craque comme une feuille morte / sid

craque comme une feuille morte

« Prends un jour de congé », p'pa veut pas te voir traîner là, au garage, il en a marre de te voir tourner là, survolté, essayant de gérer mille choses à la fois. P'pa il te regarde d’un drôle d’œil depuis quelques semaines, il voit bien que t’en peux plus, que t’es épuisé. Physiquement, mentalement. La vérité c’est que papa s’inquiète, et que comme les autres qui gravitent autour de toi, il se demande quand est-ce que tu lâcheras, quand est-ce que tu craqueras. Prenez les pari. « Non ça va », la tête dans le moteur tu t’affaires sur les engrenages de la voiture, une clé à la main. Tu l’entends soupirer de l’autre côté du capot, le voit faire le tour pour s’approcher de toi. P'pa parle pas beaucoup, il n'a jamais beaucoup parler, c’est comme ça, tu t’y es faite. P'pa est ronchon parfois, il pousse des bruits pour s’exprimer, comme un ours. Mais aujourd’hui p'pa parle plus que toi. Il attrape ton poignet, celui qui tient la clé. « Va faire un tour Sidney », c’est bien le seul à encore t’appeler par ton prénom, ton prénom en entier. Et ça sonne comme un ordre, d’un père à sa fille, d’un patron à son employé. Tu te redresses finalement, pour tomber sur son regard gris, les yeux fatigués, la même expression qu’il tient depuis des jours à chaque fois qu’il t’observe, la même expression qui veut dire « je suis désolé pour toi, il me manque aussi ». P'pa à jamais eut besoin de parler finalement.

Tu suis son conseil, saute dans une douche, un jean, quitte le garage et rejoint la ville. Il y fait plus chaud, il y a moins d’air, il y a toujours cette ambiance électrique qui anime les centres-villes, les vont et viens des bus et des voitures, les klaxons au loin. Tu marches un bon moment sans savoir où aller, sans savoir quoi faire vraiment maintenant que tu’es en ville. Tu pourrais aller faire du shopping, passer au disquaire, essayer une nouvelle fois de rentrer chez toi. Au lieu de ça, tu continues à marcher, jusqu’à t’arrêter devant chez Babette 's. Ta toujours aimé cet endroit, parce que tu y garde des bons souvenirs, dès après-midi entière autour d’un même milkshake avec ta bande de potes, des soirées à traîner au lieu de rentrer chez soi, des hivers, des étés. Principalement des bons moments, avec lui aussi, une vague de souvenir qui t’arrive en pleine gueule quand tu la vois à travers la vitre, assise seule. Avec elle aussi t’en ont partagé des souvenirs, des milkshakes, des pâtisseries. Gina, aux abonnés absents depuis deux mois, les messages se fait plus rare, les visites aussi. Gina qui s’éloigne, sans dire pourquoi.

Ça te brûle le cœur de la voir là, ça te brûle les lèvres de vouloir savoir pourquoi, et quand elle relève la tête pour croiser ton regard tu décides d’entrée. Tu passe commande un milkshake, un bien frais, à la vanille, ton préféré. Tu finis par t’installer devant elle, un demi-sourire au coin des lèvres. « T’attendais personne au moins ? », dans le pire des cas tu te décaleras, ou il rajoutera une chaise qu’importe. Tu prends une gorgée de ton milkshake, l’observe à nouveau. « Ça fait un moment qu’on t'a pas vu… tout va bien ? », tu t’inquiètes un peu, peut-être qu’elle a des problèmes, peut-être qu’elle a autre chose à faire, peut-être qu’il y a simplement autre chose dont elle ne veut pas parler…

