« Oh allez Tim, tu peux bien rester juste une nuit nan ? »J’fais comme si j’avais pas entendu et continue à me rhabiller dos à elle. J’ai déjà la clope collée entre les lèvres prête à être allumée. Caleçon, jean, T-shirt, j’suis prêt en deux temps trois mouvements. Nonna me lâche pas et continue à m’travailler au corps.
« S’te plaît… » Bordel, qu’est-ce que j’peux détester quand elle prend cette voix geignarde.
« J’te ferais le p’tit déj’ ! »J’ai les mâchoires qui se crispent, les dents serrées à les fissurer. Inspiration, expiration.
On va quand même pas mettre une mandale à la nana qu’on vient d’baiser juste parce qu’elle est un peu casse-couilles hein ? J’me retourne avec mesure, sans geste brusque. J’prends un ton patient en détachant bien les syllabes pour que ça lui rentre dans l’crâne une bonne fois pour toute.
« Non j’peux pas. Tu sais que j’fais pas ça. »Pas avec toi. Et celle que j’voudrais m’a envoyé m’faire foutre de façon parfaitement explicite la semaine dernière.
J’récupère dans la foulée mon blouson que j’enfile, et me dirige droit vers la sortie.
« On s’téléphone Nonna. »Y a pas d’embrassades, pas de mots doux. Juste un vague signe de la paluche, au loin, comme si j’chassais une mouche.
La porte claque fatalement.
Maintenant que j’ai évacué un d’mes bas instincts il m’reste plus qu’à m’occuper des autres. J’fais d’abord cracher les étincelles pour me repeindre les poumons de goudron. J’fouille mon manteau du bout des doigts. Putain.
Putain putain
putain !Impossible de remettre la main sur mon pochon remplit de coke. J’viens juste de l’acheter.
« MAIS QUELLE SALOPE ! »La semelle part craquer contre le mur le plus proche. C’est Nonna qui a fait l’coup, pas besoin de chercher plus loin. Elle a cette drôle de manie de tout l’temps me piquer un truc quand on s’envoie en l’air chez-elle. Une sorte de rituel. Ca peut tout aussi bien être une liasse de p’tites coupures, un paquet de cigarettes, une place de ciné. Ou dix grammes de blanche en l’occurrence.
J’sais aussi qu’elle me laissera pas remonter.
J’m’apprête à taper un scandale sur le porche quand mon téléphone vibre. Elle a d’la chance ; la sale tronche rasée de Ferdie s’affiche sur l’écran. Et à ce stade c’est la seule chose qui peut encore m’empêcher de défoncer la porte d’entrée.
J’disparais dans la nuit pour le rejoindre.
J’attrape l’échelle rouillée en grognant. Les barreaux m’résistent une seconde avant de céder dans un grincement à réveiller les morts. J’me tracte dessus sans même vérifier si quelqu’un peut m’voir en train d’escalader ces foutus escaliers de service. J’les connais par cœur à force de les avoir emprunté : douze marches par paliers, dont deux dangereusement branlantes par-dessus lesquelles il faut sauter. Et au bout la fenêtre fermée – mal fermée – y a l’canapé défoncé, les cendriers qui dégueulent de mégots et…
« Ferd’ ? »Je gueule dans l’appart en espérant vivement qu’il subisse pas une visite de courtoisie d’un de ses potes parce que j’hésiterai pas à l’foutre dehors à coups de pied au cul. Sauf si elle s’appelle Polly et possède un 95D,
évidemment.
J’enjambe le rebord en essayant de pas renverser le bordel qui traîne un peu partout. Y a que l’silence qui me répond. Alors j’fais comme chez moi et passe faire un crochet par la cuisine. Le frigo me renvoie juste un trait de lumière qui éclaire une ribambelle de bouteilles de bières et un pot de cornichons. Forcément j’opte pour les premières et reviens m’affaler dans l’salon. J’m’allume une clope en espérant qu’il tarde pas.
Ou tout du moins qu’il soit pas de sortie toute la nuit.