loverdose. (jack)

( la tête tournée vers les étoiles )

les sons apparaissent étouffés. les gémissements sont saccadés. la porte qui sépare les deux entités est trop fine, trop déchiquetée.
du coin de l’œil, jacqueline aperçoit les cuisses diaphanes (et zébrées des vergetures dues à l’âge et à l’enfant qui a été accueilli en son sein) de maman. elle a dix ans.
maman se cambre. les fesses de l’homme – trop rebondies, trop enlaidies – se contractent à leur tour. curieux, jacqueline était persuadée qu’elles étaient dépourvues de muscles… uniquement constituées de graisse. haussement de sourcils.
l’homme se retire, un machin flasque tombant contre ses jambes. il balance une paire de billets sur le lit, adresse à peine un regard à la femme qui l’a accueilli en elle. maman… maman est étendue, inerte. comme si elle avait cessé de vivre, d’exister.
c’est ce qu’elle fait à chaque fois. c’est pour prendre du recul, elle a dit. elle a besoin de s’évader une fois son corps utilisé, blasphémé. des fluides inconnus et dégoûtants serpentent de sa féminité pour se répandre sur les draps souillés.
jacqueline s’avance, lentement. pour ne pas la brusquer.
elle s’allonge à côté – se fiche que le lit soit défait – et regarde maman dans les yeux. maman a les yeux bleus, mais vitreux. maman a des tâches de rousseur qui lui picorent le visage comme des dizaines d’oisillons affamés.
elle a la poitrine un peu tombante, une poitrine qui était belle autrefois. quand un nourrisson n’avait pas encore tété jusqu’à déformer, attaqué jusqu’à malmener.
maman a le genre de beauté rare – les cheveux roux, les yeux clairs, la peau laiteuse – qui était autrefois très recherchée. maman a le genre de beauté fanée qui fait mal au cœur, comme autant d’épines plantées dans la chair, dans l’organe de vie.
et jacqueline a toujours autant de culpabilité – aigreur au fond de la gorge, estomac contracté d’infamie – quand elle se dit, répète encore :
- je ne serai jamais comme maman.
mantra qui l’aide à penser à autre chose, mantra qui l’aide à prendre du recul – comme maman, sans fixer le vide pendant des heures.
et puis maman papillonne des cils, et la vie revient faire remuer son poitrail – avant, arrière.
maman reprend les rennes du corps pour se lever – douloureusement, au vu de la grimace qui déforme ses lèvres abîmées – et aller jusqu’à la salle de bain. quand elle revient une dizaine de minutes après, maman revient se coucher – en repoussant les couvertures dégueulassées – et caresse le minois poupin de sa gamine.
- je t’aime, ma jacqueline.
- moi aussi je t’aime.
elle répond, gamine bien éduquée. mais jacqueline, plus les années passe, plus elle se demande : est-ce que c’est vrai ?
elle sait tous les sacrifices que fait maman pour elle. elle sait que ce n’est pas la vie dont elle avait rêvé. mais jacqueline, dans son cœur d’enfant, reste persuadée que quand on veut quelque chose, on peut l’avoir. quand on veut s’en sortir, changer de vie, il n’y a qu’à tout laisser tomber et le faire.
si on ne change rien, on se complaît dans le malheur.
si on ne change rien, on n’attend que l’heure où l’on meurt.


papa.
quatre lettres, un unique mot si plein de signification.
papa est inconnu.
maman n’a jamais su son identité… du moins c’est ce qu’elle n’a cessé de répéter.
mais jacqueline est déterminée.
jacqueline va le retrouver.
jacqueline farfouille dans les bibliothèques, se pointe dans des bars malfamés où elle sait que maman a déjà travaillé. ce n’est pas une mince affaire que de retrouver un donneur de sperme, un enfoiré ayant juste payé pour un peu de bon temps – et un préservatif craqué.
jacqueline a la vingtaine.
maman ne supporte pas que jacqueline suive ses pas – en allant dans le même genre d’endroit qui est dangereux pour les femmes, en allant dans le même genre d’endroit vicié. alors maman crache finalement le morceau.
papa s’appelle sloan monroe.
maman se persuade qu’en sachant ça, jacqueline cessera ses recherches. faux. jacqueline redouble d’efforts pour savoir où papa se trouve, pourquoi il n’est jamais venu la voir – s’il connaît seulement son existence. elle a besoin de savoir, jacqueline, pourquoi elle n’a jamais eu de papa.
pourquoi, à l’école, on se moquait d’elle avec juste maman. en ignorant – jacqueline y veillait – que maman était une prostituée. ça n’aurait pas arrangé les rumeurs qui courraient déjà, dès l’adolescence, sur une jacqueline fille facile. sur une jacqueline prête à courber l’échine et s’écorcher les genoux sur les dalles abîmées des toilettes des garçons.
- ils sont jaloux.
elle avait raconté à maman. les rôles inversés, jacqueline qui doit rassurer la figure maternelle. mais maman était prête à aller voir les professeurs et le corps enseignant.
- pourquoi faire ?
elle avait demandé, jack, les opales tempétueuses.
- pour qu’eux aussi te proposent quelques billets pour te sauter ? pour qu’ils t’humilient alors que tu as déjà eu du mal à avoir les moyens de me mettre là-bas ?
les bras croisés sur la poitrine, le cœur-souffrance face à l’accablement sur le minois de maman.
jacqueline trop violente dans le choix de ses mots. jacqueline trop violente dans son tact imaginaire. mais la réalité est dure, et jacqueline l’a appris dès le début.