craque comme une feuille morte

T’aurais pu continuer ton chemin, la laisser là, assise à sa table devant sa tasse. T’aurais pu faire comme si tu ne l’avais pas vu, continuer et souffrir de son absence en silence. Parce qu’elle aussi à quitter le port, depuis quelques semaines, tu n'as pas vraiment compté, depuis un mois ? plus. Deux mois. Depuis qu’il est plus la certainement. Et tu sais pas vraiment pourquoi, tu sais pas si c’est toi, si c’est ta faute, ou si c’est juste la vie qui veut ça, les amis qui vont et qui viennes comme les vagues sur la mer. Sauf que vous, vous pensiez indestructible, bien plus fort que tout ça, vous vous pensiez assez fort, assez grand pour surmonter ce genre d’épreuve. C'était peut-être pas le cas, c’était peut-être l’événement qui ferait éclater le groupe, le disséminerais en petit bout aux quatre coins de la ville, du pays, du continent. Ça a commencé avec Gina, et tu sais pas qui sera le prochain. Alors oui, tu’aurais pu passer ton chemin mais ta curiosité est bien trop forte, et tu t’installes en face d’elle, milkshake en main. T’essaie de la saluer comme si de rien était, comme si rien n’avait changé, l’illusion que tout va bien, l’illusion que votre univers n’a pas été bousculé. Tu lui demandes si elle attend du monde tout en prenant la chaise devant elle. Visiblement pas heureuse de te voir débouler, elle a sa tronche des mauvais jours, l’acide qui lui sort des lèvres quand elle te dit qu’effectivement elle attend quelqu’un, que ce n’est pas toi et que ta venue n’est donc pas la bienvenue. Tant pis, tu restes. Parce qu’elle te manque, même si elle te balance des saloperies à la gueule, même si elle a le regard froid, même si elle t’énerve un peu quand elle est comme ça. Elle te manque et tu t’inquiètes. Pour elle. Pour vous. Pour toi peut-être, c’est égoïste de trembler à l’idée de perdre une amie ? Elle va bien, c’est ce qu’elle te dit, et tu hoches la tête même si tu ne la crois pas. Elle blesse, quand elle te dit qu’elle n’a pas que vous, qu’elle a mieux à faire que traîner avec vous ou juste prendre des nouvelles. Elle blesse quand elle demande avec cynisme si elle vous manque. Évidemment. Et elle le sais-t-en est persuadée. Tu soupires, dévie ton regard vers les autres clients du restaurant avant de revenir sur elle. « Plus que nous apparemment… », t'es pas du genre à être méchante Sid, même blessé t'es pas du genre à avoir la parole acide, les saloperies qui sortent si facilement de tes pulpeuses. T’es du genre à peser chacun de tes mots, même si en ce moment c’est un peu plus difficile. Et tu sais comment elle est Gina, la réaction d’animal blessé quand on Tate trop là où ça fait mal. « T'es pas obligé de faire ça Gina…» Finalement elle change de sujet, te demande ce que tu fais toi. Vous êtes amie de longue date, vous pouvez pas vous engueuler comme ça, pas vous éloigner comme ça, pas pour ça, surtout pas pour ça. Tu hoches la tête, « ouais toujours au garage, même si… », tu rigoles un peu, un sourire qui reste en suspens sur tes lèvres, « même si je crois que mon père me supporte plus en ce moment », tu sais que 'est pas méchant, tu sais qu’il a mal au cœur de te voir mal à ton tour. Tu hausses les épaules, garde ce sourire. « Au moins le boulot ça m’aide à penser à autre chose », tu reprends une gorgée sur ton milkshake, fronce les sourcils sous la douleur qui cogne ton cerveau. « J’avais presque oublié le gout des milkshakes de Babette »

