au royaume des yeux crevés.

( la tête tournée vers les étoiles )

J’ai beau chercher les regards, ils ne voient rien. Il me semble parfois que des larmes pourpres débordent de leurs orifices aux prunelles vidées, qu’il n’y a plus rien qui ne subsiste en eux. Je ne suis qu’une muette au royaume des aveugles, couronnée par l’impuissance.

(ÉROSION) -- Des années à errer. Piédestal d’une soit disant montée au Paradis, le Sanctuaire est un hâvre de paix artificielle où ce sont perdus ses parents et où elle s’est perdue, si jeune, trop jeune. Accrochée aux croyances que chacun lui murmurait, elle était une membre pleine d’espoir, enfant engoncée dans sa timidité, ses lèvres toujours pincées sur des mots jamais sortis, visage toujours dissimulé derrière des cheveux mal coiffés. Silence est la beauté discrète incarnée mais qui a réussie à harponner l’intérêt de Dione, prêtre, chef, peu importait, il gouvernait sur le Sanctuaire, toujours paré d’habits blancs. Un Ange bénissant les membres sur son passage, d’un simple regar, d’un sourire plein de bienveillance. Silence ne l’approchait jamais, une antipathie particulière s’insinuant en elle à son encontre, sans l’expliquer clairement car Silence ne déteste jamais. Son père la poussait toujours plus vers lui. Son père, dévasté par des maux qu’il ne lui a jamais confié, qui s’est plus noyé qu’elle dans les prières, les hurlant parfois en pleine nuit, la voix secouée par les trémolos de pleurs retenus. Et Silence, toujours murée dans ce vide, sans jamais savoir quoi ressentir, ni quoi pleurer, ni même quoi faire, heureuse enfant enfermée dans sa cage immaculée. Silence qui s’obstinait à faire pousser ses fleurs et compter ses chiffres. Silence qui, doucement, sans le voir, prenait de la place parmi la confrérie, sa tête bientôt portante du diadème du Paradis.

(COULEUR INNOCENCE) -- Élue du coeur d’un Seigneur inconnu, elle serait le sacrifice parfait. Plus les années s'égrènaient, plus son corps se gondolait sous les formes d’une féminité naissante et plus elle sentait le regard de Dione changeait, insistant, ses faveurs se multipliant, la mettant dans un malaise profond que son père encourageait malgré tout, les yeux toujours perdus loin d’elle, ne la regardant jamais comme si il avait peur d’y trouver la rancune grandissante envers lui et envers la lâcheté dont il faisait preuve en la jetant en pâture à un homme pour qui son coeur restait inerte. Silence est vite devenue consciente de la place de gibier qu’elle avait, de la couronne qu’on lui faisait porter, du respect qu’on lui témoignait brutalement, la bénissant de baisers sur le front, de caresses sur les mains, la serre où elle faisait pousser ses fleurs lui étant brutalement interdite, pour ne pas abîmer le corps qui deviendrait réceptacle le soir des noces pourpres. Bientôt, elle leur offrirait à tous le Salut Final.

Le voile qu’elle avait sur les yeux se déchirait doucement. Silence dont les confidences restèrent sans réponses, se heurtant parfois à la hargne brutale de sa mère, de nature douce et aimable pourtant. Sa mère qui l’avait regardé comme si elle ne saisissait pas la chance qui était la sienne de porter ce rôle d’animal qu’on égorgerait et dépucèlerait tout à la fois. Silence qui s’est vite retranchée sur elle-même, qui s’est surprise à monter une évasion, sans rien dire à quiconque. Un an passé, un an où elle a joué le jeu de la parfaite, de la Sainte descendue sur Terre pour mener les âmes en peine jusqu’au Jugement Dernier. Elle a appris à sourire, à rire, à même couver d’un regard tendre l’ange qui dissimulait si bien l’esprit détraqué qui l’habitait. Silence s’est délogée, pendant quelques temps, de cette timidité maladive pour jeter de la poudre aux yeux et annihiler la méfiance.

(PRÉLUDES) -- Courir. Courir et s’enfuir aussi loin qu’il lui était possible. Silence a essayée de raisonner sa mère, de l’emmener avec elle avant de comprendre que le voile du mensonge est parfois tellement épais et résistant que quelques mots ne suffisent pas à le détruire. Derrière elle, elle a abandonnée sa famille, quitter ce village qu’elle a foulée de ses pieds d’enfant pour finalement lui échapper. Un long périple où sa barque de ferail l’a finalement menée jusqu’à Crescent Heigts. Ses cheveux d’un blond pâle finalement teint d’un châtain chaleureux, ressortant sur sa peau qui ne voyait le soleil que rarement, pâle, trop pâle. Elle est semblable à une enfant trop fragile qui parcours les rues, trimballant dans son sac ses secrets bien gardés. Elle est remplie de l’espoir de se reconstruire, sans savoir comment recoudre les plaies d’un passé encore tout proche pourtant, atrophiée de ses parents et découvrant le monde trop tardivement, sursautant au moindre bruits qui circulent. Silence qui s’accroche, trop consciente d’avoir échappée à la lame d’un couteau qui l’aurait mené plus en Enfer qu’à l’Eden.