je te rêve (desi)

L'autre côté du trottoir, la vue imprenable. Elle est seule Deva, tout le temps, trop souvent, ça laisse des heures entières à y songer,  réfléchir et à rêver. Déambuler dans les rues en imaginant être aimé, et elle c'est son amie, lui c'est son père, ce type là-bas peut-être un cousin et cette fille, elle l'embrasserait bien. Alors elle leur sourit à tous, puisqu'elle les connaît, elle les rêve, elle les fait vivre. Ils ont à elle, ces bouts d'eux qu'elle vole et qu'elle façonne. Au détour d'une rue, elle voit sur un visage les traits inventés de sa mère, elle croit discerner dans l'éclat brun d'un œil-colère les mêmes nuances que celle d'une génitrice. Et elle rêve encore, et elle ne fait que ça. Elle observe encore, ses pas dans les siens, et elle imagine cette carrure qui ressemble à celle de sa mère aussi, plus masculine. Elle croit voir le même nez, quelque chose qui y ressemble. Et si la bouche est différente, c'est sûrement qu'elle tient d'un père différent du sien, mais tout le reste c'est elle. Elle sa mère. Elle deva. Et lui c'est un frère, pas vrai ? Et elle est seule, dev, elle s'ennuie et elle invente encore. Elle suit le garçon, grappille des bouts de lui, des détails qui renforcent le mensonge qu'elle bâtit. C'est facile de faire tout concorder quand y a que du vide pour tout créer. Et elle est là maintenant, devant le garage, sourire aux lèvres. Folie en tête. Les pas qui l'emmène, qui l'entraîne, bruits de pas sur le macadam, attiré par l'odeur de cambouis et la vision d'un homme. « c'est toi desi ? » il relève la tête, elle sourit. Pas certaine jusqu'à l'instant, elle avait entendu le nom de la bouche d'un type avec lui, qui le criait trop fort, l'air un peu con. Desi. Deva. Deva et Desi. Ca sonne bien, maman a bien choisi. folie « salut j'suis .. je m'appelle deva. » et lui aussi il doit l'entendre non ? Le D qui claque, chez lui chez elle. Et les yeux bruns. Et les oreilles. Juré qu'il le voit, elle y croit. on se ressemble non?, c'est ce qu'elle dit pas, ça. Elle la joue fine, elle paraît douce. Presque timide, jolie façade. Elle en baisserait presque les yeux et si elle pouvait, elle rougirait. « j'sais que tu me connais pas mais.. » elle bute sur les mots tout en sachant ce qu'elle veut dire, elle prend l'air d'une gamine. Vingt-et-un ans, mais aujourd'hui peut-être un peu moins. « moi j'te connais. ma mère, elle te connaît. j'veux dire, plus maintenant, t'es plus grand aujourd'hui, mais avant elle savait qui t'étais. » rire crispé et le silence. Effet dramatique t'es lady macbeth, femme qui mène l'homme là ou il doit être. Marionnettiste apprenti. Fin tragique annoncée. Elle achève la scène, en relevant le regard paupière voilées, enfant timide, menteuse perfide. « tu fais quoi avec cette caisse ? » entracte. elle laisse l'effet de la phrase précédente se diluer dans son esprit, elle joue doucement Deva, faut pas effrayer la proie, ni se faire bouffer d'ailleurs. elle dissémine les bombes, une à une, elle est pas pressée de toute faire exploser, des fois que ça marche pas, elle a encore la possibilité de savouré l'instant. pourvu qu'il dure et elle sourit, enfant, soeur, elle se penche vers la voiture l'air intéressé, le nez froncé devant tout les trucs qui s'enchevêtre là-dedans auxquels elle comprend rien. et elle fait mine de pas être là pour quelque chose d'important, elle joue comme si elle avait toujours eu sa place ici, qu'elle aurait du avoir le droit depuis longtemps de se pencher là et de l'entendre lui expliquer tout ça. elle y croit.