’heure. En l’entendant, la panique le submerge un petit peu, puis la raison ordonne à son cœur de se calmer un peu. Juste la fin des cours. Rien de pressant. Si ça se trouve, on l’a déjà oublié. Lio s’prend le visage entre les mains et souffle lentement. Qu’est-ce qu’il fout là putain. Qu’est-ce que tu fous là. Dégage. Ça sert à rien d’attendre qu’une météorite se catapulte sur le toit de l’établissement. Dégage.

Il sursaute brusquement quand on lui touche l’épaule, et il s’retourne l’air coupable. Mais y’a pas la tête du pion devant lui, non, juste un mec avec une paire d’écouteurs dans les oreilles. Visiblement inconnu au bataillon et avec une petite tête en plus que lui. « Da fuck mec, tu m’as fait peur ! » qu’il peut pas s’empêcher d’articuler, comme si ça allait lui sauver la mise. « Lio… C’est ça ? » Si ça se trouve, c’est un élève payé par un prof pour le surveiller. Ou un pote de Remie qui est venu lui dire qu’elle l’emmerdait bien fort. Ou un extraterrestre. On sait jamais.
Ou un des dealers d’ici qu’il a oublié de payer, merde. À peine la pensée lui traverse-t-elle l’esprit que le garçon a une sorte de déclic, et une expression affolée sur le visage. Merde merde merde merde. Il parie qu’c’est encore Ren, ou Shawn, ou Teddie, ou Dieu sait quel handic qu’il a oublié de rembourser en soirée, quand y’avait encore la brume des substances pour lui faucher absolument tout souvenir.
Lio s’mordille la lèvre nerveusement sans savoir quoi faire. « Euh… Euh nan c’pas moi. » Il secoue la tête trop rapidement. « J’dois y aller. » qu’il fait sans plus attendre, et il repart d’un pas rapide vers la grille. « Shit shit shit shit. » Le gamin balance en coup d’œil en arrière et peut voir le regard du brun toujours accroché sur lui. « SHIT ! » Et il s’met à courir comme un dératé. C’est probablement purement pathétique et purement cliché, mais il pense bien pousser un groupe de filles en chemin – pour la discrétion c’est raté. Il fonce dans les rues, une à gauche, deux à droite, puis tout droit.
L’seul détail qu’il oublie, c’est qu’il n’est vraiment pas rapide le môme. Ni rapide ni discret.

» do ré mi fa puis j'ai touché le sol
» oops je l'ai touché dans l'cœur (lils)