maybe this world is another planet's hell (gemma)

Si il était un putain d'étoile filante alors elle était sa comète. Parce que la guerre des étoiles commence au moment où elle se penche sur elle, venant déposer quelques gouttes de nuits blanches aux pensées noires dans le creux de son cou. Et comme un ballet ivre qu'ils ont répété cent fois, les mains et les bouches se trouvent. Sa bouche, il avait su dès la première fois qu'il oublierait pas sa bouche. Une promesse de l'infinie qui s'anticipe pas, un peu comme l'effet qu'elle lui fait. Lui le mec jamais impressionné, qui voyait le sexe comme une foutue performance artistique, pensait jamais approcher du chef d'oeuvre avec une nana qui si ça se trouve, connaissait même pas son nom de famille. Elle était une inconnue pour lui, et elle voulait le rester. Ce qui lui allait parfaitement, lui qui restait une énigme même pour ceux qu'ils connaissaient depuis toujours. Inaccessible, asocial, ténébreux. Da Vinci Code à Crescent Heights. On devine sans doute la pâte du diable à sa façon de poser son regard d'ambre sur les autres. Ceux qui ne comprennent pas. Puis il y a eu Gemma. Il voit ses yeux dans les siens. Même si elle fait tout pour le tenir à distance de coeur. Pourtant quand ils se retrouvent sous le clair de la lune, c'est comme si ils se connaissaient toujours. Putain de cliché de merde, le genre de trucs à la con qu'on dit dans les comédies romantiques pétées qui passent le dimanche soir sur le câble mais c'est réel. Pas besoin de parler, ses mains sur ses hanches, ses coups de reins, ses cheveux qui viennent lui caresser le visage et ses ongles qui s'enfoncent entre ses omoplates, tout ça commence à avoir un goût de routine outrancière. Il a la peau qui marque, et il sait déjà que de nouvelles striures bleues vont venir accompagner les autres violettes. C'est la seule qui a le pouvoir de déposer son empreinte sur son grain de peau lisse. Il sait qu'il a réussi là où certains ont échoué car elle ne lui donne plus d'ordres comme il lui arrivait de le faire au début. Lorsqu'elle dictait le rythme et l'enchaînement de leurs ébats, lorsqu'il était juste un putain de jouet sexuel au cheveux doux, la peau parsemée de grains de beauté. ce soir elle le suivrait presque entre deux râles et il est ravi de la faire danser dans ses draps de satin, tant qu'elle lui donne une once de confiance dans son océan de doutes et de préjugés à l'attention de ses paires. Leurs bouches ne se trouvent pas toujours durant leur union mais ce soir il a besoin de sentir qu'elle est là. Plus près...  C'est peut-être parce qu'elle sait que y'a rien qui bat là dessous qu'il a envie de s'aventurer en elle, ou tout au moins en terrain inconnu. C'est peut-être sa manière de s'agripper à ses épaules pour l'obliger à la satisfaire. La gorge sèche, la rasade de Jack après le tour de manège au pays de la déesse de Salm sera pas de refus mais pour le moment la seule chose à laquelle il pense c'est de repousser les limites de son monde. Là où il a pas le droit de l'imaginer, là où il n'a même pas le droit de l'effleurer. Mais c'est son âme qui entre en fusion avec la sienne, ce soir. Et Nikos aimerait bien dire que comme d'habitude, tout ça le plonge dans un trou noir. Que c'est le néant une fois de plus dans sa poitrine. Que la malédiction se perpétue. Mais ce soir, au milieu de ce trou noir. Il voit une lumière. Une lumière rouge, rousse. Choc d'astéroïde, respiration haletante, là où d'habitude il la laissait dévaler sur le côté pour la laisser se rhabiller, il la garde dans ses bras. Serrés et entrelacés, la dernière seconde de leur jouissance comme figée. Son coeur fou furieux cherche l'issue de secours tandis qu'il démêle ses cheveux d'une main distraite afin de l'y déloger sans lui arracher un cri de douleur. Il voit le reflet de sa chevalière dans sa crinière rousse tandis que tout redevient à la normal. Si tant est que là où ils se trouvent et ce qu'il vient de se passer peut être considéré comme normal. Peut-être que ça l'était tout compte-fait dans le monde qu'ils s'étaient créé. Là où leurs âmes se rejoignaient. 