jacqueline fouille les bibliothèques, se rend à la mairie de seattle pour essayer de retrouver la trace de papa. et jacqueline découvre son péché mignon : les recherches intensives. farfouiller tout ce qui existe pour trouver ne serait-ce qu’une piste, internet y compris.
elle se fait quelques relations, joue de ses cils de biche pour obtenir d’autres informations. jacqueline apprend à se défendre aussi, pour ne pas risquer sa peau en allant dans des bars où les femmes ne sont que des objets, où elle semble être le loup dans la bergerie.
et finalement, elle le trouve.
sloan monroe. papa.
en prison.


il lui faut un peu plus d’un an, mais jacqueline échafaude un plan parfait pour le sortir de prison. avoir des réponses à ses questions.
et tout marche sur des roulettes…
jusqu’à son arrestation.
papa ne comprend pas qui est cette inconnue, de vingt-et-un ans, qui se préoccupe de lui. papa refuse même de la suivre dans un premier temps – il lui faut purger sa peine pour récidive de deal de drogue.
un bon samaritain, papa, n’est-ce pas ?
jacqueline est dépitée.
et jacqueline se fait coffrer parce qu’il a hésité. mais il n’a pas hésité assez longtemps pour retourner dans sa cellule et purger sa peine avec sa fille lorsque les flics sont arrivés.
elle a pris sa place derrière les barreaux.
heureusement que c’était prévu. heureusement que ça faisait partie du plan initial. un lâche, un couard… jack ne s’attendait pas à mieux. alors elle s’évade à nouveau – avec tout ce qu’elle avait réussi à glaner comme informations, à échanger avec les détenus.
et jacqueline se fait rechercher quelques temps. alors jacqueline disparaît.
jack ocean naît.
jack ocean que personne ne connaît.

elle reste quelques temps à seattle, jusqu’à se faire approcher par l’anaconda. c’est comme ça qu’on l’appelle, à la skala. parce qu’elle a fait des émules, jack, pendant la prison et même après. parce qu’elle s’est fait un nom.
on raconte qu’il n’y a rien ni personne qui parvienne à échapper à la surveillance de jack ocean.
elle s’insinue partout et nulle part, trouve les détails qui manquent et assemble les pièces du puzzle avec la perfection. quand ce ne sont pas ses relations disséminées par-delà le monde qui l’y aident, c’est ses talents de hacking qui lui dénichent la réponse. alors on lui propose un job, et jack accepte.
parce qu’on ne dit pas vraiment non à la skala.
parce que les grands frissons de l’adrénaline ont su toucher son cœur.

et les frissons, jack les a eu. pendant une opération pour retrouver python – les serpents adulés et utilisés, un gars s’est fait descendre. ça aurait pu s’arrêter là, malgré les nombreux mois à tout planifier, malgré le besoin viscéral de retrouver un de leurs membres.
mais ça aurait été trop simple, n’est-ce pas ?
python et mamba ont disparu.
l’opération de sauvetage a échoué, puisque la cible ne souhaitait pas être retrouvée.
rancune. trahison.
vengeance.
jack – la vipère – n’a pas dit son dernier mot. elle fera tout ce dont elle est capable pour retrouver la trace de ces deux fuyards pour récupérer l’argent qui avait été avancé. pour récupérer l’argent qui avait été volé.
mais la vipère n’empêchera pas taïpan ni cobra de les passer à tabac. vipère regardera bien les deux traîtres se faire tabasser, un rictus jubilatoire placardé comme une affiche wanted : dead or alive sur la gueule. la vengeance est un plat qui se mange froid, et jack a eu tout le loisir de digérer ce qu’il s’est passé.
crescent heights sera le théâtre de ce bain de sang.
les serpents sont de sortie, tous crocs dévoilés, une perle de poison brillant sous l’éclat de la lune.