crépuscule. (mila)

ça a jamais été dans tes habitudes. l'espionnage c'est pas ton truc, pourtant tu t'y adonnes depuis quelques jours. depuis que Sony t'en as parlé, et que tu t'es immiscé à une de ses soirées clandestines. argent glissé sur la table, gain pour un bienheureux. t'as jamais été doué au poker, ni au black jack, t'es même des plus mauvais. alors t'as tout perdu dès les dix premières minutes. mais t'es resté assis un moment, visage renfrogné et œil curieux. Sony il a été en vaine ce soir là, il a raflé le pactole. puis il t'a parlé de la femme à votre table, on l'appelle Mila. corps de rêve et cerveau infaillible. y'a son prénom qui est sorti de sa bouche trop souvent à ton goût, parce que Sony il lui fait de l’œil, parce que c'est toujours en face d'elle qu'il gagne. alors tu t'es laissé bouffer par ta curiosité maladive et par ton instinct de protection exacerbé. tu l'as suivi la jeune femme, un soir d'abord. puis un autre et encore un autre. il parait qu'elle est marié. que c'est une joueuse hors pair, qu'elle ne se laisse jamais dépouiller. c'est les lèvres trop bavardes t'ont appris. y'a le doute qui t'habite, alors t'as continué ton petit manège.
et ce soir tu t'y es remis. les mains dans les poches de ton sweat, le pas lent derrière le siens. t'es pas vraiment des plus discret. clope au bec, tu suis sans vraiment savoir où elle va te mener, ni ce que tu cherches réellement. tu veux comprendre, mais comprendre quoi ? t'en es pas encore vraiment certains. tu te laisses guider par tes émotion, par ton nez qui flaire le coup foireux. tu veux pas qu'on le prenne pour un con ton frère, tu veux pas qu'il est d'emmerdes. il en a déjà trop depuis votre enfance, celles que tu lui as apporté et celles qu'il s'est lui même créer. mais tu seras toujours là pour le sortir des mauvais plans. tu te l'es promis. il commence à se faire tard et pour le moment t'as la sensation de tourner en rond, comme si elle te menait en bateau, comme si elle voulait savoir si tu la suivais réellement. un animal intelligent se sentirait pris au piège, mais t'es définitivement trop con pour te rendre compte des choses assez rapidement et tourner dans la ruelle qui te fait signe. quand elle s'assoit à la terrasse d'un bar, tu en fais de même. quelques tables plus loin. tu commandes une bière, mais ce n'est pas la serveuse qui se hâte vers toi quelques minutes plus tard. c'est bien la brune et tu arques un sourcil. le cul vissé à la chaise, tu t'allumes une nouvelle cigarette en la regardant de haut en bas. un problème ? que tu demandes, sourire en coin sur les lèvres. il faut nier, comme devant les flics. c'est une des choses que tu as retenue depuis toutes ces années.

le crépuscule noyé dans l’étendue de ses pupilles, et le chuintement d’une bise qui souffle contre le visage, se mélange aux mèches ébène. la valse du vent est douce, presque agréable contre son épiderme frémissant sous les assauts fugaces. là haut, y’a que quelques lueurs rougeâtres qui se noient encore dans l’étendue profonde de la voie lactée, et les quelques astres qui commencent à parsemer la couverture anthracite du ciel. et pour l’accompagner, le mutisme vrombissant qui engloutit les ruelles de moins en moins vivantes, de plus en plus délaissées par les marcheurs nocturnes. elle n’en est qu’une de plus, errante au beau milieu des ombres qui commencent à étirer leur silhouette décharnée le long des murs, et jusque dans les caniveaux. avec comme seul compagnon de sa promenade le râpement de ses talons sur le goudron froid, comme une mélodie claudiquante qui remplit un peu plus le néant qui bruisse contre les tympans. c’est toujours le même chemin qu’elle sillonne à cette heure-ci, quand le temps semble s’être suspendu quelque part dans le chemin avalé du soleil. une fois que le vertige des jeux imprudents s’est estompé, et que c’est ce besoin viscéral de calme qui lui scie presque les veines, poumons hurlants et ventricule grondant, qu’elle s’échappe de l’effusion du casino. là où quelques poignée d’instants auparavant tout n’était qu’agitation et grésillement de voix graveleuse, il n’y a plus que la mélodie de son coeur qui chante la vie sous ses côtes. comme ce vide délicieux qui l’emplit et apaise son esprit jusqu’alors fulminant. comme un nouveau souffle qu’elle trouve dans les dédales de rues qui s’enchaînent et les quelques regards des