Ça lui arrive de laisser ses pantins dormir dans son lit. Quand il est trop tard, quand elle est trop crevée, quand elle n'a simplement pas le courage de mener une bataille et d'essuyer quelques insultes - franchement ironique, à quel point les mecs exècrent être traités comme ils aimeraient pouvoir traiter les filles. Elle s'en contrefiche Gemma, parce que ça n'engage à rien. Parce qu'elle ne croit pas en l'intimité. Du moins pas en celle-là. Les murmures dans les bras de Nora, voir Kitty porter ses fringues, les regards hermétiques que Cece et Riley se glissent en permanence, là-dedans y a un truc qui transcende, une spiritualité, une preuve d'allégeance. Deux corps nus sous les draps, c'est pas de l'intimité, c'est pas de l'amour, c'est ni beau ni grand, c'est à peine biologique, une réponse à un appétit, quasi médicinal. Gemma choisit de dormir seule davantage par confort que par principe. Une nuit avec un mec, ça a rien de dramatique, c'est tout juste incommode parce qu'un mec c'est des angles et elle préfère se lover entre les courbes de ses filles, mais ça n'a rien d'insurmontable. Sauf Nikos, son exception à tout, le 'cherchez l'intrus' de ses habitudes. Elle s'est endormie une seule fois près de lui et, depuis, oeuvre sans relâche à effacer cette nuit de sa mémoire. Parce que cette gamine frissonnante qui se blottit entre une paire de bras, c'est pas elle. Celle qui s'extirpe précautionneusement d'une emprise pour ne pas réveiller son geôlier, pour que celui-ci ne s'aperçoive surtout pas qu'elle s'est laissée prendre au piège, c'est. pas. elle. Ça l'a rendue malade. Ce jour là, observant le soleil se lever depuis la banquette arrière du taxi qui mettait de la distance drastiquement nécéssaire entre Nikos et elle, elle s'était juré ne jamais y retourner. Dans ce pub, dans cet appart, dans ce lit, dans ces bras - jamais. C'était le trop dont elle avait besoin, l'écoeurement qui allait lui remettre les idées en place, l'arracher à sa folie passagère. Elle avait tenu bon, silence radio plus long que d'habitude, mais putain, il lui suffisait d'entendre une voix grave pour penser à ses lèvres, et elle avait besoin d'en parler aux filles mais bien sûr c'était totalement impossible car cela signifierait blesser Cece et Gemma préfèrerait s'immoler sans cérémonie plutôt que faire du mal à ses amies, et le simple fait d'imaginer à quoi ressemblerait le visage de Cece si elle l'apprenait lui obstruait la gorge et l'ironie de la chose, c'est qu'habituellement, quand elle avait un goût d'amertume à effacer de sa langue, elle allait droit à Nikos. Elle avait tenu bon, jusqu'à ne plus tenir du tout. Tant que ça reste leur secret, personne n'en souffre. En théorie. Mais cette fois, il garde ses bras autour d'elle, et elle est paralysée. Il a une main dans ses cheveux, leurs bouches sont si proches que si elle tourne la tête de quatre centimètres, elles se rejoignent et elle n'a même pas le temps de réfléchir qu'elle en a déjà traversé trois et - "non" elle se sent à l'étroit dans sa propre cage thoracique, elle a envie de crier, de hurler jusqu'à en décrocher son coeur erratique, qu'il lui glisse hors des lèvres et roule sur le tapis, là où elle pourra le piétiner en s'arrachant à Nikos. "Non non" elle le repousse "non" est sur ses pieds "non non non" traverse la chambre "non non" attrape son kimono carmin drapé autour d'un fauteuil "non non non non" et l'enfile, soudain pudique, comme si la vulnérabilité pouvait se médiquer avec un peu de tissu et toute la distance qu'offre la pièce. "Non !" Ce sera un putain de coup à son ego, mais si elle joue ses cartes correctement, elle peut gagner cette partie contre sa propre faiblesse. Elle peut le chasser, le faire fuir, scinder cet élastique qui la ramène inlassablement vers lui une bonne fois pour toutes. "Si c'est ça que tu veux, tire-toi. Traverse l'allée. Ma patronne serait ravie d'avoir quelqu'un contre qui se blottir la nuit. Elle est un peu plus âgée que les filles dont t'as l'habitude, mais finis ta bouteille et t'y verras que du feu." Y a du poison dans chaque mot, le venin lui dégouline sur le menton et peut-être, peut-être, que ça suffira à cacher le tremblement dans sa voix.