craque comme une feuille morte

C’était beau avant. Quand Sam était là. Quand ton seuls soucis consistaient à savoir ce que t’allais faire de ton week-end, ce que vous alliez organiser avec lui, avec eux, Gina, Ferdie et les autres. Ce que ça allait donner. Quelques choses de bien, comme à chaque fois. Oui c’était bien quand ta vie était légère, qu’il n’y avait que de rare nuage gris dans ton ciel si bleu. T’avais une vision de l’avenir, tu te voyais fonder une famille avec lui, avoir un gosse ou deux, se marier peut-être même si vous étiez loin de ces clichées fleurs bleues. Ça aurait été simple, une petite maison dans un petit coin de campagne, un chien, des rires et de la joie. Et beaucoup d’amour. Ce n'était pas grand-chose et t’avait pas l’impression que ton rêve était inaccessible, t'avais pas l’impression de planer, pas l’impression que tout s’effondrait du jour au lendemain. Parce qu’on pense jamais à ça, au coup de téléphone qui vous réveille dans la nuit pour vous dire qu’untel est parti, qu’il vous a quitté, seul, avec vos rêves de petite fille gâtée. Et avant tout ça t’avait tes amis, un groupe soudé, l’illusion que rien n’aurait pu vous séparer, pas même la mort, pas même sa mort. Elle a été la première, Gina, à s’éloigner de vous, il n'a pas répondu au téléphone, à ne pas venir quand vous vous retrouvez tous ensemble. Tu n'as jamais vraiment cru qu’elle s’en foutait de vous, qu’elle préfère être seule plutôt que d’affronter votre peine tous ensemble. Non tu sais que c’est autre chose, tu sais qu’elle a autant de douleur dans la poitrine que toi, Ferdie, ou les autres. Gina c’est un animal blessé, qui montre les griffes quand elle a mal au cœur. Exactement ce qu’elle fait quand tu t’assois en face d’elle, quand tu viens déranger son petit encas de l’après-midi. Gina elle est méchante, elle a l’acide au bout des lèvres, elle crache son venin. tu la laisse dires, sans te toucher vraiment, y'as que son absence qui te fais vraiment mal, qui te fait vraiment de la peine, pas les saloperies qu’elle peut te balancer à la gueule, et elle s’adoucit, te demande si tu bosses toujours au garage, change de conversation. Le genre de conversation qu’on tient avec ses amis quand tout va bien, par quand son mec vient de mourir. Elle pose une question que tu n’entends pas, qui t’interpelle sans que tu n’en comprennes le sens. Alors tu relèves la tête de ton milkshake, efface ton sourire stupide. La deuxième question t’arrive droite en pleine face, dans la gueule, comme une gifle. Elle aurait pu se lever pour te frapper que ça aurait eu le même effet, un froid qui t’envahit, qui te fait trembler. Elle crache l’acide, les oeil noires, elle fulmine. Et tu la connais assez bien pour voir qu’elle est sur le point de craquer, de tout envoyer balader, ou de s’enfuir. La question, elle, tourne dans ta tête. C’est vrai ça Sid, comment tu peux penser à autre chose ? Ou comment tu peux prétendre penser à autre chose ? Qui tu crois tromper ? Pas Gina en tout cas, par toi non plus. Parce que même quand tu te persuades que tu ne penses pas à lui, t’y pense quand même. C’est comme quand on essaye de dormir, en faisant taire son cerveau, en se répétant qu’on ne pense à rien, puis on s’aperçoit qu’on le fait quand même. Tu la vois pas se lever, te balancer une énième saloperie à la gueule, t’as juste cette question qui te taraude l’esprit. Et qui elle est Gina pour te juger ? Qui elle est pour s’insurger quand tu lui confies vouloir penser à autre chose ? Est-ce qu’elle a la moindre idée de la vie que tu mènes depuis qu’il est partis ? Alors tu te lèves à ton tour, pour la rejoindre devant chez Babette 's, tant pis pour ton milkshake et son gout de nostalgie, pour la douceur qu’il aurait pu te donner. « C’est quoi ton putain de problème Gina ? », tu soupires, tu reste calme, parce que tu’es comme ça Sid, parce que tu ne cries jamais, parce que tu ne t’énerve que très rarement. Tu l’observes, tu voudrais qu’elle te dise ce qu’elle a sur le cœur, ce qui lui pèse, ce qui l’empêche d’être avec vous. « Tu crois que t’es la seule à souffrir de son absence ? Sérieusement ? », t’inspire, une nouvelle fois. « Si t’étais avec nous en ce moment tu saurais que tout tourne encore autour de lui », parce que'après tout c’est elle qui s’est éloigné, parce que'après tout c’est elle qui vous quitte au moment où vous avez le plus besoin d’être soudés.

