dompter. (daniel)

les doutes s’insinuent, pernicieux.
qui être.
qui suis-je.
que veux-je être.
que veux-je devenir.
quand elle commençait à se perdre dans la faiblesse, dans la tendresse, à espérer devenir une autre – une autre qui plaise à daniel, c’est le monde qui s’écroule.
c’est niki qui aimerait se rouler en boule.
et en même temps, la colère – sourde, violente, tempête en pleine mer – résonne, brille de mille feux. parce qu’elle a espéré qu’il y ait un avenir pour eux.
qu’elle se sent juste stupide, utilisée encore une fois.
un objet que l’on regarde, que l’on admire, que l’on pose pour l’oublier ensuite ; ne plus jamais le prendre dans ses bras.
"non-"
qu’il dit. mais niki, même si l’envie de fouiller dans ses prunelles s’est éteinte, lit un « oui ».
bien sûr.
comment pourrait-il en être autrement ?
une nouvelle blessure.
parce qu’elle a cru qu’elle pourrait être son firmament. en plus de son amant.
"c'est pas toi-"
elle lève la main, mais pas assez tôt.
"c'est ma faute."
elle se retourne, tâte maladroitement et sans trop savoir pourquoi ses poches.
est-ce que j’ai pris un sac ? elle se demande. et la réponse est introuvable. elle ne se souvient plus, perdue dans l’idée de n’être rien de plus qu’une poupée gonflable.
elle aimerait avoir un sac, niki. pour faire une sortie dramatique. pour faire une sortie épique.
pour cacher le palpitant brisé face à la tournure qu’ont pris les évènements…
quand elle pensait seulement l’aimer pour la nuit, et ne pas se laisser aller aux tourments.
- évidemment…
elle marmonne, les lèvres pincées, les opales tempétueuses dardées violemment sur daniel.
elle a la déception qui lui broie l’œsophage.
elle aimerait s’enfermer dans un sarcophage.
mais tout ce qui lui vient en tête – alors qu’elle devrait s’en aller – n’est que du fiel.
- si ce n’est pas moi, alors qu’est-ce que c’est ? en quoi est-ce ta faute ?
elle lève le menton dans une posture de défi – revient au galop l’ancienne niki.
la perfidie qui s’arme sur le bout de la langue alors que la douceur a éclaté en même temps que le refus de daniel de la baiser.
de l’aimer, d’un certain côté.
le regard s’attarde quelques secondes au niveau de l’entrecuisse de daniel, effleurée et aimée quelques soirées sans avoir spécialement été regardée.
- tu ne sais déjà plus t’en servir ?
elle croise les bras sur sa poitrine.
la déception est si grande que la tristesse s’est effacée directement pour n’offrir qu’une colère brutale, absolument pas chagrine.
elle tourne la tête de droite à gauche – ne pas entacher davantage sa relation avec le père. avec l’amant. avec cet être qu’elle ne saurait qualifier réellement. mais pour qui elle nourrissait des sentiments.
(peut-être imaginés, qui sait ? les adolescentes/jeunes adultes ne sont pas fiables. elles ne savent pas ce qu’elles veulent. et les adultes – les vrais, les vieux – ne savent surtout pas à quel point les stéréotypes et les clichés détruisent une vie, quand n’existent que les fables.)
- je ferais mieux de partir.
les lèvres se pincent à nouveau, les opales s’attardent quelques minutes sur le minois comme pour le graver dans la mémoire. avec lui, elle se sentait désirée. avec lui, elle oubliait que des enfants, elle n’en aurait jamais. à cause de l’anorexie qui l’a déchirée.
les opales brillent des feux de la rancœur amère, les opales brilles des espoirs éteints trop tôt.
mais dans les opales brillent aussi quelques mots.
des « ne me laisse pas m’en aller » et surtout des « il ne restera rien de nous si tu le fais ».