Parce que Gemma, c'est ça. C'est le moment où tout semble parfait qu'elle glisse le doigt de la cruauté dans les rouages de la mécanique de leurs âmes. Gemma c'est le regard de feu qui se transforme en glace au moment où deux mondes se croisent, l'iceberg imprévu dans la trajectoire. Inévitable. Mortel. Celui qui nique tout sans se préoccuper du programme établi. Son cerveau n'a même pas le temps d'intégrer ce qui est en train de se passer qu'elle s'évanouit de ses bras, dans un tableau de soie et d'Asie. Le privant injustement du spectacle pour lequel il serait sérieusement prêt à se damner si elle le laissait. Difficile de masquer son étonnement, qui se traduit chez Nikos par un imperceptible haussement de sourcils. Il la regarde s'agiter, l'invectiver, se débattre comme un beau diable. A la recherche du moindre indice. Comment ? Pourquoi ? Ses prunelles sombres suivent ses mouvements dans la chambre tandis qu'il essaie de se rappeler l'élément perturbateur logique qui a déclenché une telle réaction. Incrédule, il la regarde s'exciter, lui proposer autre chose, ailleurs. De l'autre côté de l'allée. Quelle ironie. Il est tenté de se lever et de se barrer. C'est sans doute ce qu'il aurait fait si c'était une autre. Si ce n'était pas elle. Un tas de trucs qu'il ferait et qu'il ferait pas, si ce n'était pas elle. Nikos est insensible au sentiment de rejet, en revanche l'impulsivité l'agace. Un comble pour un homme capable de briser une vie pour un sentiment mal géré. Gemma, arrête d'agir comme si je t'avais demandé des gouttes de ton sang. Il se rhabille, lentement, l'incitant à saisir que chacun de ses actes entrainent des conséquences et que la conséquence va la laisser dormir seule ce soir dans sa chambre noire. Il se demande pourquoi elle lui fait ça, lui qui ne demande rien, lui qui ne fait que la suivre. Lui qui demande juste de l'avoir un tout petit peu plus près quand elle avait envie de partir si loin. Qu'en réponse à son coup de folie, elle a le droit à son mépris. Il sait qui est sa patronne, il sait pourquoi elle dit ça. Elle ne se doute même pas de tout ce qu'il sait qu'elle ignore et c'est peut-être mieux ainsi, car qui aurait envie d'un mec comme lui ? Ce que Gemma ignore et qui aura vite fait de consumer les restes d'une idylle avortée, c'est qu'avant qu'elle vienne se perdre dans l'appartement au dessus du Roaring Lion les nuits de pleine une, c'était qu'il facturait 400 dollars la nuit dans ses bras. 700 quand le compte en banque derrière suivait. Elle avait pas idée du nombres d'amies de sa patronne qu'il s'était tapé pour espérer pouvoir récolter une somme conséquente pour se tirer loin d'ici et réaliser des rêves de gosse, dont il ne lui parlerait jamais à voix haute. Il repense à l'argent facile. Au contact rémunéré. Peut-être qu'elle mérite, qu'il lui balance son sale petit secret. Qu'il soit désormais deux à le porter. J'fais payer pour ça. Elle le prendra comme elle voudra, il lui laisse le choix. Même si c'est sa croix. Son ton plat et placide, en dit trop ou pas assez. Du sarcasme. De l'humour ou pas, il connaissait les rumeurs qui courait à son sujet. Du moins dans le milieu. Peut-être qu'elle en avait eu vent. Il en doutait, sans quoi il ne serait sans aucun doute pas face à elle ce soir. Elle n'accepterait jamais de passer après les autres. Il se relève, lui fait face, la regardant de son mètre 90 passé. Bien malgré lui, il lui rappelle que son égo peut être immense, elle sera toujours ce qu'elle est face à lui. Menue et fragile. Il la regarde, aucune expression sur le visage. Pas l'ombre d'une provocation alors que l'envie pointe.  J'me tire alors ? Je te laisse seule dans tes droits de satin te féliciter d'être une amazone qui a pas besoin de quelques baisers pendant qu'elle baise ? Puisqu'apparemment ça t'excite de me traiter comme une merde. La prochaine fois, tiens moi au courant. Je t'envoie mon pénis par UPS. Il cherche ses chaussures du regard, ses putains de Timberland encore trempées par la neige et les enfile le plus calmement du monde. Laissant à Gemma tout le loisir d'explorer les méandres de son esprit où une répartie tordue et aiguisée n'attend que de frapper. Hors de question de trahir la moindre émotion, puisque c'est de ça dont se nourrit la femme vampire qui vient de lui rappeler une fois encore à quel point elle n'avait pas besoin de lui.

