reed ) les nuits du papillon.

Ça l'arrange qu'il tire vite son coup, qu'il monte en puissance immédiatement. Cela lui permet de ne pas rester trop longtemps dans cet état, de retomber plus vite dans la normalité de son corps sans cesse sur la défensive, mer calme dissimulant dans ses eaux troubles des monstres vicieux à qui elle ne laisse pas le droit d'avoir le dessus. Salope radioactive, une part de Sin savait que jouir le ferait venir plus vite, qu'il ne profiterait pas plus longtemps de son être et viendrait entre ses chairs comme si elle n'était qu'un sac dans lequel on se vide. Humain poubelle qui accepte les déchets qu'on lui offre et qui les garde pour la plupart en elle. Ses yeux s'ouvrent sous son baiser qu'elle ne lui rend jamais. La gamine apprécie son silence, le bruit de sa respiration saccadée contre son épaule et finalement sa carcasse qui l'abandonne pour la laisser respirer. Ses poumons reprennent en oxygène. Organes en vrac, elle se redresse pour les remettre à sa place, retrouve son visage impassible. Sinéad attrape une clope, l'allume et se redresse mollement des draps. Son t shirt lui sert de robe lorsqu'elle le rejoint dehors, des traces de lui entre ses cuisses. Elle ne réfléchit pas au reste, aux complications, au genre de surprises que l'on pourrait se choper à jouer avec le feu sans se soucier des conséquences.

Ses coudes se posent sur la rambarde tandis qu'elle se penche jusqu'à poser son menton sur son bras. L'autre se contente de faire l'aller et venu jusqu'à ses lèvres pour qu'elle puisse fumer. Aussi calme de la nuit, ses mots résonnent dans sa tête alors qu'elle fixe l'eau sans essayer de le regarder. Sin se fiche bien de son regard à l'heure actuelle, de ce que son visage peut bien dire. Elle sait que Reed la prend pour une conne, elle tente même pas de démêler le vrai du faux ; elle s'en branle, sans mauvais jeu de mots. Et toi t'es con quand t'essaies d'être un autre. Taylor qui la complimente, elle en ressent du dégoût, c'est plus fort qu'elle. S'il y a bien quelque chose qu'elle ne supporte pas, c'est ça, qu'on joue à être un autre là où elle est plus vraie que nature. Sin n'a rien d'une biche effrayée par ses chasseurs, elle est la bête qui relève la tête au milieu des broussailles, qui pose son regard noir sur celui qui la veut sans se défiler, elle se laisse transcender par la tension quitte à en perdre une grosse partie d'elle.

Les nuits du papillon
@Sinéad Harris & Reed Taylor



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Ca ressemble à ces films à l'ancienne où le flic et sa pute fument leur clope après la baise, tellement que tu souris quand elle te traite de con. Duquel elle parle, quand elle parle de l'autre ? Du gamin perturbé qui l'embrasse pour la remercier où du sale con qui la baise alors qu'il lui dit que ça n'ira jamais plus loin ? Ce qu'il y a de bien à ne pas se connaître, c'est qu'on ne connaît pas tous les démons composant l'autre. Aussi certainement que tu n'imagines pas la moitié de ce qu'elle pense, Harris ne devine pas que tu es sincère quand tu lui parles et cela te convient très bien. Tu préfères qu'elle ne te prenne pas au sérieux quand tu déconnes comme ça, à lui dire des choses qu'il vaudrait mieux éviter pour qu'aucun malentendu ne s'instaure. Être clair sans l'être, cela ne te ressemble pas. Tout comme ramener une fille là où tu vis non plus, à vrai dire. Il faut croire que celle-là te fait faire les choses de travers. C'est certainement comme ça qu'elle ébranle ses autres prétendants : Harris fait trembler les fondations ; insinue le doute et la suspicion dans les échanges. Sa franchise est superficielle, sa sincérité également. Derrière tout ce qu'elle donne, elle cache tout ce qu'elle prend et cultive l'art de la mystification comme personne. Cette fille est trop compliqué pour toi. Fumer une clope avec elle et la laisser prendre appui sur ton épaule, c'est tout ce que tu as a lui offrir. Basculant la tête en arrière, tu regardes la lune, l'esprit beaucoup plus clair qu'il ne l'était lorsqu'elle est venue se mettre à poil au commissariat. Libéré de tes tensions, tu te montres plus bavard, alors que tu sais qu'elle préférerait que tu la fermes.

- Toi non plus t'aimes pas les compliments ... Un rapace nocturne hulule, le chien bouge dans les bosquets, la fumée des cigarettes devient des nuages dissimulant le ciel sans étoiles. Une étendue noire comme ton âme, vide comme la sienne. Pourquoi t'es venue, ce soir ? Tu veux l'entendre mettre des mots dessus. La forcer à parler. Au delà de cette histoire de lettre qui ne justifie pas qu'elle attende d'être seule avec toi et loin de tous pour en faire mention. Ca n'a rien de sadique, on ne peut même pas parler de curiosité malsaine. Il y a dans ta question le même genre de bienveillance que dans son front contre le tien et ses doigts qu'elle avait passé derrière ta nuque pour t'inviter à la sauter.