le cœur battant à tout rompre le long des tempes, comme des tambours de guerre.
l’impression d’être morte à l’intérieur, de manquer d’air.
parce que daniel n’ont plus de veut pas d’elles.
parce que daniel se plaît à les lui couper, ces ailes.
pourtant, c’était bien lui qui les lui avait données…
pourtant, à ses côtés, c’est un sentiment de protection – loin de l’anxiété, loin des démons, loin de tout ce qui blesse – qu’elle avait commencé à éprouver.
il est tout ce qu’elle n’est pas.
plus vieux, plus mature, plus las.
plus doué, plus marqué.
plus beau, plus secoué.
il est tout ce qu’elle a toujours désiré.
un peu comme un papa…
quelqu’un qui puisse la prendre dans ses bras.
sauf que niki ne veut pas d’un autre père – c’est ce dont elle se rend compte maintenant.
ce qu’elle veut, c’est vivre sa vie sans se préoccuper d’antan.
c’est profiter de daniel pour ce qu’il est, oublier le passé.
parce que s’ils n’en sont qu’aux prémices d’une relation,
c’est bien des sentiments qui sont nés.
rapidement, sans pouvoir prendre le temps de se poser, d’avoir des questions…
niki sent son cœur exploser.
parce qu’elle a envie qu’un « nous » puisse exister.
gagner l’intérieur de ses draps pour qu’il dépose ses mains sur ses reins avec une vénération feinte, ce n’est plus ce dont elle a besoin.
elle ne demande qu’une chose : qu’il cesse d’être loin.
"oui- ouais ! c'est ce que tu veux que j'admette ?"
elle n’esquisse plus le moindre geste, suspendue entre deux mondes.
et elle tourne finalement la tête de droite à gauche, déçue, blessure profonde.
- c’est faux. arrête d’essayer de te protéger en me racontant des balivernes… je n’ai pas besoin de toi pour vivre dans un monde rempli de mensonges.
amertume dont s’arme les lèvres pour cracher leur venin.
la petite nikita s’est vue blesser de trop nombreuses fois…
elle semble ne plus savoir de quoi sera fait le lendemain.
si ce n’est d’une infime souffrance, dépourvue de son roi.
"j'ai déjà bousillé la vie d'une femme, sans doute de deux- je veux pas que tu sois la troisième, okay ?"
le souffle reste bloqué entre les lèvres sèches.
elle n’a qu’une envie : sentir ses mains rêches.
une… deux…
de combien a-t-elle piétiné la vie, au juste, en se fichant éperdument du carnage qu’elle semait sur son passage ?
petit monstre d’égoïsme ayant toujours croqué la vie à pleines dents, quitte à laisser des débris sur son chemin… dans des commentaires haineux.
nikita, tout ce dont elle est capable, c’est de faire davantage de ravages.
alors il a sans doute raison, daniel, de la repousser…
mais niki s’est déjà bien trop perdue dans un amour dérisoire, dans un amour illusoire.
et nikita ne veut plus s’en aller.
parce qu’elle comprend qu’il a peur de lui retirer sa lueur… même s’il faut éteindre son espoir.
- et ce que moi je veux, tu y as pensé ?
elle demande, avec une douceur plus présente que ce qu’elle aurait aimé marmonner.
- je suis encore trop jeune pour décider, n’est-ce pas ?
toujours cette même douceur, cette même détresse qui pointe dans la voix qui manque de se briser.
elle s’approche, dévore les kilomètres métaphoriques qui les sépare pour prendre sa main et la poser sur son ventre – la chair étirée sur des os abîmés.
- je suis suffisamment vieille pour savoir que je n’aurai jamais d’enfants. que tout ce qu’il me reste pour me sentir complète, c’est de t’avoir à mes côtés…
elle tourne la tête de droite à gauche encore une fois, le cœur mis à nu quand les secrets dégringolent comme une marée.
- tu me diras encore que mes sentiments sont synonymes de ma jeunesse, que ça va passer… qu’on ne se connaît pas assez… et je ne suis d’accord qu’avec le dernier point. parce que quand j’essaie de passer par les failles de ta carapace, tu les rebouches aussi vite. laisse-moi l’occasion d’apprendre à te connaître… de prendre mes propres décisions…
elle monologue trop niki, se livre à un point qu’elle n’a jamais fait.
elle a peur maintenant que les informations ont été délivrées… qu’il ne fasse que l’envoyer davantage valser loin de lui, loin de leur relation qui tangue comme un bateau rongé.
- je t’en prie…
elle termine, le regard suppliant de leur laisser une chance – le regard suppliant que des bribes de sentiments soient réciproques.
elle laisserait tomber toute sa vie, toutes ses breloques…
juste pour continuer d’être regardée par cet homme.
juste pour qu’il applique, sur ses blessures, ce baume.

tout n’est plus que souffrance.
parties, les plaisirs d’antan, souvenirs de France.
c’est toujours pareil, n’est-ce pas ?
avec les hommes qui la prennent sans cesse dans ses bras…
refusent pourtant le cœur offert comme sacrifice.
ils ne font qu’additionner sur son cœur quelques cicatrices.
daniel n’échappe pas à la règle et c’est le palpitant qui s’écrase sous ses mots.
niki qui ploie sous tant de maux.
rejet.
encore et encore.
abandonnée.
encore et encore.
jamais désirée.
encore et encore.
elle n’entend plus rien, niki ; qu’un brouhaha assourdissant.
elle comprend avant même d’entendre les mots de daniel que tout est fini ; qu’ils n’atteindront jamais le firmament.
daniel et niki, ça n’existera jamais.
ça a été laissé, sur la plage échoué.
elle tourne la tête de droite à gauche, refoule en se mordant la lèvre inférieure les larmes qui brûlent les opales comme des milliers de tisonniers.
oh douce nikita, pourquoi t’être encore donnée ?
oh douce nikita, pourquoi avoir encore espéré ?
les hommes ne sont qu’une déception sans cesse grandissante pour son cœur d’enfant, trop fragile, trop naïf, trop amouraché de tout et de rien.
elle avait espéré qu’il serait sa bouée de sauvetage, qu’il lui ferait du bien.
elle lui a même avoué sa plus grande honte, son infertilité.
et lui, il la balaie de sa vie sans rien lui expliquer.
« j’ai fait des promesses », ça ne veut rien dire.
il l’a fait disparaître, son sourire.
les lèvres de niki remuent. sa bouche s’ouvre dans un « o » muet. rien ne sort.
que l’écho de sa petite mort.
le cœur en charpie.
le corps-décadence.
fini d’être une chipie,
il n’y a plus d’arrogance.
peut-être que c’est ce qu’il lui fallait, d’être ainsi rejetée, pour se bouger et changer.
peut-être que c’est ce qu’il lui fallait, mais niki est trop bouleversée.
elle tourne la tête de droite à gauche – encore.
et finalement, dans un dernier regard – tristesse-haine – niki tourne les talons et quitte le bateau.
rien à ajouter qui ne défonce pas plus son cœur-corps.
rien à ajouter qui ne lui fasse quitter les flots.
parce qu’elle flotte à présent, niki, entre les regrets, le cœur brisé et tout ce qu’elle n’aura jamais.
niki est cette petite fille pourrie gâtée qui a été rattrapée par la vie, et simplement piétinée.
elle ne pourra s’en relever que plus forte… après avoir accusé le coup de cette ultime trahison.

daniel n’existe plus.
les bribes de ses sentiments défoncés après avoir trop espéré demeurent dans les non-dits, entre ce bateau et orange grove.
elle le déteste…
parce qu’elle l’a beaucoup trop aimé.