Acculée dans le coin de la pièce, les poings serrés, elle est devenue, entièrement par sa propre faute, une proie dans sa propre jungle. Elle a les griffes, les dents, les mots, la thune, la détermination, le venin, l'énergie du désespoir et malgré son arsenal, elle ne s'est jamais sentie aussi faible. Et il est con, Nikos, ou aveugle, parce qu'elle lui donnerait des gouttes de sang, des litres, elle se saignerait à blanc sur son autel sacrificiel plutôt que de concéder un millimètre d'indépendance, son seul véritable trésor, la seule possession à laquelle elle accorde la moindre valeur. La seule qui soit à elle, rien qu'à elle, entièrement sienne et, une fois rompue, ne pourra jamais être récupérée. Il ignore ce qui se joue dans cette chambre. Il ne peut pas le savoir. Aucun d'eux ne le peuvent, sa parade des ignorants heureux. Habituellement, c'est tellement facile de se séparer d'eux. De réclamer sa solitude. Un revers de main, comme on chasse un insecte d'une épaule. Ils ne sont que des figurants de l'histoire d'amour entre Gemma et la nuit, une narration plus grande qu'eux. Sauf que là, tout à coup, avec lui, elle se sent toute petite. Alors elle réagit comme le ferait toute créature terrestre dans la même situation, elle enclenche le protocole de défense. Chez elle, ça donne un regard vide, glacial, fixe. Un port de tête arrogant qui, malgré son mètre 67, donne l'impression qu'elle te regarde de haut. Les dents serrées, faisant saillir sous la peau laiteuse une mâchoire sur laquelle tu pourrais fendre un diamant. J'fais payer pour ça. Elle ne le gratifie même pas d'un ricanement méprisant, car il est en train d'enfiler son t-shirt et plus vite il s'habille, plus vite il se barre, et si elle reste silencieuse, absolument silencieuse, elle ne risque pas de prononcer les mots de trop, ceux qui, dans leur férocité, garderont Nikos ici car il voudra laver l'affront. Elle ne se fait pas confiance à elle-même lorsqu'elle est avec lui. Elle ne lui fait pas confiance à lui, jamais. Elle est muette. J'fais payer pour ça, ha-fucking-ha. Le t-shirt de Nikos tombe en place, couvre son nombril, ils relèvent le regard au même moment, Gemma rencontre ses yeux et y lit un truc tellement reptilien, tellement blessé et débordant de dégoût qu'elle fait malgré elle un pas en arrière. L'impression d'avoir essuyé une gifle est tellement nette que sa joue droite s'échauffe. "T'es - t'es sérieux ?" Le ton est faible, terrorisé. Son dos s'enfonce douloureusement dans la poignée ouvragée de la porte et elle sait. Que tandis qu'elle cherche à le blesser avec des mensonges, il la blesse avec la vérité. Il noie le poisson, lui balance quelques sentences qui passent complètement inaperçues puisqu'elles sont assumées, mais elle n'écoute même pas. N'enregistre rien. Il lace ses pompes et elle étouffe. La poignée s'imprime entre ses reins, et elle s'y presse encore un peu plus, comme si elle voulait passer au travers, comme si contre le mur ce n'était pas suffisamment loin. "Elle le sait ?" Peut-être qu'elle devrait se sentir choquée. Jalouse. Trahie. Peut-être que ça viendra - sauf que tout indique que non, qu'elle est bien trop progressiste pour être froissée; anti-puritaine, elle n'a de comptes à rendre à personne au sujet de son tableau de chasse et a la décence d'étendre la courtoisie à l'entièreté de la race humaine. Et si elle n'en a jamais fait personnellement l'expérience, elle l'a vu de ses propres yeux, elle connaît la solitude affûtée de ceux qui doivent faire ce qu'ils doivent faire pour s'en sortir. Elle juge pas, pas ça, jamais ça - elle déglutit. Effrayée. Terrorisée à l'idée qu'il ajoute un secret à ses épaules alors qu'elle a déjà les genoux qui flanchent. Quand Gemma dit 'elle', ça ne peut être qu'elle, Cece, l'éléphant dans la pièce aux allures de ballerine, l'obstacle entre eux, plus efficace que la rage de Gemma, plus épais que la distance qu'elle s'obstine à maintenir intacte. Elle s'acharne à rester contre la porte et, dans un éclat de lucidité amère, reconnaît la perfection de l'image. Paradoxe dans une chambre sombre : elle veut qu'il soit loin, mais lui barre la sortie.