âmes égarées qui s’égarent au creux du sien. pourtant, y’a comme une résonance dans chacune de ses foulées. un nouveau cliquetis un peu plus étouffé, moins vigoureux que celui murmuré par ses propres pas légèrement pressés. bien trop réel pour n’être qu’une affabulation de son esprit déjà tiraillé par un sommeil léger. alors elle continue, s’engouffrant dans une ruelle un boyau un peu plus étroit de rue, pour rapidement entre l’écho qui s’y glisse avec la même cadence. soupir qui remonte mollement le long de sa trachée, jusqu’à s’échouer contre ses lèvres capucines alors que ses pupilles caressent furtivement la silhouette déjà bien trop souvent glissée dans son ombre. et y’a cette étrange curiosité qui lui tambourine sous la poitrine, cette envie de découvrir plus précisément les contours de son visage, et encore plus le besoin brûlant de comprendre pourquoi. pourquoi elle, et pourquoi maintenant? elle se laisse glisser jusqu’à la terrasse légèrement plus fréquentée d’un bar, et elle le voit en faire de même quelques instants après. brutalement, elle sent son corps réduire les quelques mètres qui les sépare pour venir se tenir face à lui. et c’est finalement sa question qui l’accueille, et les effluves de l’exaspération qui lui éclate sous la langue au même instant. je sais pas, à toi de me dire.  haussement de sourcil qui appuie ses mots. finalement, elle se laisse glisser sur la chaise qui lui fait face, le regard toujours irrémédiablement plongé dans le sien où elle cherche à déchiffrer des explications qui ne viennent pas. est-ce qu’on a un problème? ses doigts viennent chercher la gitane crépitante coincée entre ses lèvres pour la glisser contre les siennes, attendant simplement ses explications, ou bien justifications.

t'as jamais été un bon menteur et tu l'affirmes encore aujourd'hui. même ton regard appuyé, même ta posture négligée n'y fait rien. la femme s'approche, te toise et te renvois la balle. je sais pas, à toi de me dire. t'arques un sourcil lorsqu'elle prend place en face de toi. tu sais pertinemment que tu viens de te foutre dans la merde, et qu'il va falloir que tu rames pour t'en sortir. mais t'as jamais eu l'esprit très vif dans ce genre de situation. est-ce qu’on a un problème? et ses doigts viennent s'emparer de la clope que tu viens de glisser entre tes lèvres, un léger grognement t'échappe alors que tu la regardes faire. la fumée qui s'échappe lentement de sa bouche et l'envie maladive de te rallumer une cigarette. chose que tu fais sans attendre. j'suis pas certain. que tu craches finalement détournant tes yeux de Mila pour t'attarder sur la serveuse qui revient, la bière que tu as commandée entre ses mains. le verre claque sur la table et tu ne perds pas de temps pour boire une gorgée, histoire de noyer ton incapacité à faire profil bas. on s'est déjà vue.
une fois. tes yeux noirs se posent sur elle maintenant, tu la détailles un instant. t'essayes de savoir si elle se sent en danger, ou bien piégée, mais c'est toi qui l'est. tu devrais dire la vérité, avouer que tu l'as suit depuis des jours. parce que tu veux savoir qui elle est, et ce qui la pousse à laisser Sony rafler toutes les mises. mais les mots restent coincés dans ta gorge un long moment et le silence s'installe alors que tu ne l'as toujours pas quitté des yeux. j'ai jamais été bon en techniques d'approches, mais faut croire que passer pour un psychopathe ça a du bon ... t'as un sourire en coin, un nouveau bobard pour pas mettre ton frère dans l'embarras. pour en apprendre peut-être plus sur la demoiselle. mais c'est une joueuse invétéré, en bluffant tu risques de perdre une nouvelle fois. tu passes une main sur ton crâne rasé, et tu t'enfonce un peu plus dans ta chaise. t'as pas fait les choses bien Desi, comme toujours. t'as suivi ton instinct et maintenant t'as la conviction que tu vas te faire taper sur les doigts comme un putain de gosse. comme toujours. tout ce que tu ne veux pas, c'est que Sony en entente parler avant que tu aies terminé ton enquête. t'es le plus mauvais des détectives privés. et ça te ferait presque rire. et vue que tu m'as dépouillé la dernière fois, j'me disais que tu pouvais au moins me payer une bière. et tu ne t'arrêtes pas de parler comme si tu voulais brouiller les pistes de ton imposture flagrante. pour appuyer tes mots t'avalent une nouvelle gorgée, vidant quasiment le verre.

