dehors, le temps se tasse, petit à petit. l’air devient gris et lourd et dans la lumière du jour qui baisse, le ciel se déchire, monochrome, comme un tableau clair-obscur ; d’un côté la couleur mouton sale annonciatrice de pluie, de l’autre les ténèbres synonyme de lune. assise à sa fenêtre, salem regarde le début d’une ondée percer les toits du monde en rêvant d’avalanches. la neige lui manque. elle avait toujours aimé l’inertie qui s’emparait de villes toutes entières lorsque les charpentes se couvraient de blanc et que le passage de chacun s’imprimait dans la lande. à enosburg falls, d’où elle vient ; de la neige, c’est tout ce qu’il y avait. le village tremblait, battu par un vent glacial toute l’année et dans sa chambre d’enfant, salem s’endormait bercée par le son fracassant des fenêtres grelottantes. mais depuis qu’elle habite ici, à crescent heights ; elle se languit du chant du blizzard et de l’immaculée désordre qu’il avait l’habitude de laisser dans son sillage. c’est étrange, ce sentimentalisme. les choses ne manquent pas à salem d’ordinaire. jamais – rarement. elles sont là, elles disparaissent, reviennent parfois ; et c’est tout. mais le climat frigide de ses origines lui évoque, semble-t-il, une émotion étrangère se manifestant alors comme un creux dans l’estomac et une soudaine envie de
brainfreeze. à défaut de pouvoir regarder crescent heights disparaître sous une houppelande neigeuse, salem se rabattra sur une glace, soupoudrée de pépites d’abus de pouvoir.
come pick me up.
urgent.
don’t ask.
sur l’écran de son téléphone, le nom de darius brille comme une centaine de victoires. lui, son flic de poche personnel ; elle, la tortionnaire qui se joue de ses ficelles comme un marionnettiste avec sa poupée. le spleen guide ses doigts, elle le suit sans hésiter car il est le sempiternel compagnon du mental psychotique d’une désaxée qui s’ennuie. le désœuvrement brise de qu’il reste de sensé et c’est dans l’oisiveté de tout hobby moral que salem se retrouve maître d’un cerbère qui n’a rien de conventionnel. elle sait que cette histoire se prédestine à une fin tragique : sinon pour les deux personnes impliquées, au moins pour celle qui, trop présomptueuse, abuse avec allégresse de son emprise. certainement qu’est déjà marqué d’une croix rouge sur le calendrier du karma, le jour où, finalement, la roue aura fait son tour et que le retour de flammes viendra occire toute trace d’arrogance mal placée. l’épée de damoclès trône, menaçante au-dessus de la tête de salem ; celle-là même avec laquelle darius aura vite fait de lui trancher la tête une fois son heure arrivée. et peut-être est-ce le risque qui donne à l’entreprise son attrait renversant. oui, de toute évidence, les choses tourneront mal. mais en attendant, salem n’oublie pas sa position de chef, qui a tout pour lui plaire. et c’est en tant que tel qu’en bas de son immeuble, elle patiente ; impatiente, confiante, défiante, l’arrivée de son carrosse.
tyran, tu finiras dans une maison vide.
le bruit d’une voiture qui s’approche dans les rues autrement calmes d’east vista arrache à salem son sourire le plus supérieur. jamais tout à fait sûre qu’il se conforme à ses demandes ridicules à chaque fois qu’elle les formule, une jubilation de grand roi accueille le moindre triomphe.
« honestly, i didn’t think you’d show. being wrong never felt better. » lance-t-elle, suffisante et contournant le véhicule pour s’asseoir côté passager. installée dans l’habitacle de fer, et même dépourvue de sa ceinture – qu’elle ne met jamais – salem se sent à l’aise. un de ses grands drames : ne pas savoir conduire. si elle en était capable – et qu’elle avait une voiture – probablement qu’elle ne quitterait jamais la route. ce n’est pas tant le voyage que la sensation de plénitude à naviguer vers un lieu précis ou un nulle part qui l’attire. consolée par le ronron régulier du moteur meublant le sinistre silence, elle pourrait s’imaginer aller n’importe où. dans l’immédiat, cependant, l’épicerie 24/7 d’highland village constitue un objectif déjà correct.
« i want ice cream. everything is closed or closing at this time so i want you to take me to the 24/7 station of highland village. » elle ne laisse pas la formulation de sa phrase au hasard. effectivement, elle n’a pas besoin de faire déplacer darius pour de telles bagatelles, mais elle en a
envie. et l’envie prime sur toute autre chose, dira-t-elle.
« i hope you weren’t doing anything important. i’d feel bad for interfering. » c’est ce qu’elle ajoute, sarcastique, evidemment. elle sourit, amusée mais surtout mauvaise ; aussi detestable qu’on peut l’être. soudain, la neige lui manque beaucoup moins.