C'est presque si il voit pas son orgueil enlacer sa rage et danser dans l'obscurité de la pièce. Ca lui rappelle que le sexe n'est rien, que le sexe est sur-côté. Que c'est parce qu'il plonge dans ses jambes qu'elle va lui ouvrir la porte de son coeur, bien au contraire. Plus il la fait jouir et plus elle le rejette, un peu comme lorsqu'on essaie de faire adhérer deux aimants aux forces contraire. Plus sur Moins. Moins sur Plus. Et impossible de se rencontrer là où pourtant on aimerait s'attacher. Il est habillé maintenant, et à quelques pas de la porte, il compte bien la laisser cette fois-ci et surtout ne pas revenir. Il est prêt à ne plus décrocher, à l'ignorer quand elle se pointe au pub avec ses lèvres carmins et ses ongles manucurés. Sauf qu'elle place le Elle. Le joker. Le pourquoi il éteint ses phares lorsqu'il passe la chercher, le pourquoi elle s'appelle pas Gemma sur son téléphone mais Red. Le pourquoi il n'avait jamais tenté d'arranger les choses après leur grosse dispute jusqu'à ce qu'elle l'appelle à l'aide parce qu'une fois encore son frère s'était comporté comme un bâtard. Il est stoppé dans son élan, et le mec imperturbable se retrouve perturbé. Non, pourquoi elle le saurait ? Il réponds presque un peu trop vite, un peu trop nerveusement. Trahissant toute la nervosité dont il peut faire preuve lorsque les choses se compliquent censément, invoquant des noms qu'il n'aime pas prononcer. Ils ont tous les deux gros à perdre. Cece est une partie de sa vie, de son histoire. Cece est celle qui n'oublie jamais l'anniversaire de la mort de sa mère et qu'il arrive à supporter dans son périmètre rapproché plus de trois jours d'affilé. Il a une idée de la relation qu'elle entretient avec Gemma parce qu'il a entendu parler plus d'une fois. Gemma était LA mauvaise idée, la mauvaise idée qui était arrivée quand il ne parlait plus à Cece et ne voulait pas la voir. Elle s'était encore amusée à le provoquer, une histoire de danse au Sinner qui l'avait mis dans une colère noire. Puis il y avait eu Gemma. Elle ne peut pas demander ça par hasard, le cerveau de Nikos se met à tourner comme une toupie. Pourquoi tu me parles d'elle ? Ton agressif, parce qu'il sait qu'elle aussi à quelque chose à perdre si jamais elle en parle. Quoique ? Ne pouvait-elle pas comprendre comment sa meuf sûre et son grand frère d'une autre mère s'étaient trouvés ? Peut-être qu'elle savait qu'ils s'étaient réconciliés et que le problème venait de là. Non, impossible. Ca signifierait qu'elle était jalouse. Pour être jalouse, il fallait avoir un coeur. Aucun risque pour Gemma. J'suis passée chez elle la semaine dernière, on s'est réconcilié. J'ai pas parlé de toi. Il la rassure, et il en attends de même de sa part parce que putain, il sent son coeur battre à ses tempes. Si jamais elle était amenée à le savoir, tout se compliquerait. Jusqu'ici c'était facile pour lui puisqu'il ne lui parlait plus, puisqu'elle ne faisait plus partie de son quotidien, bien qu'il lui arrivait d'apercevoir sa silhouette en ville. Mais les règles avaient changé depuis le soir de la semaine dernière où il avait passé sa porte. C'était peut-être pour ça que Gemma agissait comme une psycho ce soir, le malmenant de but en blanc. C'est pour ça que t'es odieuse ce soir ? Parce que t'as peur qu'elle nous grille ? Je croyais que t'avais peur de rien toi ? Le mal est fait, c'est trop tard pour paniquer. Ca l'énerve, parce qu'il se sent obligé de rester pour en savoir plus alors qu'elle mériterait qu'il se casse sans se retourner. Mais si ça concerne Cece alors il doit savoir. Il doit savoir la sentence qu'elle pourrait lui infliger pour avoir toucher à une des membres de son squad aka ses raison de vivre plus ou moins. Puis merde il a pas tort, c'était trop tard pour s'en inquiéter. Ce n'était pas arrivé une fois. C'était arrivé régulièrement. Elle ne pouvait pas l'ignorer, elle ne pouvait pas l'effacer. C'était vain comme une tentative de la faire ployer.