Qu'est-ce que tu veux répondre à quelqu'un qui demande la vérité ? Et si elle lui disait qu'elle a mieux dormi sur le par terre de son bateau à deux balles que dans le lit de sa chambre au milieu de night falls ? non, c'est pas son but de se tirer une balle dans le pied. Dans la famille, bien sûr qu'ils aiment les armes mais Sin n'a jamais voulu qu'on lui en pointe une dessus. Les hémorragies, à moins d'être médecin, tu peux pas les arrêter. Elle laissera pas Taylor avoir raison d'elle. Elle préfère s'acharner sur sa clope et ses cauchemars. Son regard cherche le chien sans le voir, fantôme de la nuit qui grogne et court après des bestioles qui n'ont rien demandé. Le froid l'enivre, elle pourrait s'endormir dans cette position si la question du flic ne résonnait pas en elle. Chaque part de son corps est un echo. Sinéad pourrait être répétitive, lui demander pourquoi il l'a ramené ici. Elle hausse les épaules, son t shirt flottant dans chacun de ses mouvements. L'orpheline se recule de lui, tire une autre latte sur sa clope alors qu'elle profite de la vue qu'elle ne risque pas de revoir avant longtemps. C'est comme être en vacances ; elle y a jamais été mais se dit qu'elle se sentirait comme ça, le foutre en moins. Même celles d'été, elles les passaient dans le ranch de son oncle. Certains l'enviaient mais elle servait juste à s'occuper des bêtes. Là aussi, elle paye le voyage en se faisant sauter, sans capote qui plus est.

Ecoute ... Elle parle avec agacement. Non, fatigue, c'est plus juste, lassée de devoir se justifier. J'ai enregistré, ça n'ira pas plus loin. Arrête d'être terrifié. Mais si tu veux mon avis, si t'étais si sûr de toi, t'arrêterais de poser des limites. Sinéad redresse ses yeux de gosse sur lui, elle est colérique, prête à exploser, à lui en vouloir réellement cette fois. Reed est en train de rendre les choses compliquées alors qu'elles pourraient se passer de réponses. Mais puisque t'y tiens. La nuit la fait plus parler que la normale, elle se dévoile, belle de nuit qui craint les rayons de soleil parce qu'ils mettent en éveil ses blessures et tout ce qu'elles dégagent. Je suppose que je suis venue pour les mêmes raisons que toi l'autre soir. C'est ça mon alibi. Elle utilise son langage, reste là, bien droite, à quelques mètres de lui. Sin sent les minutes la frigorifier alors qu'elle frictionne ses bras de ses mains. Lui parler, c'est perdre du temps et de l'énergie. Si elle commence à s'y essayer, cela finira par se retourner contre elle. C'est ça quand on est une gamine, qu'on a pas encore eu le temps de vieillir pour être respectée : on te pointe du doigt. Alors elle se la ferme, parce que même accusé, le vide reste transparent.

Les nuits du papillon
@Sinéad Harris & Reed Taylor

Tu ne comprends pas et te demandes comment elle peut te reprocher d'être terrifié tout en refusant d'admettre que tu l'es. Refus de l'admettre parce qu'un homme ça n'a pas peur, c'est écrit dans tes gênes, répété depuis le berceau par l'image d'un père qui n'était pas encore un déchet et enfoncé dans ton crâne au fil des années passées auprès de ceux que les civils appellent : " les sales jeunes du foyer social ". Là bas, les faibles étaient les proies des forts. Catapulté dans l'univers des familles d'accueil sans autre point de repère que ta propre personne, tu n'as pas eu le temps d'être malheureux et de pleurer sur ton sort. Une solitude noyée dans la multitude de celles des autres gamins de ton âge sans parents et sans éducation. Des chiens sans collier et sans maîtres. Surtout sans maîtres. Libres d'être violents entre eux et donc bien conscients que la peur est le début de la fin. Reed Taylor n'a peur de rien, c'est une question de survie, depuis toujours.

L'incompréhension quant à elle est due au fait qu'avec son passé et ses blindages, Harris devrait savoir mieux que quiconque pourquoi tu insistes à ce point. Si tu mets des barrières, ce n'est pas par manque de confiance en toi. C'est au contraire parce que tu es parfaitement au clair avec ça : les femmes de flics, ça se fait tuer. Casser du criminel à longueur de journée, c'est mettre toute sa famille dans le viseur. Voilà probablement pourquoi tu n'en as pas et ne cherches pas à en avoir. Tu t'attendais à ce qu'elle comprenne, à défaut de partager ton point de vue. Sa famille, elle l'a perdu comme tu as perdu la tienne ; elle sait le vide que laissent les morts derrière eux et a seulement choisit une autre route que la tienne pour le combler. T'avais vraiment l'impression de baiser une tombe avant qu'elle ne te jouisse entre les doigts, redistribuant les cartes. Voir ton foutre couler entre ses cuisses tandis qu'elle te gronde du regard ne peut que t'inquiéter quand au tournant malsain qu'est en train de prendre votre relation. Vos raisons n'ont pas besoin d'être bonnes pour vous envoyer en l'air, tu lui concèdes volontiers, mais tu aimerais qu'elle ne te tracasse plus l'esprit comme elle le fait encore lorsqu'elle te renvoie à ta visite chez elle. Instantanément, tu te renfermes, plus sombre et moins rêveur, véritable oursin brandissant ses pics contre une ennemi qu'il n'atteindra de toute façon jamais puisqu'il s'agit de lui-même. Par son revers, Sin met en lumière tes motivations : cette inquiétude que tu avais eu pour elle, ce besoin de passer t'assurer qu'aucun autre coquard n'était venu remplacer le premier autour de son oeil ... Pris au piège de ce que tu que tu as préféré ne pas lui avouer cette nuit là, la laissant croire si elle le voulait que tu n'etais là que pour son cul, tu te retrouves à jeter ta clope à moitié fumée dans l'eau tout en haussant les épaules de la même manière qu'elle, décrochant définitivement de la conversation en retournant dans la cabine. Prendre la peine de lui expliquer aujourd'hui serait foutre en l'air tes mises en garde tout en te discréditant.

