sangria in the park (théo)

Une fois n'est pas coutume, aujourd'hui Blair s'est lavé. Tout a commencé avec sa mère, parfaitement diplomate au petit déjeuner : Blair si tu as des vêtements à laver donne-les moi je fais une lessive aujourd'hui, et pourquoi pas tes draps aussi ; et puis un peu moins subtile au déjeuner quand elle a compris que son insinuation avait échappé à Blair : Dis donc tu retombes en adolescence mon chéri, ça faisait longtemps qu'on t'avait pas vu avec les cheveux si gras. OK. Bon. Blair a donc pris un bain, c'est pas écolo mais prendre une douche ça lui paraissait un peu , au moins dans le bain il peut glandouiller jusqu'à ce que l'eau soit trop froide. C'était le temps fort de sa semaine. Faut croire que c'était celui de la journée de sa mère aussi parce qu'elle était tout sourire quand elle l'a vu sortir de la salle de bain en sentant bon la noix de coco. Pour la peine Blair lui a laissé le soin de décrasser les fringues qu'il traînait depuis trois jours, comme l'adolescent qu'il est effectivement en train de redevenir depuis qu'il a retrouvé sa vieille chambre. C'est sûrement un truc dans l'air ou l'eau du robinet qui fait régresser.

Et puisqu'il était sortable, Blair s'est dit tiens, pourquoi j'en profiterais pas pour... sortir. Avec quelqu'un. Mais y a personne. Alors il a renoué avec son meilleur ami Grindr et échangé quelques mots avec des mecs qui ne lui disaient rien qui vaille jusqu'à jeter son dévolu sur le plus bizarre d'entre eux. Il lui a semblé pas mal et au pire il a l'air assez excentrique pour que ce soit intéressant. Et puis vu qu'apparemment il a un truc pour les macchabées il sera pas décontenancé par la gueule de mort-vivant de Blair — au moins il n'en a plus l'odeur. Enfin, dans le doute, il lui a donné rendez-vous dans un parc où ça fleure bon le printemps. Parfois il préfère ça plutôt qu'un bar dans un premier temps parce que c'est plus facile de fuir si le type s'avère être un weirdo du genre dérangeant et pas juste marrant, ce qui est une éventualité. Il est pas hyper hyper confiant, non, ce qui n'empêche qu'il espère bien ne pas rentrer chez ses parents ce soir, en témoigne son sac à dos — parfois il est prévoyant, déformation professionnelle. C'est aussi pour ça qu'il est un peu en avance. Comme prévu, il se pose au bord de la fontaine pour attendre son rencard et regarde passer les promeneurs du soir. Principalement des couples hétéros quelques fois fois avec des gamins en poussette ou en tricycle. L'éclate totale. Heureusement qu'il connaît les recoins un peu plus isolés de ce parc à vieux et qu'il y aussi à boire et à fumer dans son fidèle sac à dos.

La vie d’excentrique est loin d’être aussi facile qu’elle paraît. Il y a une certaine facilité à se prendre d’intérêt pour tout et n’importe quoi, ne jamais tarir de sources de divertissement. Mais tôt ou tard, on finit par en faire le tour. Il y a tellement de choses à faire et découvrir dans ce monde, elles sont infinies mais finissent par paraître fades et inintéressantes. L’excentricité de Théo signifie que son intérêt est fugace et imprévisible, il ne sait jamais sur quoi il va se poser ou quand il va disparaître. Il n’y a qu’une chose de constante, et c’est la façon dont il y remédie ; le Saint Graal homosexuel nommé Grindr. Une arme à double tranchant à laquelle Théo est tout de même immunisé, sans doute parce qu’il est beaucoup plus chelou que tous les types qu’il pourrait y rencontrer.

Il lui arrive cependant d’y trouver des gens potables – c’est-à-dire pas trop normaux, pas trop lourds, juste assez intéressants mais sans trop en dire sur eux-mêmes. Parce que Théo aime les surprises, il préfère tout découvrir une fois sur place et ça se voit dans l’enthousiasme avec lequel il ajuste sa veste en cuir et se reluque dans le miroir une dernière fois, cheveux impeccablement recouverts de gel et lunettes de soleil sur le nez. Son enthousiasme perdure jusque dans son Impala et même lorsqu’il l’arrête à la rue en face du parc, le lieu de rendez-vous alimentant lui aussi son anticipation. Il n’en a pas l’air, mais Théo est un amoureux de la nature ; c’est une force qu’il respecte et dont il tire souvent son inspiration, et ça se voit dans l’intérêt qu’il porte à la phytothérapie et sa collection de plantes toxiques – littéralement, il les garde dans sa cave dans des petites cages agrémentées de signes « ATTENTION NE PAS TOUCHER ». Encore un truc sur lequel il se fera un plaisir de disserter pendant des heures, si son date le lui permet.

Confronté au soleil chaud de cette belle journée d’été, Théo siffle comme un vampire, ou un adolescent qui redécouvre le monde extérieur pour la première fois depuis des semaines. Il fronce les sourcils et retrousse le nez juste assez pour remonter ses lunettes avant de se débarrasser de sa veste. Accessoire tout de même indispensable malgré la chaleur, elle trouve sa place sur son épaule pour donner du style et accentuer sa démarche alors qu’il esquive les couples hétérosexuellement blancs et blanchement hétérosexuels pour retrouver son rencard près de la fontaine. Une confiance débordante et pas la moindre hésitation dans sa voix lorsqu’il lâche un « Bien le bonjour » à la silhouette qu’il y croise. Il se baisse vers elle, regarde par-dessus ses lunettes pour s’assurer que c’est bien la bonne personne et lui adresse un sourire rayonnant lorsqu’il reconnaît le visage, beaucoup mieux que sur la photo du profil.

Théo se baisse un peu plus vers lui, posant sa main sur son épaule à la fois pour prendre appui et pour le tourner vers lui afin de lui faire la bise. Il s’installe enfin à ses côtés, jambes croisées et mains sur les genoux, comme la princesse qu’il est. « J’espère que je t’ai pas trop fait attendre, lance-t-il en posant ses lunettes sur sa tête – en réalité il se fiche d’être en retard mais les conventions sociales veulent qu’il le dise quand même – mon iguane s’est barrée pendant que je me lissais les cheveux et j’ai dû lui courir après. Ca court vite ces trucs. » Il acquiesce comme s’il venait de dire la chose la plus banale au monde. Une certaine tendance à prononcer des choses insolites avec nonchalance qui, ironiquement, ne fait qu’accentuer leur singularité. « Et sinon, ça va ? »