Même dans l'obscurité, ça saute aux yeux. En prononçant le pronom à éviter, Gemma a déchiré leur tissu d'illusions. Elle. Elle n'a fait que dire 'elle' et tout part déjà en fumée. Elle se demande ce que le prénom, quatre petites lettres à peine, leur ferait. Toute cette conversation, ce conflit cliquetant, a le goût des dernières fois. Ça ne devrait pas être amer. Elle devrait être soulagée. C'est ce qu'elle voulait tout du long, elle se l'est certainement suffisamment répété, elle en a souvent informé Nikos. Ils avaient une date de péremption  dès le départ. Ils le savaient. Lorsque son précieux compartimentage s'effriterait, c'était fini. Il est habillé, il est debout, elle devrait se contenter de faire un pas sur le côté. Le laisser sortir. Lui réserver le même sort qu'à tous les autres : saluer ses épaules qui s'éloignent, cligner des yeux, l'oublier. Il est tard. Elle ne veut rien tant que voir arriver la fin de cette nuit en dents de scie. Elle veut se réfugier entre les draps, oublier Koch, Nikos, le Château Regent et le Roaring Lion, laisser les bribes de souvenir se dissoudre dans le goût vodka-Jack-déception qui lui tapisse la gorge. Sauf que le queen-size de Gemma aura son empreinte à lui, son odeur masculine, délicieuse et détestable, et putain comme elle s'en veut d'avoir été aussi faible. Tout serait plus simple si ce n'était pas ici. Il est tellement sur la défensive que ça en serait absolument hilarant si ce n'était pas aussi injurieux. Elle darde un regard incrédule sur lui. "Tu crois que je te menace ?" Un coup en pleine poitrine. Comme si Cece était une commodité, utilisable quand ça l'arrange. Comme si leur amitié était autre chose que sacrée. Parce que ça lui paraît être la seule réaction cohérente, Gemma laisse échapper un rire mauvais, reptilien. Il résonne dans l'obscurité longtemps après que ses lèvres se soient closes, laissant un tapis de dédain tomber sur la pièce. Les mots sont froids, secs, percent l'air entre eux. "T'as pas le droit de me lâcher une bombe pareille. Encore moins si elle l'ignore. J'en veux pas de ton secret. Les filles sont mon monde entier. T'as pas le droit. Je suis pas en train de te menacer. J'ai plus à perdre que toi." Parce qu'elle n'est pas aussi autosuffisante qu'elle le donne à penser, Gemma. A vrai dire, elle ne l'est pas du tout. Sa belle indépendance est artificielle, ne s'adresse qu'à la gente masculine. Depuis la naissance, elle a toujours vécu et survécu à travers ses cocons duveteux. Ses mamans, autrefois. Ses soeurs, à présent. Elle qui est restée à Crescent Heights pour elles et seulement pour elles. Gemma aime tout ce qui brille, et les néons de la capitale n'étaient simplement pas assez lumineux pour rivaliser avec les étincelles qu'elles créent ensemble. La tournure qu'a pris cette conversation est surréaliste, Gemma n'a aucune idée de comment, alors qu'il a confessé louer ses bras aux plus offrantes, elle en est arrivée à se justifier, elle. Elle en a trop dit - avec ces quelques mots insignifiants, elle lui a montré bien plus qu'en abandonnant sa robe de cocktail au pied du lit. Alors elle fait ce qu'elle fait toujours, elle piétine la vulnérabilité, offre un sourire mécanique, comme une provocation qui dévoile les crocs. "Réveille-toi chéri, je suis toujours odieuse, et tu savais parfaitement dans quoi tu mettais les pieds dès le départ. Je t'en prie, va te trouver une meuf docile, celles qui plaisent tant à ton père, mais viens pas me voir quand tu te feras chier." Parce que précisément, Gemma, celle qui donne l'impression de n'avoir peur de rien, ongles tranchants et mots pointus, elle a peur de tout. De lui, d'elle-même lorsqu'il est dans la pièce, des hommes, de la cruauté primitive qu'ils réveillent en elle, de la bouteille de Jack sur la table de nuit, de blesser Cece, de la perdre, que Nikos l'oublie, qu'elle ne l'oublie pas, du matin, de ses draps, qu'il s'en aille, qu'il reste, elle a peur d'avoir mal, elle a peur d'avoir peur.