le destin a cet étrange sens de l’humour, alors qu’à mesure que les secondes s’égrènent, la situation s’inverse doucement. et c’est une légère surprise qui lui éclate sous la langue, nimbe ses papilles en gardant ce même regard impérial irrémédiablement accroché à la silhouette qui réveille tant de questionnements. cette même curiosité qui lui ronge les entrailles, et les quelques fragments de raison qui l’empêchent de le noyer sous le flot des interrogations qui lui carbonise la pulpe des lèvres rougies. mais elle reste stoïque, muscles engourdis par une tension qui se niche dans ses veines et s’y mélange dans une osmose presque convaincante. imperturbable, comme un arrière-goût de jeu qui recouvre le rance de la fortuité irritante qui l’avait glissé dans le sillon parfait de ses propres pas. elle ne croit pas en ce hasard qu’il suggère, et encore moins en ses semblants d’explications balbutiées d’une lèvre chevrotante d’hésitation. y’a cette lueur qui crépite dans le foyer de ses pupilles qui lui délivre la véritable couleur de son âme, et qui vient détruire le peu de crédibilité qu’il pense certainement avoir dans son mensonge. pourtant, elle est brusquement assaillie par l’envie de le laisser s’embourber un peu plus dans l’enchevêtrement piteux de la sournoiserie qu’il lui offre là sur un plateau doré. avec délectation, nouveau souffle tiré de la gitane subtilisée qu’elle garde au coin de la bouche, rejetant en une expiration disgracieuse les volutes fantasmagoriques de fumée dans son visage. qu’il sente, les effluves âpres du piège qu’il s’est tendu tout seul. t’es mignon. je vais passer outre ton côté psychopathe. c’est quoi ton prénom? bouche qui s’arrondit doucement à la commissure, tirée par cette hypocrisie épaisse qui lui irrigue les veines et ponctionne délicieusement chaque nouveau tressaut de son palpitant. elle se laisse devenir sulfureuse à outrance, le buste qui se penche vulgairement au dessus de la table pour venir se rapprocher un peu plus de lui, espérant silencieusement que son souffle s’échappe jusqu’à ses lèvres. tu sais si je payais un verre à tous les types que j’ai dépouillés, j’aurais absolument plus aucune thune. mais c’est demandé si gentiment, j’vais te payer ton verre. l’écho de sa voix faussement aguicheuse, à outrance, qui réduit un peu plus à mesure que sa phrase meurt dans l’air qui sépare leurs visages. à une seule condition… cette fois elle la laisse en suspens, conclut en laissant ses doigts venir effleurer les contours anguleux de son visage. elle se délecte bien trop du spectacle, d’imaginer pouvoir le berner, lui faire croire qu’il s’est gracieusement échappé de la situation périlleuse. et quand le silence est devenu bien trop pesant, c’est son pied enveloppé dans un escarpin atrocement élancé qui vient se glisser sous la table pour atterrir entre ses jambes et y appliquer une pression suffisante pour être douloureuse. au même moment, ce sont ses ongles qui viennent érafler l’épiderme qui recouvre sa joue. que t’arrêtes tes conneries et que tu me dises pourquoi tu me suis. le rideau qui se lève sur la courte mascarade, et la satisfaction acidulée de l’imaginer à sa merci et d’enfin avoir les réponses à ses questions qui tourmentent son esprit.