Le charme est rompu, tu recadres tes idées pour ne plus te laisser séduire par ses grands yeux de biche. Après tout, rien ne t'empêche de ne plus la calculer. De faire comme si ce verre et puis cet autre n'avaient pas existés ; gommer tout ce qui s'est passé en dehors de la bibliothèque et arrêter de te mêler de ce qui ne te regarde pas ; accepter qu'elle fasse ce qu'elle veut de sa vie et de son corps, dût-il lui arriver des bricoles pour qu'elle comprenne d'elle-même les risques inconsidérés induis par son comportement. Mener cette enquête sur la lettre et puis basta : la laisser reprendre le cours de sa vie sans plus qu'il n'y ait de points de jonctions avec la tienne ; couper des liens qui n'en sont pas pour ne plus avoir à revivre ce genre de moment où elle te met face à toi-même et à tout ce que tu fais de travers pour contourner les règles que tu t'es pourtant imposé depuis ta plus tendre enfance. Enfilant jean et rangers sans t'encombrer de sous-vêtements, tu te rhabilles en silence et finis par récupérer l'arme que tu ranges sous ta veste. Sans elle, impossible de fermer l’œil. Prends tes fringues, je te ramène. Dans sa tour d'ivoire où tu n'iras plus jamais prendre le risque de t'inquiéter pour elle.

Elle remarque l'étincelle, cette façon qu'il a de se refermer sur lui comme s'il venait de se faire piquer par quelque chose. Peut-être ses griffes ou alors son aura si noire qu'elle t'empêche de voir plus loin que le bout de ton nez. Le froid disparaît de Sinéad lorsqu'elle le voit réagir comme un enfant perdu alors que c'est ce qu'elle devrait être. La gamine ne supporte pas la moindre faiblesse chez l'autre, n'accepte pas de ceux qu'elle baise qu'ils puissent avoir envie de se retrouver seul, de la repousser parce qu'elle pourrait être nocive à leur tranquillité, à tout cette équilibre auquel elle n'a jamais cru. La vie ce n'est pas ça, ce n'est pas un long fleuve tranquille, une ligne droite. C'est un électrocardiogramme que l'on se doit d'entretenir, des hauts et des bas qui te font vivre. Elle inspire, déçue de lui sans le montrer, laisse ses mains tomber mollement le long de son corps. Ce qui l'énerve le plus est un détail con qui la protège de la vérité. Le mégot dans l'eau alors que des poissons et tout un monde y vit, que certainement l'un d'entre eux y crèvera pour l'avoir gobé. Un meurtre de plus, la fin d'une vie innocente pour un connard qui ne sait pas garder ses clopes pour lui. Ce geste l'affecte dans une démesure que Sinéad garde pour elle. Son regard se pose sur l'eau où elle imagine déjà l'une de ces pauvres bêtes avec le goût du tabac dans la gorge.

En le voyant se rhabiller, Sin comprend vite. Elle se dirige alors vers l'avant du bateau, se saisit de son manteau puant le chien et recouvert de sang, l'enfile pour se diriger vers Taylor qui la fixe froidement. Alors que la gamine est mise à la porte, bazardée de ce bateau comme un déchet que l'on ne veut plus, ses doigts se posent sur sa joue, délicats, ses yeux rejoignent les siens. Elle soutient son regard un long moment, une petite éternité au coeur de cette nuit flottant dans l'espace de leurs questionnements et de leurs colères retenues. Ses pupilles le traversent avec toute l'énergie dont son minuscule corps de femme est capable. Sinéad lui montre que Taylor pourra bien massacrer leur moment, l'enterrer au fond du jardin de son ignorance qu'il subsistera toujours une part d'elle.
Il fallait réfléchir avant de venir la sauter.
Elle inspire, se tourne brutalement, lui présente son dos alors qu'elle s'éloigne. La gamine lève la main en guise d'un au revoir pour disparaître seule, pieds nus, dans les rues d'une ville qui l'a déjà broyée.
C'est sa mort à l'âge de huit ans qui la rend invincible.