La situation lui glisse complètement entre les doigts, il peine à comprendre ce qu'il se passe tandis que Gemma tourne et retourne ses pensées dans un ballet infernal. Elle aime jouer aux auto-tamponneuses, mais elle est sur le point de perdre au jeu du frontal. Car Nikos est hermétique au jet d'acide de Gemma, pourtant bien lancé. Pourtant bien tenté. Mais il ne dansera pas avec elle sur cette piste-là. Ses paroles sont décousues, elle met des mots dans sa bouche qui n'en sont pas sortie et porte le blâme sur lui comme si il n'y avait pas la notion fondamentale du consentement entre deux. Il se passe la main sur le visage, se demande comment il va faire pour ne pas perdre son calme alors qu'elle le provoque à chaque fois qu'elle ouvre la bouche. Foutue elle. Avec ses yeux de biches et ses cheveux parfaits, sa peau diaphane et son parfum qui rend zinzin. J'suis pas en train de te lâcher une bombe, je t'annonce juste qu'on se reparle et qu'on se revoit. Il comprend pas quel est son problème, il vient de dire qu'il ne dirait rien : que voulait-elle de plus ? Révéler à Cece ce à quoi ils s'étaient livrés apporteraient son lot d'ennui, Nikos fuyait le compliqué. Aucun intérêt. C'est là que la raison la quittait, lorsqu'elle l'invectivait de la sorte, détachant chaque syllabe pour bien verrouiller la cible, qu'elle lui faisait perdre toute notion de logique. Elle était forte pour ça, elle mordait partout, minutieusement, tel un vampire assoiffé de sang dans le but que le poison se propage tellement rapidement dans votre corps que vous ne vous rendiez compte de rien. La pire des manières de le faire s'accrocher. Foutue elle. La suite de ses propos le laisse perplexe, cette fois-ci le beau grec ne peut s'empêcher d'éclater de rire, glisse sur le sous-entendu graveleux qu'elle fait sur son père pour mieux répondre à tout ce que sa répartie stupide implique. Elle paniquait. Elle paniquait totalement et le pire, c'est que ça lui plaisait. Son manque de cohérence trahit sa faiblesse, voilà ce que pense Nikos alors qu'il formule déjà sa réponse qui fuse sur un ton taquin, quasi-moqueur. Putain mais je rêve ou t'es vraiment en train de réagir comme si c'était moi qui te jetait ? Elle ne sait pas ce qu'elle veut, il sait qu'il la veut elle. Et c'est peut-être ça le problème, elle attend une réaction différente alors qu'il a toujours été le même. Il n'a pas signé pour ça, et elle non plus. Pourtant les y voilà. Il a envie de la secouer, qu'elle reprenne ses esprits, qu'elle arrête de dire de la merde mais il voit mal comment rattraper tout ce qu'elle vient de lui déballer, la reine des enfers avait lâché ses chiens et ils venaient lui mordre les chevilles avec tout la cruauté dont la répartie de Gemma était capable. Cette fois-ci, il la contourne. Il se rapproche de la porte, lance un regard plein de regrets à la bouteille de Jack qu'il s'était vu s'enfiler lorsque son père avait commencé à le chauffer quelques heures avant. Il pose la main sur la poignée de la chambre. Il était le mec le plus inoffensif de tout son entourage et elle le traitait de la pire des manières. Cece était un prétexte, même un aveugle pouvait voir l'éléphant dans la pièce.  T'es prête à passer la nuit seule avec tes regrets ? J'aimerai vraiment pas être à ta place. Reviens me chercher quand tu te seras souvenue de qui je suis et pourquoi on est là, quand t'auras terminé de prendre Cece comme excuse pour me faire reculer. Si j'avais voulu te faire mal Gemma, j'aurais pas procédé comme ça. Il lui laisse le temps de répondre, il soutient son regard, un ange passe et lorsqu'elle ouvre la bouche pour lui répondre il décide que c'est assez et claque la porte de cette nuit dans ses bras avortée. Là où ils auraient pu tout simplement s'unir jusqu'à l'aube sous la voie lactée.