ses jambes élancées l’emmènent à l'extérieure du magasin de milkshake de Babette, l’ancien QG des filles étant plus jeunes, quand tout allait bien, quand la vie continuait son cour sans être dérangée par des évènements brutaux et qui font mal. gina qui se pose contre la vitrine, hors d’elle, s’allume une cigarette, elle qui ne fumait presque jamais, seulement quand les nerfs lui montaient. c’était un tic, un  de ces trucs dont on ne peut pas se tirer, surtout quand l’on a du mal à contrôler sa colère, sa tristesse, sa putain de vie tout simplement. gina est à la dérive, elle se laisse porter par la tempête qui l’éloigne de tous ses anciens amis, ses plus proches, à part certains chanceux peut-être, ceux qui n’ont rien à voir là-dedans comme bo par exemple. lui qui ne sait pas que son groupe s’était auto-détruit à la mort de l’un deux. mais si ce n’était que ça…. gina elle à l’air forte comme cela, parce qu’elle a jamais connu son père, qu’elle a rapidement dû apprendre à se débrouiller seule avec sa mère qui était souvent au travail pour payer le loyer et la nourriture, parce qu’elle a une famille de déjantés, un oncle ivrogne, ou encore un travail merdique, entourée de drogués et de lourdeaux. or, gina n’est pas forte, elle est comme une feuille, une feuille qui craque à la moindre secousse et qui se désintègre. pouf. puis part en poussière. gina,  c’est des millions de poussières éparpillées dans crescent heights,  elle s’est perdue dans night falls, dans ses objectifs, elle-même. et si elle n’était pas si bonne actrice parfois, on le remarquerait, sid le remarquerait (si elle ne l’avait pas déjà fait sans que la brune le sache), car sid c’était une de ses meilleures amies, une soeur, sa famille pas de sang mais de choix. pourtant, gina venait de lui asséner un coup de couteau dans le dos avec ses méchancetés.  comme si elle devait faire mal à d’autres pour apaiser sa souffrance.  

“mon problème ?” qu’elle arrive seulement à répondre, la voix coupée, les sentiments refoulés qui font surface au mauvais moment, elle pense à son ami décédé, à sa mère entre la vie et la mort, à ses études inachevés, à son avenir jeté dans une poubelle.
elle encaisse les mots, comme sid venait de le faire. et elle sait qu’elle a raison, que si elle était restée avec eux, elle verrait bien qu’il y avait un trou, une blessure ouverte dans chacun d’eux, comme pour elle, comme pour sid. comme pour les autres.

“je ne pouvais pas rester avec vous.” qu’elle avoue, à deux doigts de craquer, de lui dire la vérité.

“si j’étais restée, j’aurais dû prendre un peu de votre souffrance, la voir, la sentir, la toucher, car je déteste vous voir souffrir, tous. J’en aurais pris un peu plus pour moi, pour vous alléger, surtout toi sid.

- mais je ne peux pas, j’suis pas assez forte pour ça.
- pas cette fois,
- pas maintenant”. qu’elle répond, les yeux plantés dans ceux de sid, une déclaration, gina qui semblait être la plus forte, qui aidait à chaque moment, qui ne pouvait rien faire là. c’était trop dur.

pourtant, elle ne lui dit pas tout. l’important reste caché, au fond d’elle, car elle ne veut pas de pitié. elle imagine bien ce que sid endure, alors elle ne veut pas lui en rajouter.